Ana Mendieta/À l’épreuve de soi

Ana Mendieta est née en 1948 à Cuba,  elle s’exile très jeune puisqu’elle arrive aux Etats-Unis à l’âge de treize ans.  Elle y fait des études d’art et entame une série de performances dès 1972, qui  restent parmi les actions les plus radicales de l’histoire de l’art féministe. À  travers des expérimentations inédites, brutales et puissantes, Ana Mendieta a  puisé dans son expérience personnelle pour y extraire une œuvre sans compromis  et explorer des problématiques universelles comme la relation au corps, à la  nature, les femmes, l’exil, la violence, les identités (raciales, sexuelles et  culturelles), les discriminations et injustices sociales.

Dans un premier temps, Ana Mendieta  s’attaque aux violences subies par les femmes, s’infligeant différentes formes  de violences, en réalisant des actions choquantes ou provocantes comme le  sacrifice d’un animal ou la reconstitution publique d’une scène de son propre  viol, réel ou fictif (Rape Scene,  1973). Elle traite du viol et autres crimes, à partir de faits divers précis.  Par exemple, elle réalise People Looking  at Blood, Moffitt (1973) où elle a jeté un seau de sang sur le seuil de la  porte de son immeuble et a photographié les passants confrontés à cette flaque  de sang. S’intéressant ainsi à leurs réactions et à leurs comportements non  seulement à la vue du sang abondant mais aussi à la réalité, la preuve d’un  crime réel ou fictif. Les transformant en témoins à la fois actifs et passifs.  Le sang joue un rôle important dans ses premiers travaux, il traduit non  seulement le déchirement vécu par l’artiste en exil, mais aussi l’oppression  quotidienne subie par les femmes. Dans la série « Glass on Body »  (1972), Ana Mendieta colle son visage contre une vitre comme si elle voulait  absolument passer au travers, ainsi son visage est déformé, voire défiguré, le  verre symbolise ici le mur invisible contre lequel les femmes se heurtent dans  la société et dans leurs foyers. Son visage défiguré peut aussi nous rappeler  celui des femmes battues.

Par la suite, elle ancre son travail  dans la nature. Sans revenir à Cuba, elle séjourne au Mexique où elle produit  une série de photographies, de vidéos et de performances intitulée Silueta Works. Une série qui trouble les  frontières entre la performance (le body art) et land art. Elle travaille avant  tout sur le corps et la trace. Dans ce sens, elle procède à différentes  empreintes, recouvrements et moulages de son corps : creusé dans la terre, dans  la boue et le sable, enfoui sous des draps blancs, des pierres ou de la terre.  Des silhouettes couchées aussi formées à partir de peinture directement  appliquée sur le sol, ou de pierres, de fleurs et de branchages (auxquels elle  va parfois mettre le feu) etc. Grâce à une reformulation personnelle de rites et  rituels primitifs multiculturels, le corps étendu de l’artiste fusionne  littéralement avec les éléments. Présent ou en creux, il fait, au sens propre  comme au sens figuré, corps avec les paysages qu’elle traverse, et au sein  desquels elle procède à un camouflage discret et éphémère de son corps. Ana  Mendieta est ainsi ensevelie par ce qui constitue son environnement direct.  Chaque élément récolté est envisagé de manière symbolique, magique,  spirituelle, ancestrale et universelle.  Peu à peu elle construit une œuvre aussi troublante que fascinante, en lien avec  la maternité, la féminité, un certain apaisement retrouvé et son attachement à  Cuba traduit par cette fusion avec la terre. Les silhouettes traduisent  également son rapport à l’exil et à la notion d’appartenances, non seulement  géographique, mais aussi culturelle et personnelle.

Ana Mendieta est morte en 1985, à l’âge  de 37 ans suite à une chute (accidentelle ou volontaire) d’un immeuble de 34  étages. De son vivant, elle s’inscrivait dans le milieu culturel underground,  son œuvre est véritablement découverte en 1987 avec une première rétrospective  de son œuvre au New Museum Of Contemporary Art à New-York. Parce qu’elle est  morte jeune et parce que son travail a bouleversé et continue de bouleverser,  elle est aujourd’hui une icône de l’art féministe, de l’art postcolonial, du  body art et du land art.

Julie  Crenn

https://inferno-magazine.com

Plus d’informations sur l’œuvre d’Ana  Mendieta : http://www.galerielelong.com/


Enrique   |  Non classé   |  04 19th, 2019    |