Les inondations récurrentes à La Havane
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La fureur ne venait pas de la mer, avec le rugissement d’un ouragan, mais du ciel, gris et indifférent. Ce fut une agonie lente. D’abord, les gouttes lourdes, annonçant l’arrivée de la pluie. Puis, un déluge constant et implacable pendant des heures. Les rues de La Havane se sont transformées en torrents déchaînés. Ce n’était pas une surprise ; c’était la répétition d’un cauchemar bien connu. Un rappel cruel une fois de plus : l’effondrement d’un système d’égouts qui, depuis des décennies, crie au secours.
La première chose qui frappe, c’est l’odeur. Un mélange nauséabond d’eau stagnante, de carburant renversé et de la puanteur des ordures emportées par les flots depuis les décharges. L’eau descend des hauteurs de la ville, cherchant désespérément une sortie que les égouts bouchés lui refusent.
Dans de nombreuses zones de La Havane, la situation est digne d’un tableau de l’enfer. Les bicitaxis se transforment en fragiles canoës. Les conducteurs deviennent des héros anonymes, risquant leur vie pour traverser ce qui, hier encore, était une rue, et qui aujourd’hui est un canal. Les habitants des rez-de-chaussée voient la boue et les eaux usées envahir leurs salons. C’est un exode forcé à l’intérieur même de leur maison : on monte les meubles, les appareils électroménagers et les souvenirs, en attendant que l’eau se retire.
Un problème avec l’odeur du XIXe siècle
Les experts — ceux dont la voix se perd souvent dans la bureaucratie — ne doutent pas de l’origine du problème. Le système d’égouts de la majeure partie de La Havane date de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Il a été conçu pour une ville plus petite, moins peuplée et soumise à un autre régime climatique. Aujourd’hui, il est effondré, saturé et brisé. Les conduites, rongées par le temps et le manque d’entretien, sont incapables d’absorber le volume d’une pluie intense, phénomène de plus en plus fréquent à l’ère de la crise climatique.
Le changement climatique n’est pas une abstraction dans les Caraïbes. C’est l’intensification des phénomènes météorologiques. Les fameuses « pluies de conception » — celles pour lesquelles le système avait été conçu — sont désormais dépassées par des événements extrêmes devenus plus fréquents. Mais même avec des pluies normales, le système montre des signes alarmants. La Havane est inondée non seulement à cause de la force de la nature, mais aussi à cause de l’indolence accumulée pendant des décennies.
Les paradoxes de la profession : savoir et ne pas pouvoir
Dans cette situation, il y a une autre couche de frustration : celle des professionnels — ingénieurs, hydrologues, ouvriers de l’entreprise des eaux et de l’assainissement. Ils connaissent les solutions. Ils ont les plans, identifient les goulets d’étranglement, pointent les zones critiques. Mais ils se heurtent à un mur de limitations matérielles et, parfois, à l’inertie institutionnelle.
Le manque de ressources est accablant : pas assez de camions de pompage, les tuyaux de rechange sont un luxe, les équipements de protection sont insuffisants. On agit en mode d’urgence permanent, colmatant les trous au lieu de reconstruire la route. Dans certains cas, l’absence de supervision et la culture du « système D » ont mené à des solutions qui ne sont que des rustines — et qui, à long terme, aggravent le problème : branchements illégaux, déchets solides jetés dans les avaloirs, travaux réalisés sans respecter les plans techniques.
Une histoire qui se répète
Les archives de la presse sont un catalogue de catastrophes récurrentes. Et pourtant, les promesses sont toujours les mêmes : on nettoiera les égouts, on réhabilitera les réseaux, on achètera des machines. Mais une fois les eaux retirées, la mémoire institutionnelle semble s’effacer… jusqu’à la prochaine pluie. Les habitants de La Havane se résignent, nettoient, reconstruisent avec ce qu’ils ont. Ils regardent le ciel non pas avec espoir, mais avec crainte.
Safie M. González
Havana Times
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