Une critique de gauche du Venezuela de Chavez

Rafael Uzcategui est un des animateurs de la principale organisation vénézuélienne de défense des droits de l’homme, Provea (Programme vénézuélien d’éducation et action en droits humains). Il est aussi un militant anarchiste, collaborateur du journal El Libertario, de Caracas.

Son ouvrage Venezuela : révolution ou spectacle ? (éditions Spartacus, 272 pages, 14 euros) propose une critique de gauche du « chavisme ».

On n’est pas obligé de partager ses références théoriques, ni sa manière de renvoyer dos à dos la « révolution bolivarienne »incarnée par le président Hugo Chavez et l’opposition vénézuélienne.

Cependant, son analyse minutieuse des réalités, étayée par des sources officielles, mérite le détour.

Uzcategui démonte l’argumentaire d’une bonne partie de la gauche internationale, qui soutient le leader vénézuélien, tout en se démarquant de certains aspects indéfendables. Il part de la vie quotidienne des Vénézuéliens, pour chercher ce qui a vraiment changé depuis 1999, lorsque le lieutenant-colonel Chavez est arrivé au pouvoir par les urnes, après avoir échoué à le prendre par les armes.

Il s’interroge sur l’explosion de violences et la « pandémie d’homicides » au cours de cette période, en contradiction avec l’amélioration des conditions de vie suggérée par la propagande officielle. Il examine la situation des travailleurs, la création de syndicats chavistes – à défaut d’être parvenu à contrôler le syndicalisme – et la criminalisation de la protestation sociale.

Les programmes sociaux font aussi l’objet d’un bilan critique, sans nier pour autant leurs retombées positives. Ainsi, les postes de santé installés à l’aide de personnel cubain s’accompagnent d’une dégradation des soins par l’abandon des hôpitaux publics. Les efforts en matière d’éducation n’ont pas été suivis de progrès qualitatifs. Les diplômés des nouvelles universités « bolivariennes » n’ont pas le même niveau des professionnels formés par les universités publiques précédentes, majoritairement rétives au chavisme, malgré leur traditionnel ancrage à gauche.

Chavez procède par la mise en place de structures parallèles, directement reliées au sommet de l’Etat. Les programmes sociaux deviennent ainsi les instruments d’un clientélisme décidément peu républicain. Les « conseils communaux » et les mouvements sociaux doivent prêter allégeance au chef de l’Etat, qui tient les cordons de la bourse, au prix de leur autonomie. L’opacité favorise la corruption. Comment parler de « démocratie participative », alors que le pouvoir domine l’échafaudage institutionnel de manière verticale ?

L’économie rentière du pétrole est la clé de voûte du chavisme, qui n’a pas tellement innové en matière de souveraineté, malgré son discours nationaliste. Le Venezuela n’a jamais été aussi dépendant de l’or noir. Les multinationales s’en sont d’ailleurs accommodées sans difficultés. Et les partenaires commerciaux aussi, car désormais les Vénézuéliens importent presque tous leurs biens de consommation et leurs denrées alimentaires, et personne ne crache sur les pétrodollars.

L’auteur insère son analyse dans une vision historique du Venezuela, quitte à rappeler au lecteur à quel point les années Chavez ressemblent à d’autres moments du passé.

Le caudillisme, le militarisme, loin d’être une innovation, sont une constante du pays, souvent dissimulée, comme maintenant, par le culte à Simon Bolivar, patriarche de l’indépendance, pour mieux légitimer le culte du chef de l’Etat lui-même.

La nouveauté réside sans doute dans la capacité à instrumentaliser les médias au profit d’une politique. Uzcategui invoque à ce propos Guy Debord et La société du spectacle (éditions Gallimard). Aujourd’hui, le dispositif du chavisme domine largement le spectre médiatique vénézuélien. La propagande est omniprésente.

L’édition française n’a pas été traduite de l’original en espagnol, mais de la version en anglais publiée aux Etats-Unis. Dommage.

Paulo A. Paranagua

Publié dans le blog “Amériques” du Monde le 4 octobre 2012

http://america-latina.blog.lemonde.fr/2012/10/04/une-critique-de-gauche-du-venezuela-de-chavez/


Enrique   |  Actualité, International, Politique   |  10 4th, 2012    |