Qui a libéré Ariel Ruiz Urquiola ?

Comme beaucoup l’ont déjà commenté, Ariel Ruiz Urquiola a été mis en liberté hier après-midi, le 2 juillet. Un appel d’Omara, de sa sœur et de son collègue Oscar Casanella m’a apporté la nouvelle que j’ai vraiment douté de recevoir si vite : Ariel est libre !

Nous ne connaissons pas les détails de l’affaire, qu’Ariel et sa sœur seront sûrement en mesure de révéler au public une fois que tout sera éclairci. Rappelons-nous qu’Ariel doit se remettre d’un long jeûne qui a affecté son corps de façon dramatique ; heureusement, son cerveau a fonctionné clairement pendant tout ce temps.

Et je me demande comment ce résultat a été obtenu, s’agirait-il d’une “mesure extrajudiciaire” ?

Est-ce la campagne de solidarité systématique, décentralisée et généralisée sur les réseaux sociaux ? Est-ce que ce sont les recours légaux pour une révision de l’affaire déposés auprès de divers organismes juridiques à Cuba ? Est-ce la lettre publique signée par 168 personnes de l’intérieur et de l’extérieur de Cuba, et distribuée individuellement à différents niveaux de la société ? Est-ce la campagne sur Change.org ? Est-ce que ce sont les enregistrements audio et vidéo d’Ariel révélant la vérité sur toutes ces manipulations ? Est-ce l’intercession de l’église ? Est-ce que ce sont les déclarations surprises d’artistes cubains bien connus ? Est-ce que ce sont les plaintes de l’OEA ou du Département d’État américain ? Est-ce le plaidoyer spirituel de gens de théâtre dans un bâtiment en ruines de la vieille Havane ? Est-ce que ce sont les reportages exhaustifs des médias alternatifs de l’île (OnCuba, El Toque, El Estornudo, Havana Times, etc….) ? Est-ce la demande opportune d’Amnesty International ? Est-ce la persévérance et la témérité montrées par Ariel en ne renonçant pas à sa juste revendication ?

Je ne pense pas qu’on le saura clairement un jour. Les actions du gouvernement cubain ont montré que la légalité sur l’île est pour nos gouvernants une simple procédure formelle qu’ils osent parfois essayer de respecter. S’ils veulent condamner : ils condamnent au-delà de tout bon sens, au-delà de toute évidence. Si, d’autre part, ils veulent libérer, ils le font au-delà de toute procédure pénale, au-dessus de tous les tribunaux.

Je soupçonne donc le fait qu’ils ne donneront jamais la vraie raison de leur décision, ce qui ouvre la voie aux politologues, aux cubanologues et aux analystes de plus ou moins grande envergure, qui risqueront d’échafauder leurs théories sur le sujet. Parfois, il me semble qu’ils oublient que pour démêler et comprendre un système, ce système doit d’abord exister ; ce dont je ne suis pas sûr dans le cas cubain.

Nous devons également compter sur le fait que nous ne savons pas combien de temps cette “mise en liberté” sera maintenue et si des garanties d’irréversibilité et d’inconditionnalité seront données.

Si on me demandait mon avis, il me semble que toutes les actions et toutes les positions, à un degré plus ou moins grand, ont conduit à la libération d’Ariel. Ainsi, il fut possible pour les scientifiques et les artistes qui n’avaient jamais pris la parole sur des questions politiques (du moins publiquement) de le faire cette fois-ci. De même, le silence de nombreuses personnes est devenu évident et a montré à quel point l’opportunisme, la commodité ou la simple peur paralysait les Cubaines et les Cubains.

Il est également possible qu’un objectif humanitaire se place au-dessus des agendas politiques personnels et/ou de groupe très bien définis, générant ainsi plus d’un débat dans l’étendue de la gauche, essentiellement.

La ténacité d’Ariel a fait avancer une partie de la société cubaine. Du moins, les plus connectés. Les gens ont du décider s’ils voulaient ou non donner un like sur Facebook, sans partager ou non un message, s’ils voulaient ou non mettre une image FREEDOM FOR ARIEL sur leur photo de profil. Merci, Ariel.

Pour quiconque ne connaît pas Cuba, ce serait absurde ; mais ceux d’entre nous qui sont ici connaissent bien le coût des choses auquel nous sommes confrontés. Surtout quand on découvre que le cas d’Ariel n’est pas un cas rare, isolé et extraordinaire, mais la vie quotidienne de personnes de convictions politiques différentes, qui doivent faire face à une intolérance et à une diversité de pensée propre aux années 1970.

Nous sommes dans l’attente de nouvelles informations. J’espère qu’Ariel sera bientôt parmi nous et que nous pourrons faire le point sur cette terrible expérience. Espérons que nous pourrons débattre, même à partir de positions idéologiques antagoniques, c’est le meilleur moyen d’impliquer directement les gens dans la construction de leurs destins. Mais surtout, j’espère qu’Ariel pourra continuer à faire la science qu’il sait faire, là où il a choisi de le faire : sur le sommet d’une colline dans la campagne cubaine.

Félicitations, Ariel. Félicitations Omara ! Et félicitations pour nous aussi !

Personne ne libère personne

Personne ne se libère seul

Nous nous libérons tous ensemble.

Isbel Díaz Torres

Traduction de Daniel Pinós

https://guardabosquescuba.org/2018/07/03/quien-libero-a-ariel-ruiz-urquiola/


Enrique   |  Politique, Répression, Solidarité, Écologie   |  07 3rd, 2018    |