Le tourisme sexuel impliquant des enfants à Cuba

Depuis le rétablissement de ses relations diplomatiques avec les États-Unis le 30 juin 2015, Cuba est au cœur de nouveaux enjeux dont les maîtres-mots sont « ouverture économique » et « assouplissement des autorisations d’entrée ». On pourrait donc légitimement en déduire une augmentation des flux touristiques sur cette petite île des Caraïbes vers laquelle les regards du monde entier sont braqués. Aussi positive soit-elle, qui dit croissance des flux touristiques, dit malheureusement croissance du tourisme sexuel impliquant des enfants (TSIE), déjà bien trop présent sur l’île.

Définition du TSIE

Le TSIE est l’exploitation sexuelle commerciale des enfants par des touristes du même pays ou d’un pays étranger. Souvent effectué par l’intermédiaire d’une tierce personne, il implique en contrepartie d’argent ou d’autres biens, des relations sexuelles avec un enfant. Les voyages devenant plus accessibles, ce phénomène de TSIE ne cesse de prendre de l’ampleur, et ce, dans le monde entier. Bien loin de l’idée initiale d’un facteur de rapprochement et de paix des peuples que suggérait le tourisme, cette véritable forme de « colonisation des corps » selon l’expression de la Fondation Scelles, concerne plus de trois millions d’enfants chaque année. Prenons ici l’exemple de Cuba.

Portrait du touriste sexuel

Fin d’après-midi à la Havane. Des quartiers de Vedado à Centro Habana, l’on se perd dans des ruelles bordées d’immeubles colorés d’où s’échappent des rythmes de salsa ou de reggaeton. La chaleur écrasante laisse apparaître les corps peu vêtus des jeunes filles et les courts uniformes des écolières. Tout bar touristique digne de ce nom rencontré en chemin propose divers alcools à base de rhum : mojito, cuba libre, piña colada, etc. Tous les éléments sont réunis pour que le touriste fraîchement arrivé se sente aussitôt transporté dans l’ivresse d’une autre époque, d’un autre monde, bien loin de son quotidien monotone et de ses rudes hivers.

Cette idée de l’exotisme nourrie par ses stéréotypes bien ancrés se réalise, et s’y superpose la hausse inouïe de son pouvoir d’achat nouvellement acquis : le touriste anonyme et moyen devient soudainement puissant et capable d’obtenir tout ce qu’il désire. Cette perte de repère et ces milliers de kilomètres qui le séparent de chez lui donnent alors parfois naissance au touriste sexuel. S’y ajoutent des idées reçues et rassurantes telles que : « À Cuba, ils ont l’habitude; ils sont libres avec leur corps dès leur plus jeune âge. », « Grâce à l’argent que je leur donne ils vont pouvoir vivre mieux. »

Le reporter Lio Kiefer rapporte cette confidence d’un professeur de français sur la plage de Varadero à Cuba : « Cela a toujours existé. Le capitaine Cook, Christophe Colomb, tous les grands explorateurs ont connu des enfants. Ce n’est pas un problème, c’est une nécessité. » Le touriste sexuel endosse donc différents profils et est généralement classé en trois catégories : occasionnel, préférentiel ou encore pédophile.

Des enfants pris au piège

Face à ces nouveaux prédateurs, les enfants sont impuissants et ne peuvent que ployer sous le joug de la société impliquée à tous les niveaux dans ce phénomène. Sachant que le salaire moyen d’un Cubain est d’environ 10 dollars par mois, tous les membres de la famille, y compris les enfants, sont contraints de trouver différentes alternatives pour vivre plus décemment.

De plus, les jeunes adolescentes cubaines ne sont pas épargnées par les phénomènes de mode dans cette île où l’apparence a une place primordiale. Quelles sont les solutions pour s’acheter des vêtements plus « trendy », sachant qu’un jean est déjà à 20 dollars, minimum? Rien ne semble alors rivaliser avec les 50 dollars, voire 100 dollars, que le touriste est prêt à payer, et ce, pour une seule prestation. Les jeunes filles, dont bon nombre d’entre elles commencent entre 12 et 14 ans, deviennent alors des jineteras soit « cavalières », terme désignant les prostituées illégales.

Les graves conséquences pour les victimes

Les conséquences de cette véritable exploitation sexuelle sur les enfants sont innombrables et graves. Le “tourisme” sexuel laisse des séquelles psychologiques et physiques qui plongent l’enfant dans un mal-être perpétuel mêlé d’angoisse et de culpabilité. Les enfants dépossédés de leur propre corps ne peuvent plus se développer et grandir sereinement.

Nous nous retrouvons face à de futurs adultes qui ne pourront pas s’intégrer à la société, stigmatisés par celle-ci et incapables de nouer des relations sociales. Par ailleurs, ces enfants-victimes sont également plus facilement exposés à des risques sanitaires, telles que les maladies sexuellement transmissibles. Quelle contrepartie financière ou matérielle est à la hauteur de cette souffrance physique et morale provoquée chez l’enfant? Aucune. Aucun touriste ne peut se targuer d’aider et de sauver un enfant par l’exploitation sexuelle.

Les solutions et les sanctions prévues par la loi

La Convention internationale des droits de l’enfant, et plus particulièrement le Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, soulignent le droit de l’enfant à être protégé de toute exploitation à des fins commerciales, notamment l’exploitation sexuelle et par conséquent le tourisme sexuel. De même, la législation nationale des pays concernés condamne la plupart du temps cette pratique. Cuba, par exemple, prévoit dans son Code pénal de sévères sanctions pouvant aller jusqu’à 30 ans de prison pour le proxénétisme et la traite des enfants. La Loi protège ainsi les adolescentes de l’exploitation sexuelle jusqu’à leurs 16 ans. Ainsi, de nombreux policiers arpentent les rues fréquentées de La Havane afin de soumettre à un interrogatoire poussé tout Cubain ou toute Cubaine marchant aux côtés d’un touriste.

Pourtant, comme dans bon nombre d’autres pays concernés, la mise en place de mesures répressives s’avère par la suite beaucoup plus difficile et quasi-inexistante, que ce soit par manque de moyens ou du fait d’une corruption fortement ancrée. Il faut d’ailleurs préciser que le tourisme sexuel représente une industrie d’environ cinq millions de dollars dans le monde. D’autre part, cette inertie dans l’application de sanctions efficaces s’explique également parfois par une négation totale par l’État de l’existence de ce phénomène. Ainsi Cuba déclare officiellement : « À la différence des autres pays, il n’y a pas de phénomènes comme la traite et le trafic de mineurs à des fins sexuelles, comme le tourisme sexuel […]».

Par ailleurs, la législation extraterritoriale prévoit également la sanction de ses propres ressortissants pour des crimes commis contre des enfants à l’étranger. Malheureusement, les 44 pays possédant cette législation ne l’appliquent en réalité que très peu.

Comment s’engager au quotidien ?

Il apparaît donc capital que tout citoyen renforce par sa propre éthique, ces mesures répressives existantes contre le TSIE. Plusieurs de ces recommandations peuvent être consultées sur les sites d’ONG contre l’exploitation sexuelle des enfants, tels que l’ECPAT par exemple. On retient notamment le devoir de chaque touriste de choisir uniquement des agences ayant signé le Code de conduite pour la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle.

Par contre, de nombreuses agences cautionnent ce phénomène d’une certaine façon, simplement en exposant sur les affiches les jeunes cubaines, ou des jeunes filles d’autres nationalités, en tenue légère, comme de potentiels atouts de la destination de voyage. Il apparait alors pertinent de dénoncer ce type de procédé publicitaire. Enfin, il est également primordial de signaler tout touriste à la recherche d’enfants en vue de les exploiter ou d’en abuser sexuellement.

Tout jeune garçon ou jeune fille de Cuba a le droit d’aspirer à une vie meilleure dans son île, et non pas à une vie plus menaçante et angoissante. L’ouverture sur le monde et la croissance des échanges avec les touristes étrangers doivent devenir une opportunité pour les enfants, de s’enrichir intellectuellement et de construire leur avenir. Rappelons-nous que tout enfant aspire à réaliser ses rêves et à devenir un adulte équilibré et épanoui. En aucun cas nous ne pouvons permettre qu’il soit un jouet à la disposition d’un adulte.

Anne Laure Troesch

Humanium


Enrique   |  Actualité, Société   |  08 1st, 2018    |