Une coopérative à Cuba contre vents et marées

Comment fonctionne le système coopératif à Cuba ?

Le début de la journée est annoncé au son de l’enclume, d’une implacable régularité. Les travaux sont mis en attente, accumulés dans l’atelier de la rue San Ignacio, entre Amargura et Teniente Rey. Il faut optimiser le temps. Les membres de la coopérative de ferronnerie Calflat se répartissent les tâches : l’un peint une énorme porte, sortie de ses gongs de la maternité Leonor Pérez pour être entièrement restaurée tandis qu’un autre termine de souder des grilles pour des logements sociaux construits par le Bureau de l’Historien de la ville au numéro 208 de la rue Paul. Un troisième apporte la touche finale à des pièces destinées à une boutique de la rue Obispo.

Ils sont trois, la trentaine et chauves, ce qui donne lieu à des blagues. On se demande qui imite qui. Ne seraient-ils qu’une seule et même personne ayant étudié à l’Ecole Atelier Gaspar Melchor de Jovellanos (du Bureau de l’Historien de la ville) où on forme des artisans dans les domaines de la maçonnerie, la menuiserie, la peinture, le travail du verre ou encore archéologie ?

Les raisons de cette coïncidence leurs sont passées par la tête, racontent-ils. Aussi, le nom de cet atelier, fondé en septembre 2013 conformément au décret-loi n.305 du Conseil d’Etat, joue avec la calvitie prématurée des coopérativistes. Une calvitie qui leur donne une esthétique particulière, sûrement pas voulue. Les trois hommes haussent les épaules : cela leur est bien égal.

La restauration des portes de l’immeuble Bacardí, l’un des plus imposants exemples de l’art déco à Cuba, a été un travail laborieux. « Elles étaient très lourdes, détériorées et une partie des décorations avaient disparu », se souviennent-ils. Les trois jeunes, qui travaillent en collaboration avec le Bureau de l’Historien de la Ville, qui a financé les travaux, avouent un penchant pour les éléments baroques et les décorations d’inspiration coloniale : « on arrive avec une formation, à l’Ecole Atelier, on travaille sur des pièces issues des bâtiments de la partie la plus ancienne de la ville et on est resté dans ce créneau, on s’y sent à l’aise, même si les styles sont variés et exigeants. »

Et comment fonctionne le système coopératif ? La question se pose parce que les irrégularités sont nombreuses depuis l’approbation de la loi de 2012 qui régit de façon expérimentale la création des coopératives, en pleine actualisation du système économique. Les sites internet cubains ayant donné l’information avaient été assaillis de commentaires : des félicitations, des avertissements sur l’inexistence d’un marché de gros, des références explicites à l’importation de matières premières, aux entraves burocratiques, aux conditions d’embauche des salariés à la priorité accordée à certains secteurs : transport, restauration, pêche, aide à domicile, recyclage, production de matériaux et bâtiment.

Calflat partage ces doutes : les difficultés pour l’achat de matériaux rendent entrave la réalisation de travaux pour les particuliers. Depuis le début de l’année 2016, la coopérative n’a obtenu qu’une poignée de contrats via ce mécanisme.

Le problème n’a pas encore de solution pour les 345 coopératives non-agricole (un chiffre du Bureau National des Statistiques fin 2014), bien que dans les Grandes lignes de la Politique Economique et Sociale du Parti et de la Révolution, le document qui régit l’actualisation du système économique national, le commerce de gros se voit accorder la priorité. Il faut dire que selon le ministre de l’Economie et de la Planification : « l’ouverture d’un marché de ce type à Cuba, exige non seulement un financement mais aussi un réaménagement monétaire. »

Quels sont les avantages de ce type d’association? La personnalité juridique, le système d’impôts, les contrats sans intermédiaires, citent les jeunes derrière des étincelles provoquées par la soudure. On pourrait ajouter aussi la location de locaux et autres biens de l’Etat, l’indépendance vis-à-vis des entités étatiques. « La coopérative est une organisation à buts lucratifs et sociaux qui se construit volontairement sur la base d’apport de biens et qui repose sur le travail des partenaires, son objectif principal est la production de biens et l’offre de services dans le cadre d’une gestion collective, pour la satisfaction des intérêts publics et ceux des partenaires, » stipule le décret-loi n.305.

Cependant, il reste encore du pain sur la planche. A San Ignacio, entre les rues Amargura et Teniente Rey, Calflat refuse de pleurnicher; bien sûr, il faudrait venir à bout de certains blocages, légiférer, organiser des mécanismes qui pourraient faciliter la vie des coopératives… Mais le défi d’aujourd’hui, c’est de terminer les travaux commencés. Demain, il s’agira de frapper aux portes et de trouver de nouveaux travaux. Pour l’avenir, faire des ateliers avec des enfants des écoles du quartier, leur apprendre les belles choses d’un métier -d’un art aussi, soulignent-ils- peu valorisé.

C. Medina

Traduction: B.F

Pour Cubania


Enrique   |  Politique, Économie   |  08 3rd, 2016    |