Où va Cuba ? (1)

En 2006, lorsqu’il a pris les rênes du pouvoir à Cuba, Raúl Castro a été confronté à une économie en crise qui appelait de profonds changements. Quatre ans plus tard le leader cubain proclamait toujours : « Soit nous rectifions, soit s’achèvera le temps d’être au bord du précipice et nous sombrerons, et avec… les efforts de générations entières ».

Une des premières mesures qu’il adopta a été l’élimination de l’entourage de Fidel – le Grupo de Apoyo –qui était connu pour son idéologie orthodoxe et qui fonctionnait en dehors des canaux de la bureaucratie, sous les ordres directs du commandant en chef pour mettre en œuvre sa « bataille des idées ». Peu à peu, Raúl commença à installer ses hommes de confiance aux postes clés, beaucoup d’entre eux étant des officiers de l’armée ; il substitua le style personnel d’intervention de Fidel et son contrôle direct sur ses subordonnés par une pratique autre, centrée sur la délégation des responsabilités gouvernementales et les résultats administratifs obtenus par les fonctionnaires comme preuve de leur efficacité bureaucratique. Dans le même temps, il a considérablement réduit les mobilisations et les manifestations dans les rues, qui étaient constamment organisées sous la férule de Fidel, afin de réduire les perturbations des activités économiques du pays ; il a déclaré qu’il ne se considérait pas comme un grand orateur et qu’il n’aimait pas parler en public, limitant au minimum la durée de ses déclarations présidentielles. À l’opposé du style de caudillo révolutionnaire de Fidel, Raúl Castro a adopté le style d’un homme d’affaires.

Le caractère politique des changements de Raúl Castro et les réformes

Raúl Castro a mis en œuvre des changements qui ont affecté plusieurs aspects de la société cubaine. Dans le domaine politique, ces changements partagent certaines caractéristiques : elles ont été bien accueillies et marquent une libéralisation politique (et culturelle) significative, mais sans démocratisation d’aucune sorte, assouplissant certaines règles administratives et accordant des concessions aux demandes populaires, sans jamais reconnaître l’existence de droits citoyens indépendants du pouvoir gouvernemental. La nouvelle réforme sur l’émigration qui est entrée en application en janvier 2013 est un exemple du niveau significatif de libéralisation qui ignore, cependant, le droit de tout citoyen d’entrer et de quitter le pays lorsqu’il désire le faire. D’un côté, la propriété des immigrés n’est plus confisquée et il n’est plus nécessaire d’obtenir un permis spécial pour quitter le pays (l’infamante « carte blanche ») : il suffit de présenter un passeport valide et un visa du pays de destination. L’article 23 du décret-loi 203 du 16 octobre 2013 qui définit la réforme migratoire précise explicitement que le gouvernement peut refuser un passeport aux citoyens qui entrent dans certaines catégories, parmi lesquelles les Cubains contre lesquels des « mesures de sécurité » ont été prises, celle pour lesquels s’appliquent des « raisons de défense et de sécurité nationale » et celles de sollicitants qui n’ont pas « l‘autorisation établie, en vertu des normes destinées à préserver les forces de travail qualifiées pour le développement économique et social et scientifico-technique du pays, ainsi que la sécurité et la protection de l’information officielle ».

Dans la même foulée, l’article 24.1 interdit l’entrée du pays à plusieurs catégories de personnes, dont celles ayant « organisé, motivé, réalisé ou participé à des actions hostiles contre les fondements politiques, économiques et sociaux de l’État cubain » ou « lorsque des raisons de Défense et de Sécurité nationale le recommandent ». Autrement dit, le gouvernement cubain peut légalement refuser l’entrée sur l’île à tout Cubain résidant à l’extérieur du pays qui est opposé au régime. Même si la réforme a étendu à 24 mois la durée du séjour légal à l’étranger des citoyens cubains qui voyagent pour des raisons personnelles, elle rend obligatoire l’obtention d’une permission du gouvernement cubain pour légaliser l’allongement de ce séjour. Sinon, ces Cubains pourraient être considérés légalement comme des « émigrés », ce qui implique, par exemple, la perte de leur droit à la retraite. Ceux qui obtiennent la permission du gouvernement de résider à l’étranger ne peuvent rester à Cuba que 180 jours lorsqu’ils visitent l’île (90 jours pour ceux légalement considérés comme des « émigrés »).

Par conséquent, même si la nouvelle réglementation libéralise la politique migratoire, elle pénalise de nouveau ceux qui voyagent à l’étranger par la perte de leurs droits qu’ils soient ou non des « émigrés », et elle ignore complètement le principe démocratique qui veut que le droit à la liberté de déplacement soit attaché à la citoyenneté et non pas à l’État. Il faut cependant reconnaître que jusqu’à présent la loi a été appliquée de manière plus libérale que ce à quoi s’attendaient beaucoup de personnes, dont l’auteur de cet article. C’est le cas notamment en ce qui concerne les médecins, qui ont actuellement beaucoup plus de possibilités de voyager pour leur propre compte.

Le gouvernement a également permis que des dissidents connus tels que Eliecer Davila, Berta Soler, la leader des Damas de Blanco (Dames en blanc), et surtout Yoani Sanchez, à laquelle on avait précédemment interdit à d’innombrables occasions de sortir du pays, puissent obtenir leurs passeports et voyager à l’étranger. Mais la dissidente Gisela Delgado Sablon a dénoncé le fait qu’on lui avait refusé le permis de sortir du pays avec le droit de retour parce que son nom apparaissait dans une « liste de personnes appartenant à des groupuscules contre-révolutionnaires ». La même chose est arrivée à des anciens prisonniers qui avaient été libérés sous le régime de l’Extra Penal License.

L’impact de la politique de libéralisation de Raúl Castro, quoique positive, s’est avéré limité de différentes manières par l’adoption de mesures qui l’ont fortement sapée. Par exemple, suite à des négociations avec le cardinal Ortega Alamino et le gouvernement espagnol en 2010 et 2011, le gouvernement cubain a libéré la majorité des prisonniers politiques dont nombre d’entre eux subissaient des longues peines de prison (presque tous ces prisonniers ont été transférés en Espagne ; quelques uns qui sont restés à Cuba ont dû accepter une libération conditionnelle). Cependant, le nombre de prisonniers politiques formellement condamnés à des peines de prison a augmenté depuis et l’organisation Human Rights Watch en estime le nombre à plusieurs douzaines. Mais le plus important est la nouvelle politique gouvernementale qui consiste à arrêter un grand nombre de gens et à les mettre en prison pour une courte période, avec l’objectif de prévenir leur participation à des activités d’opposition, comme des manifestations. C’est la façon dont le gouvernement entend éliminer toute opposition avant qu’elle ne se renforce et, dans le même temps, éviter toute procédure judiciaire et le considérable coût politique que représente la création d’une population permanente de prisonniers politiques.

Bien qu’il soit vrai que la libéralisation due à ces changements – et d’autres mesures dont notamment un meilleur traitement des gays – a été significative, on ne peut pas dire la même chose au sujet de la démocratisation du système politique. En suivant la tradition établie depuis plus de cinquante ans, le gouvernement de Raúl Castro continue de prétendre que la manipulation par le sommet peut passer pour de la démocratie. C’est ce qu’ont démontré les préparatifs et la tenue du VIe Congrès du Parti communiste cubain d’avril 2011. Avant le congrès, Raúl Castro a appelé à une « discussion ouverte » de trois mois, du 1er décembre 2010 au 28 février 2011, sur les « Grandes lignes » (résumé des propositions programmatiques) initialement proposées par le PCC. Ces « discussions » se prétendaient démocratiques, mais ont été organisées de telle manière qu’elles ont nié et dénaturé l’idée de démocratie.

La presse officielle a maintenu son contrôle exclusif de ce qui pouvait être rapporté – et de quelle manière – sur « les discussions » dans les bureaux, les usines et les centres collectifs du pays. Les participants à ces « débats » n’avaient pas d’organisation propre et ne pouvaient ni communiquer avec les autres participants aux « discussions » qui se déroulaient ailleurs, ni s’organiser pour appuyer leurs revendications. Ainsi, ceux qui participaient à un débat dans un lieu donné affrontaient en tant que groupe isolé l’organisation à dimension nationale des gouvernants : le PCC (Parti communiste cubain). Il est significatif qu’entre le 15 et le 30 novembre 2010, c’est-à-dire pendant la période qui a précédé immédiatement la « discussion ouverte », le parti a organisé des séminaires dans toutes les villes afin de préparer les cadres qui allaient participer aux réunions avec les membres de base du parti, les travailleurs et les structures locales. Par conséquent le parti a pu disposer de cadres entraînés qui ont été présents dans chaque débat pour le « guider » et pour y transmettre les « orientations » venant d’en haut. Pour autant, ces « discussions » ont fait remonter auprès des dirigeants du parti le mécontentement de la base et plusieurs de leurs revendications particulières. Aussi le parti a-t-il procédé à des ajustements relativement mineurs de ses « Grandes lignes » et a ajouté quelques nouvelles promesses, telle celle d’autoriser les voyages à l’étranger. Il doit être souligné que, selon Raúl Castro, presque tous ces changements n’ont pas été entérinés lors du 6e congrès mais bien avant, entre le 19 et le 20 mars 2010, lors de réunions du Bureau politique du parti et du Comité exécutif du Conseil des ministres. Le secrétariat du Comité central, l’organe central du CTC (syndicat officiel), d’autres organisations de masse et les Jeunesses communistes ont également participé à ces deux jours de réunions. Il est clair que ce processus de discussion du congrès n’a pas été l’occasion d’un débat démocratique, mais d’un processus comparable aux casiers de plaintes et de suggestions au sein des entreprises capitalistes que le management utilise pour apaiser leurs employés et, parfois, pour améliorer l’administration de l’entreprise. Il est très révélateur, dans ce contexte, que selon la version finale des « Grandes lignes », les changements proposés par le programme du parti devaient se réaliser « d’une manière programmatique, dans l’ordre et la discipline, sur la base de la politique approuvée, en informant les travailleurs et en écoutant leurs opinions ». En d’autres mots, les travailleurs donnent leur avis, les autorités décident.

Tout processus authentique de réforme implique nécessairement l’ouverture des médias de masse. Par exemple, dans le processus de la Glasnost de Gorbatchev, il existait des organes de presse très critiques comme Ogonyok et Argumenty-Fakty qui circulaient largement parmi la population et n’étaient pas limités à une faible audience.

Mais dans le Cuba d’aujourd’hui, les médias continuent d’être contrôlés par le département idéologique du Comité central du PCC dirigé par Rolando Alfonso Borges. Il n’y a qu’un nombre très limité de Cubains qui ont accès à des points de vue qui divergent de manière significative de la ligne gouvernementale – par l’intermédiaire d’internet, qui est très peu présent dans l’île, ou de publications catholiques qui ont une diffusion limitée telle que Espacio laical. L’immense majorité de la population de l’île dépend de la presse et de la télévision officielles pour s’informer de ce qui se passe à Cuba et dans le reste du monde. À part une petite concession qui permet aux Cubains l’accès à Telesur, la chaîne sponsorisée par le gouvernement vénézuélien, et qui leur a permis par exemple de regarder la cérémonie d’investiture du président Barack Obama en janvier 2012, il n’y a pas eu de changements ou de réformes significatives qui auraient pu élargir les points de vue présents dans les médias de communication de masse.

La grande majorité de la population de l’île continue de dépendre d’une seule source d’information, celle de la presse officielle manipulatrice qui cache, par exemple, une bonne partie des scandales qui touchent les hautes sphères gouvernementales, comme dans le cas de Cubana de Aviación. La couverture de la politique étrangère par la presse officielle est également scandaleuse. Celle du « printemps arabe » a été honteuse. D’un côté, elle a soutenu le mouvement d’opposition en Égypte parce que Moubarak était un proche allié des États-Unis, mais de l’autre, parce que le régime dictatorial de la famille Assad en Syrie a été un allié historique du gouvernement cubain, de l’URSS et du gouvernement actuel russe, la presse amalgame la vérité avec les grossiers mensonges qui donnent un éclairage favorable au régime syrien, dissimulant les pires atrocités commises par la famille Assad tout au long de son long règne.

La nature des changements économiques et des réformes

Plus que tout autre chose, c’est à la revitalisation de l’économie que le gouvernement de Raúl Castro dit vouloir se consacrer. Mais il a commis des erreurs et imposé des entraves qui, dans la pratique, ont sapé et même nié certains de ses objectifs supposés de réformes. Certaines de ces erreurs – comme le fait de ne pas anticiper les mesures nécessaires pour compléter les nouvelles réformes dans le domaine de l’emploi – pourraient être attribuées à l’inefficacité bureaucratique et sont, au moins en principe, réparables. Mais il y a des obstacles qui ont une origine plus profonde et structurelle, et qui sont le fruit de contradictions entre la nouvelle politique et la crainte qu’ont les chefs politiques et bureaucratiques de perdre leur pouvoir, leur contrôle et leurs privilèges, suite à une réorganisation de l’ordre existant.

Les réformes agraires, essentielles pour l’économie cubaine pour pouvoir nourrir une population qui dépend en grande partie de produits importés, sont un exemple. Jusqu’en novembre 2012, le gouvernement a distribué 1,5 million d’hectares (58 % du total des terres d’État en friche) à 174 271 personnes dont la grande majorité n’avait aucune expérience en matière agricole. En accord avec le décret-loi 300 de 2012, qui a remplacé le décret-loi 259 de 2008, on a augmenté à 67,10 hectares ou cinq caballerias (vieille mesure espagnole de superficie largement utilisée à Cuba)l’étendue des terres distribuées à des usufruitiers privés.

Le gouvernement a également autorisé, après les avoir interdites, des améliorations telles que la construction et l’amélioration des logements paysans et s’est engagé à offrir une compensation aux paysans pour leurs travaux d’amélioration, si le contrat d’usufruit ne devait pas être renouvelé. Par contre, le gouvernement n’a pas voulu garantir le droit à l’usufruit au-delà de dix ans, malgré le fait, qu’en principe, celui-ci peut être périodiquement renouvelé à la fin du contrat pour une nouvelle période identique. Contrairement à la politique beaucoup plus libérale adoptée en Chine et au Vietnam, la limitation de la durée de l’usufruit de la terre décourage évidemment l’effort individuel des paysans et des paysannes et de leurs familles ainsi que l’investissement en capital.

En outre, bien que la moitié des terres cédées soient couvertes de marabú, un type de plante invasive commune à Cuba, le gouvernement ne procure pas de crédits pour aider à l’éradiquer. Les nouveaux fermiers privés sont également obligés de travailler avec les différentes « coopératives » agricoles officielles et de vendre à l’État la plus grande partie de la production de leur ferme à des prix établis par Acopio, l’agence d’État en charge de cette tâche. Quoiqu’en Chine et au Vietnam, tout comme à Cuba, la propriété de la terre soit restée aux mains de l’État, les paysans privés vietnamiens et chinois, contrairement à leurs homologues cubains, peuvent décider eux-mêmes ce qu’ils vont planter, à qui ils vont vendre, et à quel prix.

Étant donné les limites et les difficultés qu’affrontent les paysans privés pour se procurer les outils et les matériaux de base pour débroussailler, préparer et cultiver la terre ainsi que pour transporter et distribuer l’excédent de leurs récoltes, il n’est pas étonnant que les résultats de la réforme agraire aient été très modestes. Les récentes hausses et baisses de la production agricole non sucrière, qui a diminué de 5 % en 2010, augmenté de 5 % en 2011 et de 1,70 % en 2012 – alors que l’élevage a baissé de 4,30 % en 2012 – font que la production agricole cubaine est très en dessous de la production obtenue dans l’immense majorité de ce secteur en 1989. Dans le même temps, les prix des produits agricoles ont augmenté de 20 % en 2011, ce qui est peut-être en partie dû à l’augmentation de la demande interne, plus importante que l’offre, et au fait que Cuba importe 70 % des aliments qu’il consomme, et est donc exposé à l’augmentation des prix du marché agricole international.

Dans le domaine de l’emploi urbain, les réformes de Raúl Castro ont été parfois incohérentes ou ont connu des échecs et se sont heurtées à des obstacles créés par son propre gouvernement. Ainsi, en septembre 2010, le gouvernement a annoncé qu’un demi-million de travailleurs du secteur d’État allaient être licenciés dans les douze mois suivants et qu’on s’attendait à ce que la grande majorité d’entre eux deviennent des travailleurs indépendants. Cette mesure faisait partie du plan que Raúl Castro avait antérieurement annoncé de licencier un million de travailleurs du secteur d’État, soit l’équivalent de 20 % de la force de travail qui compte 5,1 millions de personnes. Il devint très vite évident que ce plan transitoire n’était pas crédible, en particulier du fait qu’il n’y avait que peu de métiers pour lesquels le gouvernement autorisait des emplois indépendants. Ce dernier ne voulut jamais admettre son erreur, ce qui est une attitude typique, et recula l’échéance des licenciements de cinq ans. On estime qu’à la fin de 2012, presque 250 000 travailleurs du secteur d’État ont déjà été licenciés et que le reste des 500 000 autres sera « libéré » de son travail en 2015. Cette incohérence dans la réforme du travail réside dans la décision du gouvernement de ces licenciements massifs, et dans le même temps, par peur de perdre le contrôle d’un important de l’emploi et de l’économie, il restreint les métiers concernés par l’emploi indépendant. En 2010, le gouvernement a publié une liste de 178 métiers (21 de plus que celle d’origine de 1993) dans lesquels les Cubains pouvaient travailler comme travailleurs indépendants. Il aurait été plus cohérent avec la politique de licenciements massifs d’autoriser le travail indépendant à l’ensemble de l’économie, avec peut-être un petit nombre d’emplois exclus, pour des raisons économiques ou politiques. Faire la critique de cette incohérence n’est pas l’apanage de ceux qui défendent la théorie du « libre marché », mais elle est également compatible avec la notion marxiste de nationalisation qui est pertinente pour la production sociale et collective mais non pour la production familiale et individuelle.

Quelque 400 000 personnes ont obtenu le permis de travailler légalement comme travailleur indépendant, bien qu’il existe un nombre indéterminé de gens qui travaillent illégalement dans ce secteur, en partie en raison des obstacles et des complications bureaucratiques rencontrés dans l’obtention du permis nécessaire. Les impôts sont un problème supplémentaire. À l’origine, les nouvelles règles fixaient 5 impôts sur le travail indépendant dont une taxe de 25 à 50 % sur le revenu et une autre de 10 % sur les ventes, ces deux impôts combinés constituant un lourd prélèvement fiscal. Le travail indépendant est également soumis à un prélèvement de 25 % sur les salaires pour alimenter un fonds de sécurité sociale (soit trois fois le montant moyen prélevé en Amérique latine). Le gouvernement devait battre en retraite sur ces mesures et atténuer le fardeau fiscal. Par exemple, il a réduit l’impôt sur le revenu entre 3 et 7 % et a suspendu la taxe sur les ventes durant les trois premiers mois de l’activité économique. Il a également promis de revoir annuellement le quota mensuel minimal dans différentes activités ouvertes au travail indépendant afin de les corriger quand et où cela sera nécessaire et a accordé diverses concessions fiscales, particulièrement dans la location d’appartements ou des maisons et le transport des personnes.

Quoique le gouvernement de Raúl Castro « ait franchi le Rubicon » en autorisant, pour la première fois depuis le début des années 1960, au travail indépendant d’embaucher des employés qui ne soient pas membres de la famille, il a imposé une lourde taxe sur l’utilisation de la force de travail, ce qui rend toute embauche pratiquement impossible. Face à cette réalité, le gouvernement a décidé de suspendre temporairement cette taxe pour le travail indépendant qui emploie 5 personnes ou moins. En plus d’avoir contribué à faire baisser le chômage, le travail indépendant a certainement changé la vie de la rue dans les villes cubaines étant donné la concentration si visible d’activités comme le transport et l’alimentation. Mais il est douteux que, en raison du manque de crédit, de biens de production et de capital, les micro-entreprises de travail indépendant soient capables de contribuer réellement à la croissance économique et à toute augmentation significative du niveau de vie.

À la lumière de ce qui a été dit précédemment, il n’est pas surprenant que la production agricole ait été déficiente et que la croissance économique du pays soit restée très modeste, particulièrement si on prend en compte le changement de méthodologie adopté par le gouvernement cubain pour mesurer le PIB qui probablement exagère son niveau. En 2010, l’augmentation du PIB était de 2,10 % seulement, et il a doucement monté à 2,70 % en 2011. En 2012, il a progressé de 3,10 %, bien que l’objectif ait été de 3,40 %. Le plan de 2013 prévoyait une croissance du PIB de 3,70 %. Ainsi que Raúl Castro l’expliquait, cet objectif devait être considéré comme « acceptable » à la lumière des circonstances nationales et internationales, mais il est certainement insuffisant si on prendre en compte d’autres considérations, tel le fait que le salaire réel dans l’île est certainement en dessous du niveau atteint en 1989. De toute façon, le PIB atteint en 1989 n’a été retrouvé qu’en 2005 et depuis l’économie a connu une croissance modeste. Il est très improbable qu’à ce niveau de croissance, le gouvernement de Castro soit capable d’améliorer le rang occupé par Cuba en Amérique latine et les Caraïbes dans le classement par PIB par tête d’habitant. En 2006, lorsque Raúl Castro arriva au pouvoir, le PIB cubain par tête était supérieur seulement à celui d’Haïti, du Honduras, du Nicaragua, de la Bolivie, du Salvador et du Paraguay, alors que Cuba occupait en 1950 la 10e place parmi 47 pays dans la région.

Pourquoi les changements et les réformes de Raúl n’ont-ils pas pu reproduire le modèle sino-vietnamien?

Depuis quelque temps déjà, le régime de Raúl Castro a montré un penchant pour le modèle sino-vietnamien, dans le sens de la création d’un capitalisme d’État qui monopolise le pouvoir politique à travers le Parti communiste et contrôle les secteurs stratégiques de l’économie comme les banques, tout en partageant le contrôle du reste de l’économie avec un secteur capitaliste privé aussi bien domestique qu’étranger. Sur le plan idéologique et politique, Raúl Castro a exprimé son admiration pour le modèle chinois, en déclarant, dans un style altermondialiste, que la réussite de la Chine démontre qu’« un autre monde est possible ». Mais l’application de ce modèle est restée inégale et limitée.

Comment expliquer cette situation ? Raúl Castro lui-même a exprimé à plusieurs reprises son mécontentement en ce qui concerne la lenteur des changements impulsés par son gouvernement, attribuant le manque de progrès à la « barrière psychologique faite d’inertie, d’immobilisme, de simulation ou de double morale, d’indifférence et d’insensibilité, et que nous devons constamment et fermement surmonter. » Or, même si ces barrières psychologiques existent, il faut en identifier les racines dans la structure sociale et de classe qui les nourrissent et le reproduisent. Dans ce sens, c’est surtout le système bureaucratique qui dirige l’économie cubaine qui, systématiquement, reproduit des irrationalités et des inefficacités économiques  et encourage des attitudes qui sapent le sens de responsabilité de groupe et d’individu, aussi bien parmi les gestionnaires que parmi les travailleurs.

Il n’y a aucun doute, par exemple, que la haute bureaucratie est responsable de n’avoir pas anticipé la nécessité de mesures complémentaires à la légalisation du travail indépendant dans les villes, comme la création d’un système de crédit et de prix de gros en sa faveur. Même si l’on a tenté d’y remédier plus tard, il y a un aspect des contradictions du gouvernement de Raúl Castro qui semble sans remède, ce sont les limitations programmatiques des réformes, qui systématiquement restreignent leur réussite, aussi bien dans le cas de la légalisation du travail indépendant que dans l’absence d’un environnement sécurisé et de soutien aux usufruitiers de terres distribuées par l’État.

Dans le même ordre d’idées, le contrôle exercé depuis le sommet du parti unique et le manque de droits citoyens alimentent et reproduisent la « double morale », puisque les gens disent une chose en privé et une autre en public pour ne pas se mettre en difficulté avec les autorités, ce qui peut sérieusement affecter leurs possibilités en matière d’éducation et de travail.

L’analyse structurelle proposée ici suggère que beaucoup de dirigeants du gouvernement craignent qu’un changement plus ferme en direction du modèle sino-vietnamien ne leur fasse perdre de leur influence sur des secteurs de la bureaucratie, voire leur emploi. Par exemple, n’importe quel changement majeur dans l’administration de l’agriculture cubaine pourrait mettre en danger la structure bureaucratique de Acopio, l’agence chargée de collecter les produits agricoles fournis par les paysans privés.

Ce sentiment d’insécurité est également nourri par les rapports tendus avec les États-Unis, surtout parce que, à la différence du gouvernement chinois, qui entretient de profitables relations avec sa diaspora capitaliste, le gouvernement cubain n’a pas encore noué de relations avec les capitalistes cubano-états-uniens ( même si certains, comme le groupe Cuba Study Group, dirigé par Carlos Saladrigas, ont manifesté leur intérêt à investir dans l’île lorsque le gouvernement aura fourni quelques garanties légales pour leurs investisseurs). Il est également plausible qu’il existe des divisions politiques et idéologiques au sein des cadres de la direction cubaine sur la direction et l’allure des changements. Mais il est peu probable qu’il existe un groupe comparable à la « bande des quatre » qui, pour résister aux changements voulus par Den Xiaoping, invoquait Mao Zedong.

C’est dans ce contexte de paralysie bureaucratique que le mode de fonctionnement politique de Raúl Castro peut jouer un rôle critique, en renforçant ou en cassant cet immobilisme. Bien qu’il ait à maintes reprises critiqué la bureaucratie, il l’a toujours fait de manière générale et abstraite, il n’a jamais osé violer le consensus bureaucratique en désignant des individus ou des secteurs de la haute bureaucratie spécifiquement responsables de décisions erronées ou ayant conduit à des échecs, ce qui reviendrait à « sacudir la mata » (expression que l’on peut traduire par « secouer le cocotier », largement utilisée à Cuba au début de la révolution, lorsque l’objectif était d’éliminer du pouvoir ceux qui étaient perçus comme étant opposés à la radicalisation du processus et/ou à l’influence communiste).

Les critiques ont été limitées à des petits et moyens fonctionnaires à travers les colonnes du journaliste José Alejandro Rodriguez dans le quotidien Juventud Rebelde et dans la section des plaintes qui paraît toutes les semaines dans Granma. Même si ces silences sont exemplaires des systèmes communistes, ils sont particulièrement notables dans le cas cubain. À l’inverse, le dirigeant soviétique Yegor Ligachev avait, en son temps, publiquement défié Gorbatchev, et la même chose s’est passée en Chine, où des divergences publiques entre les leaders n’étaient pas loin d’atteindre la dureté des affrontements durant la Révolution culturelle des années 1960, et où, plus tard, lorsque plusieurs leaders communistes ont ouvertement et publiquement résisté à Deng et à son projet économique.

L’ardent souhait de Raúl et des plus hauts dirigeants de maintenir le consensus bureaucratique explique que Fidel Castro, le grand micro-manager de l’économie cubaine, n’a fait aucune allusion dans ses Réflexions aux changements économiques impulsés par son frère. Le comportement de Fidel démontre qu’il existe au minimum un pacte implicite avec Raúl, selon lequel Fidel limite ses opinions publiques à des thèmes, comme celui de la politique étrangère et de l’environnement, où il n’a pas de divergences avec son frère. Il faut tenir compte du fait que, très tôt, Fidel Castro a démontré une grande affinité pour le monolithisme politique que Raúl et ses proches collaborateurs ont partagé. Ce penchant castriste pour le monolithisme a été probablement renforcé par les conséquences négatives des divisions auxquelles ils ont pu assister parmi les dirigeants de pays comme l’Algérie et la Grenade, avec lesquels ils avaient des relations très étroites.

Il est probable que la mentalité de chef d’entreprise de Raúl Castro, qui affiche sa délégation de pouvoir, renforce en lui le désir de consensus, surtout avec « ses gens », c’est-à-dire les ministres et les fonctionnaires qui ont remplacé ceux qui avaient été nommés par Fidel. Il faut également tenir compte du fait que, à l’instar de la gestion d’entreprise qui peut échouer pour des raisons autres que la réelle implication et efficacité des managers, le choix de Raúl de déléguer le pouvoir peut avoir l’effet inattendu de donner plus de pouvoir, d’autonomie et de sécurité aux cadres de l’appareil bureaucratique qu’ils n’en bénéficiaient sous Fidel Castro. Ces caractéristiques du style de chef d’entreprise avec lequel gouverne Raúl peuvent empêcher la solution de beaucoup des problèmes mentionnés ci-dessus, et donc de rendre plus difficile la réussite de changements structurels, faisant ainsi de Raúl Castro un « réformateur tronqué », à l’opposé de dirigeants comme Deng et Gorbatchev qui ont mis en œuvre beaucoup de leurs décisions, même si dans le cas de Gorbatchev celles-ci ont échoué. Raúl Castro ne semble pas être l’équivalent cubain de Deng ou de Gorbatchev.

Le style de patron d’entreprise de Raúl risque également d’installer dans l’île ce que l’historien de l’URSS Robert V. Daniels a appelé la « bureaucratie participative » qui a caractérisé l’URSS de Leonid Brezhnev : la montée de l’influence de beaucoup d’experts et de fonctionnaires qui s’assurent une meilleure sécurité d’emploi au niveau local au détriment du sommet de la direction et entretiennent avec celle-ci une vulnérabilité mutuelle.

Il est paradoxal que Raúl Castro se soit converti en « réformateur » qui « adoucit » la ligne dure de Fidel. En effet, durant les premières années de la révolution, c’était le contraire : Raúl était le partisan de la ligne dure, et Fidel le pragmatique, voire le conciliateur. Est-ce à dire que l’idéologie politique de Raúl Castro a changé ? En réalité Raúl n’a pas changé et il n’est ni plus ni moins communiste que Fidel. Ce qui se passe c’est qu’il a été et continue d’être un type de communiste différent de celui que Fidel Castro est finalement devenu.

Il est très significatif que Raúl, qui est 5 ans plus jeune que Fidel, ait initialement rejoint la Juventud Socialista (Jeunesse socialiste, JS), le groupe jeune du Partido Socialista Popular – Parti socialiste populaire, PSP, qui réunissait les communistes cubains qui suivaient la ligne politique de Moscou ; alors que Fidel s’est lié à des groupes d’action politico-aventuristes délinquants, et plus tard au Parti orthodoxe – un parti démocratique populiste opposé au communisme que Fidel a rejoint. La JS et le PSP étaient des organisations de cadres disciplinés qui accomplissaient fidèlement les tâches assignées par ce type d’organisation de type vertical, non démocratique, et avec des tendances fortement bureaucratiques et pas du tout caudillistes. Bien que sectaires et dogmatiquement staliniens, les communistes cubains pouvaient être dans le même temps également pragmatiques et opportunistes. Ils ne partageaient pas la tendance à la violence enracinée dans le populisme révolutionnaire, ce qui n’excluait pas qu’ils fussent disposés à se sacrifier pour leur cause, surtout lors des persécutions dont ils ont été victimes au début de la Guerre froide à la fin des années 1940.

Même après que Raúl Castro eut abandonné la discipline organisationnelle de la JS et du PSP – qui jusqu’en 1957-1958 étaient opposés à la lutte armée contre Batista – et qu’il eut rejoint son frère Fidel en 1953, lors de l’attaque de la caserne de la Moncada, fait de la prison avec lui, et durant l’exil au Mexique, il a conservé ses idées et ses orientations politiques. Avant que l’expédition du Granma ne quitte le Mexique à destination de Cuba à la fin 1956, Raúl Castro a préparé un testament politique, non pas avec son frère Fidel, mais avec un autre membre de « l’expédition », Antonio Lopez Fernandez (mieux connu sous le nom de Nico Lopez, qui est mort plus tard lorsqu’il a été emprisonné et exécuté par l’armée de Batista), dont les origines politiques étaient semblables à celles de Raúl. Dans ce testament, Raúl plaidait pour un « gouvernement de libération nationale, comme l’interprète réellement le Parti des ouvriers cubains [une claire allusion au PSP et non au Mouvement du 26 juillet] et dans un jour, pas très éloigné, pour des idées plus avancées encore dans le domaine économique et social, sous la forme graduelle requise par les processus des nations. »

Une fois arrivé dans la Sierra Maestra, Raúl Castro a démontré ses penchants et ses talents organisationnels, confirmant son « affinité élective » avec le type d’organisation et la discipline de fer des JS et du PSP en quittant la Sierra Maestra en mars 1958 avec un groupe de rebelles pour ouvrir un nouveau front de guérilla, le II Front oriental Frank País. Dans ce front, Raúl a établi une organisation plus sophistiquée et efficace que celle de Fidel Castro dans la Sierra Maestra, avec la création de plusieurs départements, dont celui de la guerre, de la santé, de la justice, de l’éducation, des finances, de la propagande et des constructions et communications. Il a également créé l’École politique José Marti, le bureau agraire et le bureau ouvrier, même si ces trois dernières structures étaient subordonnées au commandement central de la Sierra Maestra.

Après la victoire, Raúl Castro, toujours attaché à l’orientation politique qu’il avait défendue dans le testament politique rédigé pendant son exil mexicain, a rejoint Ernesto « Che » et d’autres dirigeants révolutionnaires proches du communisme de type soviétique, pour se mettre à la tête de la tendance de ceux qu’on a souvent appelé « les pastèques » (« verts à l’extérieur et rouges à l’intérieur ») dans le Mouvement du 26 juillet. Cette tendance a collaboré avec le PSP pour combattre non seulement la droite conservatrice opposée à la révolution, mais aussi les libéraux et les révolutionnaires anti-impérialistes indépendants – David Salvador, Marcelo Fernández et Carlos Franqui, entre autres – qui dans les rangs révolutionnaires se sont opposés à un cours pro-communiste, alors que Fidel Castro à cette époque se maintenaient au-dessus de ces polémiques. Il est important de rappeler qu’alors que Fidel Castro, lors d’une visite aux États-Unis en avril 1959, s’était publiquement distancé du communisme, Raúl Castro s’en est alarmé et l’a appelé par téléphone pour l’avertir qu’à Cuba on disait que les Yankees étaient en train de le séduire. Selon des documents soviétiques déclassifiés, Raúl Castro a, pendant une courte période, pensé provoqué une scission dans le Mouvement du 26 juillet pour convaincre son frère qu’il ne pourrait pas diriger sans le soutien communiste. Raúl Castro a donc suivi une ligne plus dure que celle d’autres leaders révolutionnaires en raison de ses conceptions politiques. Il a acquis sa réputation en ordonnant l’exécution de pro-bastistas à Santiago de Cuba sans suivre les procédures judiciaires légales mises en place avec les tribunaux révolutionnaires. En fait, lorsque Fidel Castro a nommé Raúl comme son successeur, à la fin de janvier 1959, il l’a fait en partie pour communiquer le message politique que si on l’assassinait, son successeur serait encore plus dur et plus radical que lui. La posture de Raúl à jouer le rôle de « dur » a été confirmée par nombre d’événements durant les dizaines d’années qui suivirent. En 1968, il fut celui qui présenta un long rapport accusatoire contre la « micro-faction » de vieux communistes cubains dirigés par Anibal Escalante. En 1972, il accuse l’anthropologiste Oscar Lewis, un scientifique américain qui sympathisait avec le gouvernement révolutionnaire, d’avoir eu des liens avec des éléments contre-révolutionnaires avant de venir à Cuba pour espionner sous une couverture progressiste. En 1989, il joua un rôle important lorsqu’il présenta la longue liste d’accusations contre le général Arnaldo Ochoa et ses compagnons lors du « tribunal d’honneur » qui précéda le procès où plusieurs officiers supérieurs des forces armées furent jugés coupables de trafic de drogue et de corruption, et Ochoa avec trois de ses associés furent exécutés. En 1996, il a dirigé l’attaque contre le Centre d’études sur l’Amérique (CEA), un « think tank » du parti communiste cubain qui regroupait un nombre significatif d’importants universitaires et intellectuels cubains qui étaient en train de réaliser une série d’études avec un esprit critique et créatif. Lorsque le directeur du Centre fut licencié, personne n’avait prévu que ce n’était là qu’un préambule à la présentation par Raúl Castro d’un rapport au Bureau politique, approuvée par le 5e plénum du Comité central du parti, qui attaquait violemment les chercheurs du CEA, dont la majorité a été dispersée vers d’autres institutions dans l’île.

Fidèle à son rôle de « dur » répressif, Raúl Castro continuait à apporter son talent organisationnel et pragmatique, surtout en tant que ministre de la défense et chef des Forces armées révolutionnaires (FAR). Après l’effondrement de l’URSS, lorsque le manque de ressources matérielles a obligé le gouvernement cubain à réduire ses forces armées d’un total de 297 000 personnes en 1991 à seulement 55 000 en 2005, l’armée, sous la direction de Raúl, s’est consacrée à développer ses activités économiques à travers la société GAESA (Grupo de Administracion Empresarial S.A qui est devenue l’entreprise la plus importante de l’île). Précédemment, en 1987, et malgré le fait que Cuba passait par la « période de rectification » de style guévariste, Raúl Castro a commencé à implanter son système de « Perfeccionamiento Empresarial » (perfectionnement d’entreprise) dans les entreprises du ministère des Forces armées révolutionnaires  qu’il dirigeait. C’est ainsi qu’il a introduit des éléments de rationalité économique, copiés du monde capitaliste, dans le domaine de l’organisation, de la discipline et de l’efficacité. Pour appartenir à ce système, chaque entreprise devait adopter un système de comptabilité qui reflétait la réalité économique, développer un marché qui assurait la vente de sa production et de ses services et la mise en œuvre de la nécessaire sauvegarde de la production. Après 1998, le gouvernement adopta le système de Raúl et peu à peu l‘étendit à toutes les entreprises d’État. Dix ans plus tard, 797 entreprises sur un total de 2 732 appliquaient le système de perfectionnement des entreprises. Le système de Raúl ne permit pas, cependant, les améliorations attendues. Même si le gouvernement insista sur les résultats positifs obtenus dans les domaines de la productivité, des gains et des augmentations de salaires, il a également admis qu’il existait des insuffisances dans les comptabilités, les contrôles internes et les systèmes de qualité (seuls 40 % d’entreprises sont été capables de garantir ces systèmes de qualité), les mécanismes de paiement des salaires et la faible prévision des pertes et profits.

Conclusion

Le communisme de Fidel Castro était caractérisé par une très forte composante de « volontarisme caudilliste ». Le communisme d’Ernesto « Che » Guevara était encore plus volontariste que celui de Fidel, et aussi plus idéologique et, loin d’être caudilliste, il était presque impersonnel. Le communisme de Raúl Castro est très influencé par sa formation première dans la JS et le PSP et sa profonde « affinité élective » avec le fonctionnement de cette organisation en tant qu’organe hautement discipliné, pas du tout démocratique et souvent répressif, tout en étant peu volontariste et éminemment pragmatique. Mais Raúl Castro craint également les divisions internes et son désir de maintenir le consensus bureaucratique perpétue l’enracinement de la bureaucratie gouvernementale, ce qui fait obstacle à la réorganisation du système vers le modèle sino-vietnamien qu’il semble tellement apprécier.

Fort heureusement, le régime de Raúl Castro a étendu significativement la libéralisation culturelle et jusqu’à un certain degré la libéralisation politique qui avait déjà commencé dans les années 1990 sous l’impact du désastre économique provoqué par l’effondrement de l’URSS. Ce qui en revanche reste à faire est la démocratisation économique et politique de la société cubaine.

(à suivre)

Samuel Farber. Samuel Farber est né et a grandi à Cuba. Il a publié de nombreux articles et livres sur ce pays dont le dernier, en 2011, est Cuba Since the Revolution of 1959. A Critical Assesment, New York, Haymarket Books. Traduction de Patrick Le Tréhondat. Publié dans le numéro 21 de Contretemps.


Enrique   |  Actualité, Politique   |  02 10th, 2015    |