Cuba : qui a peur de la littérature ? 1ère partie

Nous publions aujourd’hui la première partie d’une série d’articles publiés dans la revue Iztok et ayant pour thème : « Cuba : qui a peur de la littérature ? ». Cette revue, qui fut publié à Paris de 1980 à 1991, avait pour but principal selon ses éditeurs « de donner une information aussi précise que possible sur l’évolution des Pays de l’Est, les courants proches de la pensée libertaire de l’opposition qui s’y développe, les mouvements sociaux à caractère “révolutionnaire” qui y ont éclaté ou qui y éclateront ».

Iztok fut une revue éditée par un groupe d’exilés des pays de l’Est (Bulgarie, Pologne, Roumanie). Véritable source d’informations sur ces pays, elle disparut avec les régimes communistes totalitaires qui y sévissaient.


1. LA CHANTEUSE NOIRE DE BOLÉROS QUI EFFRAYA FIDEL

« Mon livre est une galerie de voix », dit Guillermo Cabrera Infante à propos de Trois tristes tigres. Ce livre s’oppose à l’oubli des nuits de La Havane dans les années cinquante, avant la révolution. C’est pourquoi il commence par un épigraphe de Lewis Carol tiré de Alice au pays des merveilles : « Elle essaya même de s’imaginer à quoi peut ressembler la flamme d’une chandelle lorsque la chandelle est fondue. » Malgré la rare mélancolie d’une telle phrase dont l’auteur, pourtant ennemi des définitions, a dit un jour dans un entretien : « L’histoire est un chaos concentrique » et « La seule certitude que nous avons dans la vie est que nous mourrons. Rien ne peut nous sauver du rien », le livre irradie humour et érotisme. Ou bien, peut-être, ce rire et cet érotisme ne brillent pas malgré la lumière éteinte des nuits de La Havane, qui vont au chaos de l’histoire, ou malgré le rien qui attend ceux qui ont vécu la beauté nocturne de la Havane et nous lecteurs, mais justement à cause de cela.

Tout le roman est voix : ses chapitres sont dits par les personnages à travers des fractions de conversations téléphoniques succédant aux monologues d’une femme sur le divan du psychanalyste, à travers des passages de lettres que des personnages écrivent à des inconnus, et des dialogues repris dans des monologues, nous reconstruisons les aventures nocturnes de trois jeunes hommes dans le labyrinthe urbain du port de La Havane, avant la révolution. Il y a une merveilleuse chanteuse noire de boléros. Et une femme (son nom, Laura, n’est pas dû au hasard) qui, étant donné l’amour impossible d’un des trois amis, se mariera avec le meilleur ami de celui-ci. L’histoire (ou les historiens), dit Cabrera Infante, « n’est pas essentielle. Elle n’est même pas importante. » Ce livre a des similitudes avec l’espace picassien, avec la gaieté de Miro : plusieurs dimensions s’entrecoupent, les personnages se multiplient, se dédoublent, se synthétisent, dans une galerie de miroirs qui est une galerie de voix. Ce qui importe est la langue incroyablement vivante des personnages qui remplit tout le livre. L’auteur s’imaginait qu’il serait compris seulement par les habitués de certains cabarets du centre de La Havane et que même les habitants de la banlieue de la ville ne le comprendraient pas. Pourtant, ce livre est devenu universel, une œuvre capitale de la langue espagnole. Son érotisme et son humour, ainsi que la « fascinante conduite urbaine nocturne des villes de ce siècle » dont parle l’auteur y sont pour une grande part. Mais aussi, et peut-être avant tout, le fait que la transparence de ce roman est dans la polysémie du langage, de la langue parlée. Son dernier mot est un cri : « Tradittori », allusion au jeu de mot italien Traduttorit-tradittori (traducteurs-traîtres). Finalement, la langue parlée est intraduisible dans la langue écrite. L’écrivain est un traître. De ce livre, l’un des plus importants de ce siècle (sans doute aussi l’un des plus amusants), son auteur veut qu’on le considère comme « une grande plaisanterie écrite, une plaisanterie qui dure cinq cents pages. »Cette œuvre est un livre anathème à Cuba.

En 1967, quelques mois après sa publication à Barcelone, un groupe d’intellectuels latino-américains et européens visitaient Cuba, à l’invitation de Castro. Avant les interviews à la télévision, ils étaient priés de ne pas mentionner le nom de Cabrera Infante. La tragédie de Heberto Padilla, l’un des poètes cubains les plus intéressants, commença le jour où il a défendu les qualités littéraires de cette œuvre. « Il n’y a pas de livre plus apolitique dans l’histoire de la littérature latino-américaine », dit Cabrera Infante. Il poursuit : « Il n’y a pas, non plus, un livre plus libre. » C’est, peut-être, la raison de la déraison de son interdiction : toute liberté est subversive. Les régimes totalitaires craignent plus la liberté individuelle que les vampires la croix.

Le roman du roman commence dans les toutes premières années de la révolution, avec ses premiers pas vers un régime totalitaire.

Fils de fondateurs du Parti Communiste Cubain, Cabrera Infante aime à dire qu’il apprit à lire en déchiffrant les bandes dessinées de Dick Tracy et Tarzan. Ses premiers travaux ont été des traductions du Daily Worker américain pour la presse communiste cubaine. Très jeune, il rompit avec le PCC. À vingt-trois ans, il a été emprisonné pour avoir employé des gros mots anglais dans ses nouvelles. Il est devenu célèbre comme critique de cinéma sous le nom de Cain. Pendant la révolution, il fit du trafic d’armes, travailla pour la presse révolutionnaire et contribua à la liaison entre le Directoire Révolutionnaire et le PCC.

Lorsque Castro est entré à La Havane, le premier janvier 1959, il avait trente ans. Il est devenu éditeur du journal Revolucion, chef du Conseil National de la Culture, haut fonctionnaire de l’Institut National du Cinéma et, ce qui sera le plus important pour la suite, directeur de Lunes, le supplément littéraire de Revolucion. Plus tard, Cabrera Infante dira de Lunes qu’elle fut « une des rares entreprises qu’il y ait jamais eu à Cuba dans un esprit de liberté pour la littérature. » Plus tard aussi, la bureaucratie de Castro fixera l’image officielle de Lunes de la façon suivante : « Elle oscillait continuellement entre une position pro-marxiste ou philo-marxiste et une autre franchement existentialiste et son désir, enfin, était de suivre la dernière vague qui arrivait des groupes rebelles de l’étranger. » En fait, la plupart des collaborateurs de Lunes avaient fait partie du groupe littéraire Ciclon, lié aux poètes beatniks américains et aux young angry men anglais. Pendant cette période, Cabrera Infante invita à Cuba des personnalités aussi diverses que le roi Jones, Wright Mills, Sartre, Sarraute… Cette collection débordante d’activités durera un peu plus de deux ans.

Au début de 1961, le frère de Cabrera Infante venait de filmer PM (Post Meridiem, après midi), un court métrage sur la vie d’une chanteuse noire de boléros. Le film montrait la vie nocturne de La Havane quelques années avant la révolution. Lors d’une projection privée à l’Institut Cubain d’Art et d’Industrie Cinématographiques, les censeurs ont décidé que ce film ne pouvait pas être montré. Quelques années plus tard, un fonctionnaire de la culture écrivit : « PM a été filmé indépendamment et à sa guise par son réalisateur, et lors d’une projection privée, on a trouvé qu’il exprimait des tendances étrangères à la révolution, et il fut interdit. » À l’époque, le film a été accusé d’« hédonisme non constructif », d’être « sexy », de « montrer trop de noirs », de donner une opinion « erronée » sur Cuba, « d’aider l’ennemi »… La revue Lunes protesta avec plus de deux cents signatures d’artistes et d’écrivains et posa la question de la liberté de création. L’adhésion des artistes au nouveau régime se trouvait ainsi compromise. Ceux qui connaissent le rayonnement politique des poètes et romanciers en Amérique Latine peuvent calculer la gravité de la situation. L’écrivain latino-américain est un homme public, un passionné de la politique, et la société lui donne une place de premier ordre dans la formation de l’opinion sur les affaires publiques. Ces jours-là devait avoir lieu le très officiel congrès de fondation de l’Union Nationale des Écrivains et Artistes de Cuba. Il fut reporté par le gouvernement et l’on organisa à la place des « Conversations dans la Bibliothèque Nationale » entre les intellectuels et Castro. Ce fut le lieu d’énonciation de la politique culturelle du nouveau régime ; le discours de clôture de Castro en deviendra l’un des deux textes fondateurs, la référence obligée, même lorsqu’il s’agit de débattre sur les qualités littéraires d’un poème ou d’un roman. L’autre texte fondateur sera un article du Che Guevara, publié par l’hebdomadaire Marcha de Montevideo, Uruguay, en 1965.

Il s’agit de trois réunions, pendant le mois de juin 1961, présidées par Castro et contrôlées par les communistes, au cours desquelles seul le groupe de Lunes posa la question de la liberté de création. Les débats ont été virulents et le discours final de Castro a dû glacer les gens de <>Lunes. Il s’est montré indigné que l’on pose la question de la liberté de création et d’expression. En disant qu’il « croyait rêver », il se demanda si « le souci de tous ne doit pas être la révolution elle-même » et si « les dangers réels ou imaginaires qui peuvent menacer l’esprit créateur » sont plus importants que « les dangers qui peuvent menacer la révolution elle-même. » Il déclare que « l’état d’esprit de tous les citoyens du pays, et l’état d’esprit de tous les écrivains et artistes révolutionnaires et de tous les écrivains et artistes qui comprennent et expliquent la révolution doit être : quels sont les dangers qui peuvent menacer la révolution et qu’est-ce que nous pouvons faire pour aider la révolution ? ». Et sur la liberté de création : « Seul peut s’en soucier celui qui doute de son art, celui qui doute de sa réelle capacité à créer. Et l’on peut se poser la question de savoir si un vrai révolutionnaire, si un artiste ou un intellectuel qui ressent la révolution et qui est sûr d’être capable de servir la révolution peut se poser se problème, c’est-à-dire si le doute est possible chez les écrivains et les artistes vraiment révolutionnaires. Je pense que non ; le champ du doute est celui des écrivains et des artistes qui sans être contre-révolutionnaires ne se sentent pas révolutionnaires […] Nous concevons que ce doit être une tragédie de comprendre ceci et de se reconnaître, pourtant, incapable de lutter pour cela. » Et plus loin : « Qui, ayant une sensibilité artistique, n’a pas la disposition du combattant qui meurt dans la bataille en sachant qu’il cesse d’exister physiquement afin de fertiliser avec son sang le chemin de la victoire de ses égaux, de son peuple ? […] Mais la révolution ne demande pas le sacrifice du génie créateur ; au contraire, la révolution dit : mettez votre esprit créateur au service de cette œuvre (la révolution) sans craindre que votre oeuvre en soit incomplète, dîtes-vous alors : cela vaut la peine que mon œuvre personnelle soit incomplète si l’on fait une œuvre comme celle que nous avons devant nous. »

Bref, la question de la liberté de création n’a pas de sens, il est douteux d’être artiste et de ne pas adhérer au régime, il est de même douteux qu’un vrai artiste se pose la question de la liberté de création (puisque son principal intérêt comme artiste est celui d’être un soldat). Mais si jamais il y a un artiste qui, sachant cela, se pose la question, c’est une « tragédie ». Et effectivement, ça a été une « tragédie ».

Avec sarcasme, Castro a dit aussi en parlant de PM : « vraiment, je pense qu’aucun film n’a reçu autant d’honneurs et n’a été aussi discuté. » Le film, déjà interdit a été séquestré après ces réunions. Un mois après a eu lieu le congrès de fondation de l’UNEAC. La revue Lunes a été interdite en automne de la même année.

Réduit à l’oisiveté, Cabrera Infante assuma une attitude d’extranéité à l’égard du régime. Il écrira en 1962 : « À la paranoïa critique, j’oppose la schizophrénie érotique. » Il commence alors à cultiver l’humour dans son écriture. Le premier texte où il se propose de faire rire, c’est l’introduction à une anthologie de ses critiques de films. Il y fait un portrait de Cain, pseudonyme avec lequel il signait, et annonce sa mort : c’est la mort de son écriture politique. (Il avait écrit des nouvelles où il montrait la violence de la dictature de Batista). Ce rire commence là où la politique finit. Il observe la constitution de la bureaucratie de Castro. Le processus formalisait les inimitiés traditionnelles de la société littéraire. Il écrit en 1962 sur les commissaires de la culture : « … Leurs machinations politiques, leur habileté dans les assemblées, leur capacité florentine pour l’intrigue et le bouillon de culture du régime ont multiplié leurs fac-similés par mitose léniniste et ils en ont fini avec la revue Lunes et avec bien d’autres choses, dont l’espoir, par un bond du concret à l’abstrait qui n’aurait peut-être pas fait plaisir à Marx mais qui aurais rendu heureux Hegel. »

Sur l’idée de la littérature que se faisait maintenant le pouvoir à Cuba Cabrera Infante écrit : « La politique en exercice est un pur opportunisme en fonction, étranger donc à la littérature, qui tend à une forme de pérennité même dans ses formes les plus éphémères. Lorsque l’on songe à la quantité de littérature qui a été faite comme pur divertissement (du Satyricon ― divertissement pour Néron ― aux Comics ― divertissement pour enfants ―) et qui a duré des siècles, qui a surmonté la faillibilité des moyens de reproduction, l’inimitié de l’Église et son caractère purement éphémère, lorsqu’on pense que pourtant là, à côté, sur mes étagères, on trouve le roman de Pétrone et Les cas célèbres de Dick Tracy dans la même bibliothèque, lorsqu’on réfléchit a ce rapport étroit entre ce qui est éphémère et ce qui est pérenne, on ne peut qu’admirer la durée de la littérature. On a dit plusieurs fois, on l’a répété, que la politique entre guelfes et gibelins, asservissante à son époque, est disparue, a été oubliée, tandis que la Divine Comédie restera pour toujours au dessus même du symbolisme religieux qui lui donne sa forme. Cette analogie est toujours vraie. Quant à la politique en forme de livre, (Das Kapital, Mein Kampft, La historia me absolvera), elle est une autre branche de la littérature, comme l’épique ou les nouvelles, et il faut la juger en tant que telle. Parmi ceux que j’ai cités il est évident que Marx est le meilleur écrivain, il se permet ce que les autres ne soupçonnent même pas : l’humour. Mais, bien sûr, Marx n’était pas un tyran. »

Interrogé sur ce qu’est la littérature, il répond par une citation de Louis Armstrong sur le jazz : « Si je dois te dire ce qu’il est, tu ne le sauras jamais. » Ou bien il répond simplement : « des mots. »

Interrogé sur le sens de son œuvre, il répond : « Je voudrais que mon œuvre soit comme des bases instables pour un monument à l’irrespectabilité. Les vaches sacrées dans la littérature, dans la politique, dans l’histoire, dans le langage, ça suffit : que rien de ce qui est humain ne soit pas divin ! »

Avec une ironie arrogante (ou bien une sage précaution), il a été nommé vice-président de l’UNEAC. La même année, il a été exilé, sous une forme traditionnelle en Amérique Latine pour éloigner les personnalités encombrantes, en étant nommé attaché culturel en Belgique.

À cette époque, en 1962, il commence à travailler sur un roman qui serait intitulé « Elle chantait les boléros ». Le roman aurait récupéré l’histoire de la chanteuse noire, perdue avec PM. En fait, ce travail a abouti à Vue du lever du soleil sous les tropiques. Ce livre a remporté en 1969 le plus haut prix auquel peut aspirer un roman écrit en espagnol, le prix Seix-Barral de Barcelone. Pourtant, ce livre a été interdit en Espagne franquiste et il n’a pu être publié qu’après être passé sous les ciseaux de la censure. Par la suite, Cabrera Infante a conservé certaines de ces coupures : il juge qu’elles ont apporté des améliorations inattendues au texte.

En 1965, Cabrera Infante se rend à La Havane pour l’enterrement de sa mère. Non seulement il y est grossièrement inquiété, mais il trouve que La Havane est devenue « une ville fantôme ». Il écrira sur ce voyage, à la troisième personne : « Même s’il déteste regarder ce que l’on a fait de son île, même s’il est écrasé par la contemplation d’une Pénélope folle qui tisse tous les jours un tapis différent, que tous doivent certifier comme étant l’original, il se console en se remémorant l’épitaphe que Cavafy écrivit pour son île : “Itaca t’a donné le beau voyage…” ». Et il précipita son retour en Europe pour ne plus jamais revenir à La Havane.

Il démissionne de son poste diplomatique.

Son séjour en Espagne est limité par la méfiance du gouvernement de Franco envers ce révolutionnaire cubain qui avait publié de la littérature anti-franquiste. Libre de tout compromis autre que littéraire, il se met à refaire complètement Vue du lever du soleil sous les tropiques. Il élimine les concessions réalistes et surtout un certain manichéisme marxiste, avec ses héros positifs et négatifs. C’est à dire qu’il refuse de se placer dans la même position que la littérature picaresque espagnole au temps de l’Inquisition, lorsque les immoralités étaient seulement tolérées par les longs paragraphes de justifications morales. Le texte qui en résulte s’intitule Trois tristes tigres (publié en 1967).

En opposition à l’image libertaire qui, à la fin des années 60, est devenue celle du Che Guevara, ses opinions sur la littérature étaient encore plus dures que celles de Castro, bien que moins soldatesques. La même année où Cabrera Infante libérait son texte des contraintes, en 1965, Che Guevara écrivait un article dans l’hebdomadaire Marcha de Montevideo. Ce texte est devenu l’un des deux piliers de la politique culturelle à Cuba. Il est presque aussi important que celui de Castro. Entre autres choses, il y écrit que l’art est une évasion et que l’art de ce siècle est décadent : « Depuis longtemps, l’homme essaie de se libérer de l’aliénation par la culture et l’art, il meurt journellement pendant huit heures et même plus, durant lesquelles il agit en marchandise, pour ressusciter après dans sa création spirituelle. Mais ce remède porte en lui les germes de la même maladie : c’est un homme solitaire qui recherche la communion avec la nature […] Il s’agit seulement d’une tentative d’évasion […] Si l’on respecte les lois du jeu, l’on a droit à tous les honneurs, ceux qu’un singe pourrait avoir lorsqu’il invente des pirouettes. La condition est de ne pas essayer de s’échapper de la cage invisible. » Et plus loin : « Nous, les révolutionnaires, manquons souvent des connaissances et de l’audace intellectuelle nécessaire pour affronter la tâche du développement d’un homme nouveau par des méthodes autres que celle conventionnelles, et les méthodes conventionnelles subissent l’influence de la société qui les a créées […] La désorientation est grande et le problème de la construction matérielle nous absorbent. Il n’y a pas un artiste de grande qualité qui ait à la fois une grande qualité révolutionnaire. Les hommes du parti doivent prendre cette tâche entre leurs mains et rechercher l’objectif principal : éduquer le peuple. »

Ce mot affolé : « les hommes du parti doivent prendre cette tâche entre leurs mains », n’est pas tombé dans le vide. Le groupe littéraire El Puente a été liquidé la même année.

Au cours des six premières années de la révolution, deux groupes littéraires ont été liquidés : Lunes (1961) et el Puente (1965), et deux des plus grands romanciers cubains ont choisi l’exil : Cabrera Infante, mais aussi Severo Sarduy, exilé volontaire et l’un des romanciers cubains les plus originaux.

Conrado Tostado/Iztok n°9 (septembre 1984)

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PM. PASADO MERIDIANO

C’est en 1961, voilà plus d’un demi-siècle, que ce film sur la nuit havanaise fut présenté à La Havane. Ce documentaire a été réalisé par Orlando Jiménez Leal et produit par Saba Cabrera, le frère de Guillermo Cabrera Infante. Tous deux furent les précurseurs de la nouvelle télévision cubaine.

Avec le triomphe de la révolution cubaine, un nouveau climat culturel existait dans l’île. Ce climat était reflété dans la revue “Lunes de Revolución” que dirigeait Guillermo Cabrera Infante et au sein de laquelle Carlos Franqui y Néstor Almendros agissaient dans la nouvelle atmosphère expérimentale.

Orlando Jiménez Leal voulait faire le portrait de La Havane nocturne, Saba Cabrera lui apporta son aide et tous deux installèrent des caméras, sans aucune lumière, dans le paysage nocturne où la rumba, l’alcool, l’ambiance de la rue, des bars, des arrières-cours, les coins de rue formaient un décors mouvant avec des ombres dans la nuit.

Le film fut tourné en décembre 1960, produit en janvier 1961 et la même année il fut programmé à la nouvelle télévision d’État. “L’accueil a été très bon” écrivit Néstor Almendros dans la revue culturelle Bohemia : “Voici un documentaire qui est un véritable joyau du cinéma expérimental”.

À l’extase succéda la censure, non seulement le film fut interdit, mais il fut également confisqué, au motif qu’il montrait une vision trop négative de la Cuba né après la révolution. C’est à cette époque que s’affirmèrent les projets libertaires du groupe dirigé par Guillermo Cabrera Infante.

“Mais pour arriver à la dissolution de fait de la naissante culture né de la Révolution, les artisans du film vécurent un long calvaire, incluant au passage le fameux discours de Castro. S’adressant aux cinéastes coupables lors d’un procès, qui eut pour scénario la Bibliothèque nationale, il lança la phrase désormais célèbre : “Avec la Révolution tout, contre la Révolution rien”.

PM conduit à l’exil Guillermo Cabrera Infante, son frère Saba, Orlando Jiménez Leal et Néstor Almendros. Ils s’exilèrent après avoir subi un acte de répudiation liée à l’interdiction de Pasado Meridiano.


Enrique   |  Culture   |  09 9th, 2011    |