Une allégorie politique sur Cuba remporte le prix Goya du meilleur film d’Amérique latine

Une production cubaine indépendante, Juan de los Muertos (Jean-des-Morts), a remporté, dimanche 17 février à Madrid, le prix Goya du meilleur film latino-américain.

Juan de los Muertos, réalisé par Alejandro Brugués (2011), est le premier film sur des morts-vivants tourné à Cuba, avec des effets spéciaux dignes des séries B produites à Hollywood ou en Grande-Bretagne.

Il a suscité la curiosité et même l’enthousiasme parmi les Cubains, d’autant plus compréhensible que l’allégorie est transparente.

Des morts-vivants envahissent La Havane. Ils renvoient à la fois aux piliers d’une société gérontocratique, en pleine décrépitude, et à tous ceux contaminés par la même attitude, une épidémie qui semble imparable.

Tandis que les zombies prolifèrent, un parasite décide de profiter de la situation et de s’installer à son propre compte. Sa réponse au téléphone annonce la couleur : “Ici Juan de los Muertos, nous tuons vos êtres chers “! Les travers d’une économie et d’une société en phase terminale sont traités sur le mode humoristique, avec une utilisation parodique des poncifs du film d’horreur.

La performance de l’équipe ne découle pas uniquement de son indépendance par rapport aux structures de production en vigueur dans l’île depuis un demi-siècle. Elle vient surtout du dosage parfait des allusions, compréhensibles à demi-mot par le public cubain mais suffisamment subtiles pour passer à travers les mailles de la censure.

Pour les autres publics, le spectacle a l’attractivité, inhabituelle, de situer les scènes d’horreur dans des décors naturels jusqu’ici vierges pour le film de genre : le fameux Malecon, le boulevard du bord de mer de La Havane, ou la non moins connue Place de la Révolution, lieu des grand-messes politiques du castrisme, avec son immense portrait de Che Guevara.

L’allégorie politique sur un ton sarcastique a un illustre antécédent à Cuba : Alicia en el pueblo de las Maravillas (“Alice au peuple des merveilles”), réalisé par Daniel Diaz Torres en 1990.

La différence est qu’il s’agissait d’une production de l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographiques (ICAIC). Elle a d’ailleurs failli être son chant du cygne.

En effet, à l’époque, les réactions des médias officiels avaient été virulentes, prônant une dissolution de l’ICAIC, alors que Juan de los Muertos suscite des commentaires plutôt amusés. En l’espace de vingt ans, il a bien fallu desserrer les vannes. L’ICAIC a survécu à la crise d’Alicia en el pueblo de las Maravillas, même si, aujourd’hui, il est l’ombre de ce qu’il était avant la fin des subsides soviétiques. Comme tant d’autres, il est devenu un mort-vivant.

Paulo A. Paranagua

Blog América latina du journal Le Monde

http://america-latina.blog.lemonde.fr


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