La Foi dans la Révolution…

La Foi dans la Révolution…

Faut-il se plaindre ou se féliciter de l’actuelle perte de Foi dans la Révolution? La révolution est-elle un acte de foi ou une lutte permanente pour l’égalité et la liberté?

Que cela nous plaise ou non, la Foi dans la Révolution a énormément reculé dans le monde, et cela est facilement constatable, même parmi les classes laborieuses qui supportent le plus l’exploitation brutale capitaliste. Même ceux qui continuent aujourd’hui à se proclamer Révolutionnaires, le font avec une telle conviction qu’il est difficile de savoir s’ils le font par fidélité à un passé nostalgique ou pour faire preuve d’un certain radicalisme; puisque dans aucun cas, leurs conduites sont une véritable preuve d’une praxis radicale, d’une action réelle de démolition de l‘ordre capitaliste régnant. Au mieux, quand de telles proclamations ne sont pas démagogiques ou de pure façade, elles reflètent seulement les désirs de transmuter en réalités la rhétorique révolutionnaire ou de montrer que l’on n’a pas renoncé à l’idéal émancipateur… en succombant à l’enchantement réformiste…
La perte de la Foi dans la Révolution est incontestable, et plus que le mirage du bien être matériel atteint à travers les luttes réformistes ou l’intégration majoritaire du prolétariat à l’idéologie du consumérisme capitaliste, cette désaffection semble provenir plutôt de l’échec de la rencontre de cette Foi avec la réalité de la Révolution. Ou, au moins, de la réalité de la Révolution telle qu’elle avait été pensée et tentée il n’y a pas si longtemps; puisque, autant pour les marxistes que les anarchistes, la Révolution était et devait être, une forme sociale égalitaire imposée nécessairement par la force.
De là, pour eux, l’opposition entre Révolution et Réformisme, entre ceux qui se proclamaient “Révolutionnaires” et ceux considérés “Réformistes” suspectés de ne pas vouloir mettre fin au système capitaliste. Car, plus que le dilemme entre le maintenant et le lendemain, c’était la nécessité de la violence révolutionnaire -pour vaincre la violence du Capital et celle de l‘État- qui était en arrière-fond. C’est-à-dire: la Foi en ce que la Révolution n’était et n’est possible qu’avec la victoire du Prolétariat sur le Capitalisme, dans cette guerre sociale, politique et parfois militaire, que l’inconciliable disparité d’intérêts maintient ouverte entre ces deux classes sociales.
C’est donc face à la disjonctive Révolution ou Réformisme que les marxistes et les anarchistes avaient la même Foi pour la Révolution, sans se rendre compte qu’ils se contredisaient dans la dénonciation du Réformisme ou du « possibilisme » politique et social : les marxistes, pour participer au parlementarisme et les anarchistes au syndicalisme. Bien que, tant les uns que les autres, crurent pouvoir dépasser une telle contradiction en se proclamant toujours « Révolutionnaires » et en tentant de réaliser des actes insurrectionnels quand les conditions étaient propices ou en proclamant la Révolution quand ces actes évoluaient favorablement : Russie, en 1917, Espagne, en 1936.

Les causes…
Mais, aujourd’hui nous savons ce que l’histoire est devenue après ces expériences et comment finirent les Révolutions triomphantes, celles qui réussirent à s’imposer par la force et se transformèrent en systèmes dictatoriaux. Et nous savons que cela fut ainsi parce que ces praxis, ces actions qui se prétendirent ou qui, dans quelques cas, continuent à prétendre être des Révolutions, ne changèrent pas les relations de soumission et d’exploitation au sein de ces sociétés. En plus de se montrer incapables d’autocritique et, en conséquence, incapables d’éviter de devenir Ancien régime…
Voici donc le constat : un siècle de Révolutions triomphantes, ayant prétendu toutes, sans aucune exception, avoir réussi à instaurer le socialisme ou le communisme, et ayant fini par restaurer le capitalisme au bénéfice de la bureaucratie transformée en oligarchie. Et, le pire, c’est qu’elles ont fini ainsi après avoir imposé la terreur comme forme de gouvernance et de contrôle de la population; une population transformée premièrement en masse salariée du capitalisme d’État et, enfin, masse salariée du capital privé dans les mains des apparatchiks.
Un constat indéniable: confronté avec sa praxis politique et sociale, l’idéal révolutionnaire a toujours abouti à un échec. Devant un tel gâchis, comment continuer donc à avoir Foi dans la Révolution ?
C’est vrai que toutes ces expériences ont commencé déjà contaminées par le virus de l’autoritarisme et de l’exclusivisme idéologique; car toutes commencèrent ou finirent dirigées par un Parti unique et nécessairement par un Caudillo. C’est donc logique, inévitable, que, dans de telles conditions, l’on ait fini par confisquer et par soumettre l’élan révolutionnaire des masses aux ambitions du pouvoir du Caudillo ou de l’élite qui prétendait et prétend incarner la Révolution.
Oui, c’est évident que cette orientation autoritaire, hiérarchique, fut la cause déterminante qui empêcha toutes ces expériences révolutionnaires de passer du « socialisme réel » (capitalisme d’État) au vrai socialisme ou au communisme avec liberté. Car, considérer la propriété d’État comme unique propriété sacrée, c’est de toute façon sacraliser le droit de propriété et lui faire occuper à nouveau une position centrale dans la Révolution, devenant alors la propriété étatique le paradigme de tous les droits fondamentaux. Et, en conséquence, c’est la classe qui détient le pouvoir, et qui a en charge l’État, l’unique à profiter de la valeur produite par le peuple au travail… C’est évident que, dans une telle situation, cette classe n’a aucun intérêt à renoncer aux privilèges acquis. Au contraire, qu’elle fera tout ce qui sera en son pouvoir pour éviter que le peuple puisse socialiser les moyens de production et qu’elle préférera la reconstitution de l’ordre bourgeois historiquement hégémonique.
Comment les marxistes ont pu croire à la disparition progressive de l’État, au suicide de cette nouvelle classe?
Oui, c’est cette croyance naïve qui est surprenante, et c’est en cela que la prophétie marxiste eut son échec le plus significatif et le plus lourd de conséquences pour la Foi des masses dans la Révolution…
Mais, même si cela est vrai et a été ainsi parce que le « modèle » révolutionnaire suivi fut le marxiste, on ne peut pas dire que, si c’était le « modèle » anarchiste qui avait été suivi (tant dans l’étape insurrectionnelle que dans la post-insurrectionnelle), on serait arrivé à un résultat fondamentalement différent. Non seulement parce ce n’est pas possible de l’affirmer sans expériences historiques qui l’auraient prouvé, mais parce que la Révolution anarchiste, ayant été imposée également par la force, aurait créé inévitablement des conditions semblables de hiérarchisation de la lutte et de la gestion du triomphe révolutionnaire. Tel qu’on a commencé à le constater dans les premiers pas de la très éphémère « Révolution espagnole ».

Besoin donc de reconsidérer…
Le problème est donc la manière de considérer la Révolution… Une révolution conçue comme un accouchement aux forceps, comme l’aboutissement d’une lutte armée et d’un triomphe militaire… L’assaut des Palais d’Hiver… La disparition du Capitalisme par le miracle d’une Grève Générale Révolutionnaire, avec le Peuple armé désarmant la Police et l’Armée… Ces projets conçus par des théoriciens croyant avoir le pouvoir d’inventer et de façonner le devenir historique…Rêves d’un autre temps qui restent enfouis dans les tiroirs de l’Histoire (officielle ou contestataire), et que personne n’ose aujourd’hui défendre publiquement! Et cela, quoique le système capitaliste montre à nouveau et cyniquement ses entrailles, sans avoir peur de se présenter tel qu’il est réellement : un système d’exploitation et de domination irrationnel, brutalement injuste et absurde, puisque gaspilleur et destructeur de notre planète.
Comment pourrait-on faire abstraction aujourd’hui de cette situation inédite mais aussi exceptionnelle; car, pour la première fois dans l’histoire de la lutte contre l’exploitation et la domination, l’alternative n’a pas été si brutalement évidente, si claire et urgente pour l’humanité: ou elle change de cap ou bien nous continuerons dans la barbarie, mettant même en danger la continuité de l’espèce humaine. Et, comment faire semblant de ne pas voir que c’est ce système, ce modèle productiviste et consumériste, celui qui continue à être suivi, en complicité avec les transnationales capitalistes, par tous ceux qui prétendent gouverner aujourd’hui au nom du « socialisme ».
Devant un tel présent et un tel avenir, nous avons donc le devoir de réagir urgemment… Il faut empêcher, avant qu’il ne soit trop tard, qu’une perspective si dangereuse puisse se réaliser. Et c’est pour cela qu’il est nécessaire et urgent de ne pas persévérer dans ce messianisme qui nous a amené tant de fois à l’échec. De là le besoin de reconsidérer l’idée même de Révolution. Non seulement pour éviter de nouveaux échecs mais aussi pour rendre possible la multiplicité des résistances et la création d’espaces communs de liberté et de créativité. Ce processus qui est déjà à l’oeuvre, car dans ces espaces de résistance anticapitaliste, de liberté et de créativité, on trouve déjà beaucoup d’anarchistes et de marxistes dénonçant les échecs de ces Révolutions qui n’ont pas pu socialiser les moyens de production et la force du travail ayant instauré le capitalisme d’État. Ces Révolutions qui en revinrent au capitalisme privé, contribuant ainsi à consolider l’illusion, génératrice de défaitisme et d’impuissance, d’une prétendue efficience du pouvoir global capitaliste.
En effet, le fait nouveau et très important, c’est qu’aujourd’hui beaucoup de marxistes font ce constat et produisent une analyse qui les amène à questionner l’idée de l’exceptionnalité de l’État comme transcendance de la société : tant dans la base du pouvoir actuel comme dans celle du pouvoir révolutionnaire. Non seulement par sa tendance, inavouée mais congénitale, à devenir une structure bureaucratique et oligarchique permanente, mais aussi parce que c’est une forme sûre d’engendrer de la soumission, du défaitisme et de la passivité. Et, en plus, parce que l’État et le public sont consubstantiels avec la propriété, et la propriété, soit privée ou publique, elle est et sera toujours l’ennemie de la liberté et du commun.

Transformer l’obédience en désobéissance…
Comprendre et admettre cela n’a pas été facile, il en a coûté beaucoup d’échecs et d’interrogations… Mais il est évident que, dans de telles conditions, c’est mieux de n’avoir plus Foi que d’en avoir. Et, plus encore, si elle est aveugle, inconditionnelle. Surtout si elle concerne la Révolution; car c’est cette Foi, obligatoirement religieuse, qui nous pousse à sacraliser l’idée de Révolution et à considérer comme ennemis tous ceux qui ne croient plus en elle. Cette Foi qui s’exprime très souvent par des phrases apparemment anodines et même belles -telles que « la magnificence et sublimité du compromis révolutionnaire »-, mais qui peuvent finir par se traduire en actes qui donnent froid dans le dos. Et de cela nous en avons eu trop d’exemples tout au long de ce siècle de Révolutions triomphantes, et toutes, absolument toutes, finalement dénaturées, trahies, fracassées.
Il faut donc tenir compte de ceci et ne plus oublier que la révolution ne doit pas être un acte de Foi, même pas pour construire un paradis ici, sur la Terre. Et encore moins si ce paradis doit surgir d’un cataclysme… Ce qui nous a été clairement averti par le défunt Heward Zinn: « Attention avec de tels moments ! »
Et je le rappelle parce que, moi aussi, je considère que le changement révolutionnaire, la révolution, doit être commencé dès maintenant… En commençant par nous défaire des relations autoritaires à chaque instant et lieu dans notre vie quotidienne, rompant avec la logique de l’obéissance que le pouvoir, toute forme de pouvoir, essayera de nous imposer et de suivre… Lui résistant, pratiquant la désobéissance et donnant l’exemple de comment nous voulons vivre ; car ce sont ces actions, même « les plus petites actions de protestation dans lesquelles nous participons », qui se convertissent peu à peu « en les racines du changement social ».
C’est donc ce défi radical et permanent, à l’état des choses que le système dominant nous impose, l’unique capable de préparer dès maintenant le changement révolutionnaire de demain. Un changement qui ne s’annonce pas avec des fanfares, et, encore moins, avec des mobilisations encadrées par chefs et slogans. Un processus qui n’est pas une création ex nihilo mais une métamorphose de la société, qui se fait présent partout et nulle part, impulsée par des gens avec dignité et courage suffisant pour défendre consciemment ses propres formes de vie. C’est l’insurrection des consciences qui affirme sa volonté d’exister librement, dans des pratiques sans relations d’obéissance ou de commandement, dans l’égalité et l’autonomie. Ces pratiques qui pèseront nécessairement sur l’avenir et sans lesquelles la révolution ne serait qu’un Projet messianique et le révolutionnaire un bigot priant inlassablement dans les brumes théologiques de la Foi en la magie décisoire de l’Autorité et du Pouvoir révolutionnaires.
Je crois donc qu’il ne faut pas regretter le recul de cette Foi et qu’il faut encourager -partout où nous pouvons le faire et au-delà de toute forme de sectarisme- la participation à ces pratiques de désobéissance et d’agir en commun… Ce n’est pas la promesse d’un lendemain qui chante mais un engagement, conscient et conséquent, qui s’est toujours avéré payant pour la transformation des sociétés!
Octavio Alberola


Hugo Sanchez   |  Analyse   |  03 18th, 2010    |