Cuba, destination tendance de l’été? Vous risquez d’être déçus

Des dizaines de milliers de touristes s’apprêtent à envahir l’île en quête d’exotisme et de révolutions tropicales, bien décidés à la visiter «avant qu’elle ne change». Une bien mauvaise idée. Et ce pour dix raisons.

À en croire les titres des magazines et des articles qui anticipent les vacances, Cuba serait devenu cet été l’une des destinations favorites des Français. Il faut y aller «avant la foule», titre Le Monde.  Il faudrait même s’y rendre «avant que l’île ne soit envahie par les Américains», recommande un autre journaliste.

Et puisque le président Obama a osé faire le déplacement ce printemps, il aurait ouvert la voie à la réconciliation de Cuba avec le monde. «C’est trop drôle, c’est comme si les Américains se ruaient pour visiter l’île avant que les Américains ne se ruent à Cuba!», commente Tony Pandola, un guide touristique au New York Times.

Pour une part, tout cela est vrai. En 2015, 3,5 millions de personnes ont visité Cuba; et les prévisions pour 2016 font déjà état d’une augmentation de 15%. L’an dernier, le nombre d’Américains à visiter l’île a augmenté de 77 %. Il devrait encore s’accroître de manière exponentielle. Puisque les pays arabes ont perdu leur côte du fait des attentats et de l’islamisme radical (ce qui est d’ailleurs une erreur car la Tunisie et l’Égypte restent des destinations formidables), Cuba prend le relais. Le pays est une expérience unique en terme de dépaysement. Il a tout pour plaire: l’exotisme, les tropiques, les Caraïbes, les prix, les vols directs Air France…

Depuis un an, je me suis rendu à Cuba à trois reprises. J’ai pu me rendre compte à quel point l’île risque de surprendre négativement ceux qui attendent trop d’elle, sans s’y préparer. Et ce pour dix raisons. Elle décevra si on tient à son niveau de vie, à sa bourse ou aux droits de l’homme. Mes commentaires sont accompagnés des remarques du petit-fils de Che Guevara, Canek Sánchez Guevara, dont le roman magnifique, 33 Revolutions, sortira le 26 août en français aux éditions Métailié. C’est un témoignage désabusé sur La Havane et un ode désenchanté de la révolution castriste par un enfant gâté de la dictature –devenu anarchiste et punk. Anticastriste aussi.

1. Les T-shirts de Che Guevara, c’est seulement pour les touristes

Partout dans le monde, des adolescents portent aujourd’hui des T-shirts de Che Guevara. Le «Comandante» reste pour beaucoup la face positive de la révolution cubaine. Et sur l’île, on peut trouver à tous les coins de rue ses livres, des T-shirts et des cartes postales à son effigie et autres affiches à sa gloire.

Pourtant, seuls les touristes embrassent ce symbole. Les Cubains, et en particulier la jeunesse cubaine, rejette Che Guevara comme l’un des dictateurs de l’histoire. D’ailleurs, les historiens leur donnent raison. La biographie de référence du Che, signée par l’écrivain Jon Lee Anderson, est de ce point de vue révélatrice: elle montre bien, derrière le mythe, l’homme sectaire, stalinien, qui a du sang sur les mains. Et grâce à elle, on connaît mieux désormais l’idéologue dogmatique; le procureur des tribunaux révolutionnaires et l’assassin de prisonniers politiques; le défenseur des crimes du FLN en Algérie; le stalinien devenu maoïste; le tueur de sang froid et, aujourd’hui, la figure tutélaire des terroristes du Hamas à Gaza, du Hezbollah au Sud Liban et de toutes les guérillas narco-trafiquantes d’Amérique latine. La vie du Che est finalement moins grandiose qu’elle n’est effrayante. Les Cubains en payent toujours, près de soixante ans plus tard, le prix.

2. L’aéroport José Marti est saturé

Plusieurs compagnies américaines vont être autorisées prochainement à se poser à l’aéroport international de La Havane et, déjà, les avions charters se multiplient. Près de 110 nouveaux vols quotidiens en provenance des États-Unis sont programmés. Air France assure plusieurs rotations quotidiennes, comme la plupart des grandes compagnies européennes.

Reste que l’aéroport de La Havane n’arrive pas à digérer ce nombre croissant de vols et de passagers. Les salariés de la tour de contrôle archaïque sont en nombre insuffisant tout comme les personnels au sol chargés de l’accueil des touristes. Des queues invraisemblables se forment au passage de douane et les contrôles de sécurité, pourtant très amateurs, occasionnent aussi de longs moments d’attente. Quant aux bagages, le temps moyen pour les récupérer dépasse actuellement les quatre-vingt-dix minutes et parfois il peut atteindre… jusqu’à cinq heures.

L’aéroport José Marti est aujourd’hui saturé. Cuba veut devenir une capitale du tourisme mondial mais son aéroport est aussi peu développé que celui de Nantes-Atlantique! Mon conseil: tout faire pour éviter de checker ses bagages ou bien prendre son mal en patience.

3. Le vintage n’y est qu’un signe de pauvreté

Depuis la révolution cubaine de 1959, l’île est pour une part coupée de la modernité. C’est son charme le plus évident et les touristes aiment y découvrir les «belles américaines» des années 1950 ou les immeubles rococos de l’ancienne aristocratie cubaine, prestigieux mais délabrés, qui croulent sous les stucs. Et ils sont effectivement magnifiques.

Visiter la vieille ville de La Havane (Habana Vieja) reste une expérience unique, sans parler des villages en province qui permettent de remonter le temps.

Pourtant, il s’agit moins d’un flashback vers 1959 que d’une immersion dans la pauvreté. En fait, aller à Cuba aujourd’hui, c’est un peu comme aller à Bucarest ou à Varsovie en 1988 –avant la chute du mur. C’est faire l’expérience des rationnements et des restrictions alimentaires.

«Le pays entier est un disque rayé, écrit Canek Sánchez Guevara. Tout se répète: chaque jour est la répétition du précédent, chaque semaine, chaque mois, chaque année. (…) La vie toute entière n’est qu’un disque rayé et crasseux.»

4. Les coûts sur place sont plus élevés qu’on ne le pense

Voyager à Cuba cet été vous coûtera peu cher, dit-on. Il est vrai que le coût de la vie est particulièrement peu élevé dans un pays où le salaire moyen ne dépasse guère quelques dizaines d’euros par mois. Au marché, les légumes coûtent quelques centimes; vous avez plusieurs cafés pour un euro; et voyager en bus cubain sur de longues distances est possible pour le prix d’une eau gazeuse à Paris.

Pourtant, Cuba a inventé la monnaie des touristes: le peso cubain convertible (peso cubano convertible ou CUC). Il n’est pas plus convertible, en réalité, que le pesos national cubain (peso cubano dit «moneda nacional» ou CUP), mais il est vingt-cinq fois plus cher! Actuellement, le barème fixe est le suivant: un CUC vaut un dollar, soit environ 0,90 euro.

C’est dans cette monnaie que les touristes vont payer la quasi-totalité de leurs achats. Et du coup, le coût de la vie est particulièrement élevé. Les hôtels, toujours d’État, sont hors de prix: ils peuvent atteindre 350 euros pour une nuit, même dans un hôtel moyen au service déplorable («Personne ne sourit ni ne dit bonjour», écrit Canek Sánchez Guevara). Les taxis se révèlent aussi chers qu’à Paris (et aussi voleurs), les commissions bancaires sont élevées, l’alcool cher comme les restaurants de qualité. On peut bien sûr manger pour presque rien dans la rue ou les salles de cafés aux tables sales –avec leur «plateau réglementaire : le cercle de potage, le carré de riz, le rectangle de patate douce» (comme l’écrit encore Guevara)–, mais la nourriture est alors fort médiocre, la viande est inexistante, le poisson et le fromage rares et les plats parfois immangeables. Gare aux intoxications alimentaires!

Mais ces prix déjà élevés ont tendance à augmenter encore du fait de l’accroissement du nombre de visiteurs et de la saturation des infrastructures touristiques (certains observateurs ont pu constater que le prix des nuitées d’hôtel ont gagné 30% depuis un an).

Mes conseils: ne pas habiter dans les hôtels, sauf peut-être lors du premier soir, et leur préférer une «habitación» ou «casas particulares». S’il n’est, hélas, guère possible de les réserver à l’avance, il est facile d’en trouver au dernier moment dans les rues des grandes villes où des petits panneaux innombrables permettent de les repérer (compter 15-25 euros la nuit à La Havane, un peu moins en province).

Plutôt que de prendre des taxis (chers), ou des bus (ils sont bondés et il est difficile d’en maîtriser les trajets), je recommande également les taxis collectifs. Ceux-ci, de grosses voitures américaines hors du temps, sont faciles à repérer et leurs trajets, toujours identiques, suivent généralement les grandes avenues. Ils coûtent ½ CUC (soit moins de 0,50 euro).

5. Buena Vista Social Club? La bonne musique est rare

Beaucoup de touristes vont à Cuba en quête de musique cubaine. Il est vrai que le film Buena Vista Social Club a durablement marqué les esprits. Vrai aussi que les musiques cubaines sont extraordinaires, depuis la conga jusqu’à la rumba, sans oublier le boléro, le mambo ou le cha-cha-cha. Et même si la salsa a été sans doute inventée autant aux États-Unis qu’à Cuba, et le reggaetón à Porto Rico, on en trouve des versions locales fantastiques. Il suffit d’ailleurs de prendre un taxi collectif à La Havane pour écouter une bande son originale tout au long du trajet!

Pourtant, la bonne musique à Cuba est rare. Les lieux touristiques proposent partout de la salsa de supérette et la qualité musicale des bars et des restaurants est déplorable. Vous serez certainement déçu, même s’il est possible, par hasard, dans une ruelle ou un lieu décalé, de croiser un musicien authentique. Reste, que le meilleur concert récent à Cuba a été celui des Rolling Stones!

6. Le reste de la vie culturelle est tout aussi famélique

On peut rêver de partir à la découverte de l’art et de la littérature cubaine. Et on peut toujours rêver. Les musées de La Havane font peine à voir. Le musée de la Révolution, consternant, est un pur objet de propagande même pas réaliste socialiste. Quant aux librairies, elles n’existent pratiquement pas.

Cuba est ce pays étrange, tout droit sorti d’une dystopie de George Orwell ou de Ray Bradbury: un pays sans livres. À l’exception de quelques classiques d’Ernest Hemingway et de Gabriel Garcia Marquez, que l’on voit partout parce qu’ils sont conformes aux vues du régime, la fiction comme la non-fiction ont été rayées de la carte cubaine. Même les livres de l’écrivain Leonardo Padura, auteur d’une biographie romancée géniale de Trotski, L’Homme qui aimait les chiens, et qui vit toujours dans un quartier périphérique de La Havane, où je l’ai rencontré, ne sont pas disponibles à Cuba. Et pourtant Padura, qui jongle avec la censure, fait partie de la très officielle Union des écrivains. C’est dire!

7. La sécurité reste meilleure que sur le reste du continent, mais elle se dégrade

L’un des atouts principaux de Cuba reste sa sécurité. Cela tranche en effet avec le reste de l’Amérique latine où, du Brésil au Mexique, sans même évoquer le Venezuela, la violence et les vols sont une banalité de la vie quotidienne. À Cuba, l’un des pays les plus sécurisés du continent, le taux de criminalité est extrêmement faible. Il y a peu de risques de vols à main armée; les agressions sont rares.

Dans la plupart des immeubles, des membres des Comités de Defensa de la Revolución (CDR) veillent au grain; dans les avenues, la police procède à des contrôles d’identité réguliers. Pourtant, comme partout, et à mesure de l’affluence des touristes, de petits vols commencent à se multiplier, notamment dans les quartiers centraux. Mais, sur ce registre, Cuba reste une exception positive en Amérique latine.

8. La prostitution et les bars attrape-touristes sont en plein essor

Elles sont jolies les filles Cubaines? Oui, bien sûr. D’ailleurs, elles aiment parler aux étrangers, comme d’ailleurs tous les habitants de l’île. Les cafés se sont multipliés depuis deux ans dans les grandes villes et les clubs sont également plus nombreux qu’avant (notamment sur la 23e Rue).

9. Les accès à internet sont rares et chers

L’une des vertus les plus inattendues de Cuba est, paradoxalement, la faiblesse de ses moyens de communication. Pour obtenir une puce locale, il faut faire plusieurs heures de queue et pour accéder à internet, ce qui est rare et extrêmement onéreux, il faut se rendre dans les hôtels cinq étoiles. Il vous en coûtera en moyenne 10 euros de l’heure, pour un débit d’une grande lenteur, même si le wifi commence à être disponible dans quelques lieux de La Havane (notamment sur la 23e Rue, bien qu’à un débit encore plus lent).

Si vous comptez consulter régulièrement votre page Facebook ou des vidéos sur YouTube, autant oublier! En revanche, Cuba est sans doute l’une des rares destinations au monde où l’on peut s’octroyer un séjour efficace de «déconnexion digitale» (ou «digital détox»). Pendant les jours ou semaines que vous passerez à Cuba, rien de plus facile que d’oublier ses emails, ses posts et autres tweets: c’est le pays idéal pour la déconnexion totale. De toute façon, vous n’aurez pas le choix.

10. Il n’y a rien d’autre à ramener en France que le souvenir d’une révolution perdue

Il est maintenant temps de rentrer. Quels souvenirs rapporter? Rien! Au-delà des livres de Che Guevara, déjà cités, et des vieilles montres automatiques soviétiques en panne, il n’y a rien de significatif à ramener de Cuba. La plupart des objets vendus aux touristes sont inutiles, frelatés ou fabriqués en Chine! Des poupées russes? Des images pieuses? Des manuels de propagande? Des chargeurs d’iPhone 3GS? Rien ne mérite d’être acheté!

Quant aux cigares, souvent bidonnés, et aux bouteilles d’Havana Club (elles aussi parfois frelatées et qu’il faut checker à l’aéroport), elles ne valent pas leur prix, surtout depuis que Pernod Ricard a racheté la marque de rhum, peut-être plus vraiment fabriqué à Santa Cruz del Norte à Cuba. Vous pouvez vous procurer le même rhum Havana Club en France pour un prix moindre. Un comble!

Alors, autant faire comme les Cubains qui s’exilent chaque année par milliers pour fuir le castrisme et les pénuries –43.000 sont partis en 2015 pour rejoindre les États-Unis: partir sans rien, les bagages vides!

Le petit-fils du Che, Canek Sánchez Guevara, peut alors conclure dans son roman 33 Revolutions, à travers le dialogue de deux de ses personnages:

«–C’est un naufrage et les rats quittent le navire. Écoute-moi bien: la révolution a échoué. (…)

–Cette île est en train de couler dans la mer… (…)

–L’île est en train de couler et on peut pas rejeter la faute sur les autres. Nous nous sommes torpillés nous-mêmes. Écoute-moi bien: nous-mêmes.»

Frédéric Martel

Slate


Enrique   |  Actualité, Politique, Société   |  09 19th, 2016    |