La machine à harceler pointée sur un chercheur contre le cancer

Le jeune Oscar Casanella reçoit des menaces sur la voix publique par des « représentants » de la révolution et la Sécurité de l’Etat (Seguridad de Estado) veut lui retirer son poste.

La Havane, Cuba.

Quelqu’un a probablement écouté les conversations téléphoniques d’Oscar Casanella. Ce dernier était alors en train d’organiser avec ses amis une soirée pour fêter le retour de l’étranger de Ciro, guitariste du groupe punk-rock Porno Para Ricardo.

Soudainement, le jeudi 5 décembre 2013, à 21h15, juste en face de chez lui (au 634 de la rue La Rosa, entre les rues Boyeros et Ermita, dans le quartier Plaza de la Revolución, à La Havane), quatre inconnus, deux hommes et deux femmes d’une soixantaine d’années, lui barrèrent la route pour lui dire : « Oscar, n’organisez rien dans les prochains jours. Si vous le faites, vous en subirez de graves conséquences. Des gens que vous ne connaissez pas peuvent s’en prendre à vous, et nous aussi nous pouvons vous faire beaucoup de mal.

Ce fut le préambule de son histoire kafkaïenne.

Plus tard, des voisins déclarèrent que parmi les personnes ayant émis ces menaces, se trouvait un dénommé Gari Silegas, que tous les quatre étaient membres du parti communiste, et qu’ils faisaient partie de ce qu’on appelle « Noyau Zonal » (Núcleo Zonal ), un regroupement d’anciens militants de divers « Comités de Défense de la Revolution » (CDR).

Le samedi suivant, le jour de la fête, Oscar s’est rendu au commissariat de police du croisement des rues Zapata et C pour porter plainte. Mais il fut redirigé vers le chef de secteur, Eusebio, responsable de la zone de son domicile ; Ce qui signifiait qu’Eusebio le policier, et Silegas le communiste se connaissaient, allant jusqu’à travailler ensemble. Rappelons qu’à Cuba, ces groupes de travail sont considérés comme des représentants de quartier.

-Ils ont demandé à Gari de ne plus me menacer. Tout cela faisait partie d’un travail préventif, me dirent-ils. J’ai voulu déposer une plainte mais ils l’ont rejetée-, explique Oscar.

Ce même jour, l’intimidation est montée d’un cran lorsqu’est apparue une moto Suzuki avec une plaque d’immatriculation bleue (NdT : Les plaques bleues désignent les véhicules d’état). Deux individus en civil refusèrent de s’identifier mais se présentèrent comme des agents de la Sécurité de l’Etat. Oscar raconte :

-Ils ont menacé de m’emprisonner. Ils ont dit que j’étais libre de penser ce que je voulais tant que je n’en parlais à personne, et que mes amis et moi ne pouvions pas nous réunir chez moi. Ils ont ajouté que je ferais mieux de quitter le pays et qu’ils allaient « me pourrir la vie à moi et à ma famille ». Alors que je n’avais commis aucun délit ni aucune infraction pouvant porter atteinte à qui que ce soit, je me sentais menacé. Ils ont également mentionné ma présence dans le public d’Estado de SATS qui a eu lieu chez Antonio Rodiles dans la municipalité de Playa. Tous les voisins ont été témoins de ces faits.

La fête a eu lieu ce soir là. Pour pimenter le processus, les voisines d’Oscar, membres actives du CDR, ont noté tous les numéros de plaque des voitures garées dans la rue, sans se soucier de la présence de leurs propriétaires. Il y avait plus de cinquante invités, pour la plupart des jeunes diplômés de l’Université de La havane. Oscar passait des disques de Juan Luis Guerra y la 440 et Ciro de la musique punk, mais tous parlaient le même langage et passèrent la nuit à danser et s’amuser.

La réaction ne s’est pas faite attendre

Le 9 décembre, une surprise attendait Oscar sur son lieu de travail, l’Institut National d’Oncologie et de Radiobiologie (Hopital d’Oncologie), où il travaille comme chercheur. Il y prépare une thèse de doctorat sur le cancer du colon sporadique, et occupe également un poste de professeur adjoint à la Faculté de Biologie sans percevoir aucun salaire pour ce travail. Un collègue, Wilfredo Fernández Cabezas, l’attendait pour le prévenir que les activités auxquelles il assistait avec des groupuscules contre-révolutionnaires, des « mercenaires, annexionnistes et néolibéraux » -un cocktail d’accusations hallucinant- pourraient avoir des conséquences négatives sur son travail. Oscar lui répondit qu’il avait des amis qui s’exprimaient contre le gouvernement, mais sans être ni mercenaires, ni annexionnistes. Il lui expliqua calmement qu’il ne pensait pas non plus qu’ils soient dans la tendance néolibérale, mais que si c’était le cas, cela ne justifierait aucune action contre eux.

Retour au point de départ.

-Mercredi 11 décembre 2013, j’ai de nouveau tenté de déposer une plainte pour ces menaces au commissariat de la Police Nationale Revolutionnaire (PNR) à l’angle des rues Zapata et C. Le lieutenant Abad a refusé de prendre la plainte car, selon lui, seules les dénonciations de menaces de mort sont recevables, pas les menaces de coups, ni d’emprisonnement, ni les menaces sur mon travail-, poursuit Oscar dans cette saga de l’absurde.

Et en avril dernier, un officier de la Police nationale Revolutionnaire a déposé une convocation devant son domicile pour qu’il se présente le lendemain au poste de Zapata et C. Le motif ? Un entretien avec le capitaine José A. Blasco.

-Mais quand je me suis présenté au poste, le capitaine josé A. Blasco m’a conduit dans un bureau dont il est aussitôt sorti. Cet entretien avec le capitaine n’a jamais existé. Dans le bureau il y avait trois hommes plus jeunes que moi, habillés en civil. Parmi eux, seulement un a donné son nom : Marcos, bien que les trois se soient déclarés de la Sécurité de l’Etat. En résumé, ils m’ont dit qu’ils allaient me retirer mon poste de travail, que j’occupe depuis 10 ans sans aucun problème professionnel, pour me muter dans un centre de plus petite envergure ou dans une policlinique. Ils m’ont dit qu’ils pouvaient me causer encore plus de préjudice à moi et à ma famille, car selon la Sécurité de l’Etat je ne dois plus avoir de contacts avec certains de mes amis, comme Ciro, de Porno, que je connais depuis le pré-universitaire-, continue Oscar.

Ses alternatives étaient claires et il n’y en avait que deux, complémentaires : S’entretenir avec cette reporter, et se plaindre auprès des institutions de l’Etat.

Le jeune chercheur à envoyé des lettres partout. Il a collecté les signatures de nombre de ses collègues et de ses élèves. Il les a envoyé à toutes les institutions possibles et a remis des copies certifiées à tous ceux qui l’ont soutenu.

La machinerie kafkaïenne avait paru s’arrêter, mais en réalité elle continuait de fonctionner. Tout ceci lui a coûté beaucoup d’heures de recherches, durant lesquelles il a dû étudier le droit et essayer de comprendre ce qui pousse un régime à faire irruption dans l’intimité des gens, et à décourager des personnes mettant leur talent au service de la connaissance. Oscar n’est pas encore un dissident.

Lilianne Ruiz

Article publié sur le site Cubanet :

http://www.cubanet.org/destacados/dirigen-maquinaria-de-acoso-a-investigador-contra-el-cancer/


Enrique   |  Politique, Solidarité   |  12 19th, 2014    |