« Cuba fait partie de l’échec du socialisme réel », affirme Pablo Milanés, star de la chanson

Le chanteur et compositeur cubain Pablo Milanés a accordé un entretien récemment au quotidien espagnol El Pais, repris par plusieurs médias d’Amérique latine. Alors que certains dissidents se plaignent du silence des intellectuels à Cuba, en voilà un qui n’a pas sa langue dans sa poche. La plus belle voix de la Nueva Trova estime que « Cuba fait partie de l’échec du socialisme réel ».

Pablo Milanés ne regrette nullement son enthousiasme de jeunesse pour la révolution cubaine, mais s’avoue « déçu par des dirigeants qui avaient promis des lendemains meilleurs, avec le bonheur, les libertés et la prospérité, qui ne sont jamais arrivés en cinquante ans ».

Pablo Milanés a longuement répondu sur ses années de captivité dans les sinistres Unités militaires d’aide à la production (UMAP), réservées aux homosexuels, aux Témoins de Jéhovah, aux catholiques et autres déviants des normes puritaines et spartiates imposées par le castrisme :

« On ne m’a jamais posé des questions aussi directes sur les UMAP. La presse cubaine n’ose pas et la presse étrangère méconnaît l’importance néfaste de cette mesure répressive typiquement stalinienne. Entre 1965 et fin 1967, nous avons été plus de 40 000 personnes dans des camps de concentration isolés, dans la province de Camagüey, soumis aux travaux forcés de 5 heures du matin jusqu’à la tombée de la nuit, sans aucune justification ni explication. J’attends toujours que le gouvernement cubain présente ses excuses.

« J’avais 23 ans, je me suis enfui du campement – 280 camarades emprisonnés sur le même territoire m’ont suivi – et je suis allé à La Havane pour dénoncer l’injustice qu’ils étaient en train de commettre. Le résultat a été qu’on m’a incarcéré pendant deux mois dans la forteresse de La Cabaña. Ensuite, j’ai été dans un camp pénitentiaire encore pire que les UMAP, où je suis resté jusqu’à leur dissolution, à la suite du scandale suscité dans l’opinion internationale.

« L’UMAP n’a pas été un fait isolé. Avant 1966, Cuba s’était aligné définitivement avec la politique soviétique, y compris des procédés staliniens dont ont été victimes des intellectuels, des artistes, des musiciens. D’après l’histoire en vogue, en 1970 commence à Cuba ce qu’on appelle le “quinquennat gris”. Moi je dis que ça a vraiment commencé en 1965 et qu’il s’est agi de plusieurs quinquennats. »

L’ouverture est un simple maquillage

Malgré cette expérience traumatisante, Pablo Milanés a essayé de maintenir son intégrité. Alors que beaucoup d’intellectuels et d’artistes adhéraient et signaient toutes les déclarations d’allégeance au régime, le compositeur de Yolanda et d’autres chansons à succès a refusé de soutenir les trois peines de mort prononcées en 2003, lors du « printemps noir » au cours duquel 75 opposants pacifiques avaient été condamnés à de lourdes peines.

Pablo Milanés estime que le rétablissement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba est une bonne chose pour le rapprochement des familles cubaines, divisées entre ceux résidant dans l’île et ceux qui ont préféré vivre à l’étranger. Cependant, il reste sceptique sur l’ouverture de Raul Castro : « J’ai toujours dit que ces ouvertures apparentes ont été un simple maquillage. Il faut aller au fond, voir le Cubain de la rue pour se rendre compte que rien n’a changé ».

Le musicien reste fidèle à l’idéal révolutionnaire. Il soutient les présidents équatorien Rafael Correa et bolivien Evo Morales. Mais à son avis, « l’exemple le plus grand de révolutionnaire en Amérique latine est José Mujica [le président sortant de l'Uruguay], emprisonné pendant quatorze ans, et néanmoins un homme sans rancune, capable de créer un Etat libre, souverain, sans dépendance, prospère ».

Paulo A. Paranagua/Blog du Monde América latina (VO)


Enrique   |  Actualité, Culture, Politique   |  03 3rd, 2015    |