Cuba, un pays vieillissant. Le pour et le contre, là est la question

Le vieillissement d’une population, aussi bien à Cuba que dans le monde, peut être considéré comme un triomphe. Ce phénomène est sous-tendu par une structure sociale focalisée sur la longévité et la qualité de vie des êtres humains.

Dans le cas de Cuba, le vieillissement démographique est déterminé par trois facteurs clés : allongement de l’espérance de vie, réduction de la mortalité infantile et baisse de la natalité.

Ces indicateurs, propres notamment aux pays développés, comprennent : campagnes de vaccination, éradication et prévention de maladies, prise en charge des femmes enceintes, soins lors de l’accouchement, suivi spécialisé des nouveau-nés et légitimité des droits sexuels et génésiques des femmes, entre autres. Dans la plupart des pays en voie de développement, touchés par la récession, ces objectifs ne sont presque jamais atteints.

Les indicateurs de Cuba, qui appartient à ce dernier groupe de pays, sont cependant comparables avec ceux des nations du premier monde. À partir de cette dichotomie, les autorités cubaines et les personnes en général se posent la question suivante : le pays, est-il en mesure de vieillir ?

Du point de vue social, il s’agit pour l’île antillaise d’un phénomène nouveau, qui oblige le gouvernement à prendre une série de mesures – même si ses conditions et ses capacités ne sont pas encore suffisamment développées – afin de préserver le projet social mis en place.

Selon les projections démographiques, Cuba figurera bientôt parmi les pays ayant la plus grande proportion de personnes âgées de l’Amérique latine. Néanmoins, les avenues de la capitale comptent des feux pour piétons, qui ne bénéficient que de 18 secondes pour traverser la rue.

Cubanía, en qualité d’observatoire des médias qui diffusent des informations sur la Cuba contemporaine, a traduit un article publié par Inter Press Service (IPS) Cuba, où ce thème est abordé à partir des expériences de personnes âgées de 70 ans et plus.

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Extrait d’IPS Cuba

Elle a travaillé sans interruption pendant quarante ans. Lorsqu’elle a pris sa retraite, elle ne savait pas comment employer son temps libre. « Rester à la maison toute la journée en me préoccupant seulement des produits en vente à l’épicerie (marché), ce n’est pas mon truc », a dit une dame qui habite à La Havane.

« J’ai signé un contrat de travail avec une revue gouvernementale », a expliqué cette Havanaise qui a préféré de ne pas révéler son nom. Rien d’étonnant dans ce pays, où un grand nombre de personnes de son âge, 70 ans, continuent de travailler.

« Je ne le fais pas seulement pour gagner de l’argent. En fait, j’aime me sentir utile », a-t-elle affirmé.

Enrique López Oliva, 81 ans, journaliste et professeur d’histoire des religions à l’université de La Havane, a pris sa retraite en 1998. Il touche une pension de 270 pesos, soit un peu plus de 11 dollars. Depuis 2008, il est engagé périodiquement pour donner des cours optionnels.

« Il est indéniable que l’argent est nécessaire, mais il est important pour moi aussi de rester actif. Comme professeur, j’ai la possibilité d’être en contact avec les nouvelles générations. Cela m’oblige à étudier et à être à la hauteur des étudiants qui s’intéressent aux thèmes religieux du point de vue académique », remarqua-t-il à IPS.

Vu les conditions démographiques de Cuba, il est fort probable que d’ici à dix ans, il y aura un plus grand nombre de professeurs dont l’âge oscillera entre 70 et 80 ans, et, éventuellement, les jeunes étudiants seront de moins en moins nombreux.

Selon les prévisions officielles, les personnes âgées de plus de 60 ans représenteront en 2030 un tiers de la population. Le pays compte actuellement 11,2 millions d’habitants.

De l’avis des spécialistes, Cuba est actuellement le pays affichant le taux le plus élevé de personnes âgées de l’Amérique latine, soit 19,8 % de la population âgée de 60 ans et plus. « Nous devrons faire face à un défi immense qui exigera des changements importants. Aucune économie ne peut pas, dans les conditions actuelles, subvenir aux besoins de cette tranche d’âge », conclut López Oliva.

Selon les données fournies par l’Office national des statistiques et des informations, la population actuelle est classée comme suit : 2 539 092 personnes âgées de 0 à 19 ans ; 6 480 290 personnes de 20 à 59 ans ; et 2 219 784 personnes de 60 ans et plus.

Roberto Sordo, 84 ans, devenu travailleur indépendant après sa retraite, répare des appareils de radio dans un local loué dans la municipalité Centro Habana de la capitale.

Aussi, le pays compte-t-il 1 676 988 personnes qui, grâce à la sécurité sociale, perçoivent une pension de vieillesse, d’invalidité et de survie, la pension moyenne étant de 276,94 pesos, soit un peu plus de 11 dollars.

Selon des données officielles, la population économiquement active passera de 5 097 439 personnes en 2021 à 4 964 537 en 2030.

Ce phénomène démographique répond à un faible taux de fécondité, associé à d’autres indicateurs comme la diminution du taux de mortalité, l’augmentation de l’espérance de vie, et les résultats négatifs de la migration qui a représenté pendant la période comprise entre l’an 2000 et 2012 de 2,6 à 4,0 personnes de moins pour 1 000 habitants, soit de 20 000 à 46 000 personnes, selon les données officielles.

Selon Reina Fleitas, professeur d’université et experte en questions de genre, plutôt qu’un problème, vieillir représente un progrès.

« La société a fait des investissements pour augmenter l’espérance de vie de sa population, ce qui a évidemment entraîné l’accroissement des personnes âgées (…) L’important, c’est vieillir avec qualité de vie », a-t-elle déclaré à IPS.

« Le pays a mis tout en œuvre pour mettre en place un meilleur système de protection des personnes âgées. Mais cela exige un investissement social très coûteux. Seule une croissance économique soutenue et plus élevée que celle enregistrée actuellement nous permettra de subvenir aux besoins », a-t-elle exprimée.

Rolando, un autre retraité qui réside à La Havane qui a préféré de garder l’anonymat, a signalé qu’il fallait aussi analyser des sujets d’ordre économique, social, spirituel et d’assistance sociale.

« Deux questions doivent être examinées : le faible niveau des pensions et l’emploi du temps. Il vaudrait mieux créer des emplois à temps partiel, permettant d’augmenter les revenus des personnes âgées et de les faire sentir plus utiles », a-t-il dit.

Or, María Antonia López, pour sa part, avoue être heureuse, car, grâce à la loi de sécurité sociale (105/08) en vigueur depuis janvier 2009, elle a pu prendre sa retraite à l’âge de 60 ans et recevoir une pension de 968 pesos, soit quelque 40 dollars. Depuis dix-sept ans, elle a travaillé dans le secteur sucrier et a pu obtenir une licence en économie et finances.

Enrique López Oliva, journaliste retraité et professeur, montre la couverture d’un livre qui fait partie de la collection de son studio dans la municipalité Playa.

À ce sujet, Fleitas a rappelé que les inégalités ont aussi un impact sur les personnes dites du troisième âge. « La société dans son ensemble doit contribuer à mettre au point un mécanisme de soutien plus intégral et différencié à l’égard des personnes âgées », a-t-il déclaré.

À son avis, « le contexte social et de santé des personnes diffèrent ; la politique universelle doit être accompagnée de mesures qui tiennent compte des différences en ce qui concerne les revenus, les groupes d’âge, les territoires et le genre ».

Parmi les stipulations de la loi 2009, citons, entre autres, celle d’allonger la vie active qu’il faut décidément adopter en raison du vieillissement de la population cubaine, sans faire des distinctions comme celles exprimées par Fleitas, qui signale que les inégalités fondées sur le sexe sont plus évidentes lors de la vieillesse.

En vertu de cet instrument juridique, l’âge de la retraite est reporté de cinq ans, de sorte que les femmes prendraient la retraite à 60 ans et les hommes à 65, après avoir accompli trente années de service. Le montant de la pension a aussi été augmenté, en fonction de l’apport, du salaire et de la permanence au travail.

Cette loi apporte une autre nouveauté, à savoir la possibilité d’être réembauché et de toucher la pension et le salaire. Pour en profiter, il faut que le nouveau poste soit différent de celui occupé au moment de la retraite, bien que le profil de travail puisse être le même.

Selon une enquête nationale portant sur le vieillissement, menée en 2010, les pensions sont les principales sources de revenus de la population âgée de plus de 60 ans. De l’avis de plus de 80 % des personnes interrogées, les prestations monétaires, y compris les allocations familiales, étaient insuffisantes.

Cependant, seule une infime partie des retraités tirent profit de la possibilité d’être réembauchée. Selon des données officielles, 11 % seulement d’un total de 535 000 travailleurs indépendants recensés à la fin de 2016 étaient des retraités, pourcentage légèrement inférieur par rapport à celui enregistré en 2014, soit 11,71 %.

Tout porte à croire qu’une enquête similaire menée entre le 1er novembre et le 15 décembre offrira de nouveaux éléments sur les conditions sociodémographiques et socioéconomiques, l’état de santé, le degré de dépendance et l’accompagnement, ainsi que sur les réseaux de soutien familial et social dont disposent les personnes du troisième âge.

Le gouvernement de Raúl Castro estime que le pays devra faire face à l’un des plus grands défis dans les années à venir, vu la dynamique démographique qui entraînera une tendance à la baisse, caractérisée par le vieillissement continu de la population, la diminution des taux de natalité et l’augmentation des décès.

À cet égard, il a été reconnu que le vieillissement de la population aura une incidence significative sur le système de sécurité sociale et sur le coût des prestations de certains services, ainsi que sur le modèle de croissance économique, compte tenu du fait que la force de travail sera une ressource limitée.

Traduction : Fernández- Reyes

Photo : Cubania


Enrique   |  Analyse, Politique, Société, Économie   |  06 20th, 2018    |