Sergio et Sergéi. Un conte philosophique cubain sur l’amitié au-delà des frontières culturelles, géographiques ou politiques

En 1991, le mur de Berlin vient de tomber, l’URSS se décompose et abandonne Cuba à son triste sort après la chute des régimes totalitaires d’Europe de l’Est. C’est la fin des illusions révolutionnaires pour le peuple cubain alors qu’une grave crise économique sévit dans l’île.

Le scénario est inspiré d’une histoire vraie : l’aventure du cosmonaute russe Sergéi Krikalev dont l’histoire a été traitée dans le film documentaire Out of the present par le réalisateur roumain Andrei Ujica, en 1995. Sergéi Krikalev est resté onze mois à bord de la station Mir et est rentré en contact avec des cubains par le biais de la radio. Le film est parsemé d’images et de sons d’archives mêlés à des effets spéciaux qui s’intègrent parfaitement dans la fiction.

L’histoire de Sergio et Sergéi est plus fantaisiste puisqu’elle naît de la rencontre radiophonique improbable entre un philosophe marxiste cubain et un cosmonaute oublié dans sa station spatiale. Sergio est un jeune professeur de marxisme, piégé par la chute du bloc socialiste et victime comme la grande majorité des cubains de « la période spéciale en temps de paix ». Il voit comment les vérités absolues de son système philosophique sont remises en question, alors que l’urgence de la survie l’oblige à transformer sa perception de la réalité et à se réinventer.

Sergio est un radio amateur, à travers un terminal il communique avec le monde extérieur à son île. De La Havane, sur une radio bricolée, ses doigts tapotent en morse, les ondes radiophoniques parlent russe, espagnol, anglais. Une petite fille et sa grand-mère suivent de près cette étrange aventure et les services de surveillance cubains aussi.

Sergio établit le contact avec Sergéi, un cosmonaute soviétique livré à lui-même dans l’espace et bloqué dans la station orbitale Mir, à la suite de la disparition soudaine de l’Union soviétique et la mise en faillite de l’institution publique chargée de son soutien et de son retour. Sergio et son matériel de radio-télécommunication vont jouer un rôle fondamental dans le sauvetage de Sergéi et dans son retour sur Terre. Sergio a la tête dans les étoiles et Serguéi, le cosmonaute, est en apesanteur.

Au-delà de la radio, ce qui unit Sergio et Sergéi, c’est tout simplement leur humanité, ils sont tous deux pères de famille vivant dans un contexte historique qui ne leur est pas favorable. Sergio peine à vivre avec son salaire de professeur d’université et son poste est compromis, quant à Sergéi, il est livré à lui même en orbite pendant que l’empire soviétique se désintègre. Néanmoins, la fraîcheur et l’humour dominent, elles sont conférées par l’évocation nostalgique de la fraternité et de la solidarité entre les peuples cubains et soviétiques. Dans l’adversité, ils se lieront d’une amitié qui va les aider à survivre. Le concours d’une radio amateur nord-américain renforce l’idée que l’amitié est un pont essentiel au-delà des frontières idéologiques.

Sergio et Sergéi est un film sur la solidarité et la survie et comme l’a déclaré son réalisateur, un film sur « l’amitié au-delà des frontières culturelles, géographiques ou politiques », ayant pour toile fond le traumatisme national cubain après la chute de l’empire soviétique. L’amitié que l’on verra se construire tout au long du film est porteuse d’espoir, elle nous rappelle à l’essentiel.

Nous sommes accrochés à notre petite planète et nous tournons sur nous-mêmes dans le noir de l’univers. Il y a de fortes chances pour que nous y soyons seuls. On se pose la question tout au long du conte philosophique d’Ernesto Darana : qui des trois « héros » doit sauver l’autre ? Qu’avons nous à sauver ? C’est plutôt ça la question et la réponse ne tarde pas à s’imposer. C’est de l’amitié entre les hommes dont il s’agit. C’est le bien le plus précieux des hommes, où qu’ils soient et quelle que soit leur idéologie.

Les magnifiques plans de la terre vue du ciel, que Sergio voit de l’hublot de la station Mir qui avance à 8 km seconde autour de la terre, nous invitent à nous éloigner des turpitudes de nos vies. À Cuba, pendant que son voisin construit des radeaux pour fuir à Miami, Sergio grâce à sa radio s’évade et dialogue dans l’espace avec Sergéi. Les deux amis trouveront leur salut ensemble parce qu’ensemble ils sont plus fort et parce qu’ils sont seuls au monde.

C’est aussi un film sur la société cubaine et le contrôle exercé par le pouvoir sur les populations. En ayant un accès privilégié aux individus et aux informations du « monde extérieur », Sergio est surveillé et son activité est étroitement supervisée par un système policier calqué sur celui de l’Union soviétique ou de l’Allemagne de l’Est, les deux grandes références en matière de sécurité intérieure pour le régime castriste.

Avec une esthétique soignée Ernesto Darana nous plonge dans une Havane délabrée, lumineuse et colorée. La caméra survole La Havane et nous offre une multitude de magnifiques plans aériens sur la ville et ses habitants. La perspective adoptée est sans nul doute un choix très fin qui rappelle l’immensité de la ville, de la terre et de l’espace.

Dès les premières minutes du film, la voix off, celle de Mariana, la fille de Sergio, qui se souvient de son enfance, donne le ton. Il s’agit d’un film naturaliste, d’une comédie douce avec pour toile de fond une période historique difficile, traitée avec humour et poésie, dans la tradition des comédies cubaines qui ne manquent jamais d’égratigner le système en vigueur sur l’île du caïman vert. Cette fable évoque l’isolement et l’angoisse vécue par les Cubains dans cette période très “spéciale”, dont les effets se prolongent encore de nos jours. Co-produit par les États-Unis, Cuba et l’Espagne, il est peut-être une concrétisation de l’émergence de nouveaux liens à l’échelle planétaire par delà les pouvoirs établis.

Daniel Pinós Barrieras

Article publié sur le site du Monde libertaire

Sergio et Serguéi. 1H 39. Sortie en salles le 27 mars 2019.
Prix du Public au festival de La Havane en 2017.


Enrique   |  Culture, Société   |  03 11th, 2019    |