Cinéma : Chala, une enfance cubaine

Au mois de mars paraîtra sur les écrans français un film réalisé par un réalisateur de la Nouvelle vague cubaine.

Dans Chala, le délabrement de la Vieille Havane sert de toile de fond à plusieurs histoires dans le cadre d’une production passionnante. Le travail du réalisateur Ernesto Daranas est basé sur un mélodrame et le travail éblouissant d’un casting inter-générationnel qui apporte de la crédibilité et de l’émotion aux personnages.

Chala est un garçon de 11 ans, fils d’une prostituée toxicomane et de père inconnu. Sa mère est dans l’impossibilité de s’occuper de lui. Dans une atmosphère de violence et dans des conditions de vie misérables, cet enfant à la scolarité difficile soutient sa famille en élevant des chiens de combat et des pigeons. C’est pourquoi on veut le placer en foyer.

C’est sans compter sur son institutrice, Carmela, qui va fortement s’y opposer, au risque de se faire licencier. Carmela, une enseignante chevronnée qui a une relation particulière avec Chala. Elle défie les règles du système d’éducation, le joyau de la couronne de la Révolution cubaine, en défendant ses élèves avec une autorité morale pleine d’affection.

Le film se déroule au centre de La Havane, là où habite la majorité de la population de la capitale. Ce sont des quartiers très pauvres, délabrés et sales. Le quotidien des habitants est dicté par le besoin de se nourrir, les Havanais se débrouillent comme ils peuvent pour récupérer quelques sous, sans se faire prendre par la police. Et Chala utilise tous les moyens à sa portée pour essayer de s’en sortir…

L’histoire douloureuse de Chala et de son amie Yeni est adoucie par la naissante et fragile histoire d’amour de deux enfants. Ernesto Daranas ne fait pas dans le politiquement correct et offre au spectateur une vision du régime cubain qui, il y a encore quelques années, aurait sans doute été impossible à montrer au cinéma.

Dans ce film, la description de l’environnement marginal de Chala est une critique subtile, pour déjouer la censure, d’un régime à bout de souffle. Un régime qui permet, dans le cadre de la libéralisation de l’économie, que les plus faibles soient laissés pour compte.

Dans cette œuvre, il n’est pas seulement question de la marginalité de Chala, le fils d’une prostituée toxicomane. Daranas nous fait découvrir un travailleur honnête et un bon père de famille qui se bat pour que sa fille Yeni s’élève socialement grâce à l’école et à des cours de flamenco. Ils sont de Holguín, dans la région orientale, ils n’ont pas le droit de vivre à La Havane et sont clandestins dans leur propre pays, condamnés à payer leur éco à la police pour continuer à vivre dans le sordide baraquement qui leur sert de toit.

La presse officielle cubaine publie souvent des articles sur le harcèlement policier dont souffrent les immigrants illégaux aux États-Unis et le manque d’accès à l’éducation subi par leurs enfants. Les illégaux de Chala ont émigré de façon illégale à La Havane, ils ne sont pas portés par le rêve d’accéder au Premier monde, mais par l’espoir de survivre dans des conditions moins difficiles que dans l’Est de l’île. Et c’est à La Havane, la capitale de leur propre pays, la capitale du socialisme tropical, où ils sont traités comme des criminels. Ces exilés de l’intérieur sont appelés à Cuba les Palestinos, les Palestiniens. Il n’est pas nécessaire de donner d’explications sur cette appellation.

La Révolution Cubaine s’est construite sur un projet social basé sur la solidarité, le film montre qu’elle s’en est bien éloignée. Les pratiques bureaucratiques et autoritaires ont déformé la générosité initiale de ses valeurs et provoqué une sclérose de la société, minée par des lois absurdes, des interdits, des règlements qui contraignent en permanence l’individu.

La loi concernant la mobilité interne des cubains, soumise à autorisation d’État, qui fait de Yeni et de son père des pestiférés avant d’être considérés comme des délinquants, en est un bon exemple.

La bureaucratie et l’orthodoxie n”échappent pas non plus au regard critique de Daranas. La détestable inspectrice scolaire Raquel est la parfaite incarnation d’un régime dans lesquels les rapports administratifs, les circulaires priment sur une approche humaine des situations et des relations interpersonnelles. Murée dans ses certitudes, elle est l’image figée d’un système engoncé dans la stagnation.

Les structures verticales et rigides ont été mises en place à Cuba par le régime militaire castriste. Cette rigueur est montrée dans le film. Dans une séquence, comme ils le font chaque matin, les élèves répètent les consignes en hommage au Che : « Pionniers du communisme, nous serons comme le Che ! ». C’est le culte voué à la personnalité de ceux qui sont dépeints dans les livres d’histoire comme des sauveurs et dans les livres de science comme des scientifiques.

Impossible de ne pas parler de la scène dans laquelle l’inspectrice dit à Carmela, qui s’oppose à ce que Chala finisse au foyer, que peut-être « son problème est d’être resté trop longtemps à travailler dans sa salle de classe ». Ce à quoi Carmela répond, « Et ceux qui gouvernent ce pays, tu crois qu’ils sont restés au pouvoir trop longtemps ? »

Ce dialogue est-il occasionnel ? C’est difficile de le croire à la lecture de la réponse de Daranas lorsqu’on lui a demandé ce par quoi il avait été inspiré pour faire le film: « En réalité, les conséquences d’un quart de siècle de période spéciale (1) (ce qui veut dire que pour lui cette période n’est pas terminée) ont un impact, à travers un ensemble de mesures, sur la vie réelle de nos secteurs les plus pauvres… »

Le film nous place à l’intersection de dures réalités qui n’ont rien de caricaturales, ni excessives. Les personnages ne sont en rien stéréotypés. Pas étonnant que le réalisateur ait été inspiré par des histoires vraies, parce que d’une certaine manière, les Cubains connaissent tous les situations montrées dans le film.

Comme il le déclare lui-même, il a pu tourner sans aucune intervention ni pression de la part des autorités cubaines. Chala, une enfance cubaine est donc un film de transition, qui malgré les dénonciations qu’il porte sur ce qui était le fer de lance de la Révolution cubaine, l’éducation, annonce l’ère de changement qui se profile à Cuba. Les cubains ne s’y trompent pas quand ils applaudissent le film à tout rompre, et particulièrement des répliques, qui, il y a quelque temps encore auraient été considérées comme subversives.

Nous retiendrons bien sûr l’interprétation de Armando Valdés Freyre dans le rôle de Chala et de ces enfants issus de quartiers populaires qui ont débuté leur carrière d’acteurs dans ce film. Mais aussi la performance magistrale d’Alina Rodriguez qui nous bouleverse dans le personnage de Carmela. Une de ces enseignants cubains soumis aux bas salaires, aux élèves perturbateurs, à l’incompréhension et aux inspections de gens bien éloignés de ce qui se passe dans la réalité des salles de classe ?

Il est inévitable de voir Chala, afin de comprendre la situation de ce petit pays au bout des rêves et la réalité d’une grande partie de sa population, victime des réformes libérales du gouvernement révolutionnaire de Raul Castro.

Daniel Pinós

Chala, une enfance cubaine. Bande Annonce

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1. En 1991, avec la disparition du camp socialiste s’est ouvert à Cuba ce que l’on a appelé « la Période spéciale en temps de paix ». Cette période, dont l’île n’est toujours pas officiellement sortie à ce jour, s’est caractérisée par des mesures drastiques visant à préserver l’économie du pays (remise en place du carnet de rationnement, coupures d’électricité planifiées, etc.). En conséquence, les Cubains ont dû mettre en place les stratégies les plus variées afin de conserver des conditions de vie décentes, et se sont mis à conjuguer le verbe resolver (résoudre un problème) à tous les temps.


Enrique   |  Actualité, Culture, Politique, Société   |  02 22nd, 2016    |