Faire les courses avec la libreta

La libreta, le carnet d’approvisionnement, permet de retracer l’histoire alimentaire de la nation cubaine. Les produits figurant sur ce carnet sont vendus à un prix dérisoire dans les « bodegas » (épiceries d’État).

Le carnet d’approvisionnement est l’un des trésors de l’identité cubaine, comme un  pont jeté entre le passé, le présent, les générations, la situation économique, la vie des familles, l’alimentation…

Ce document, renouvelé chaque année, permet de contrôler la vente d’un certain nombre de produits que l’État attribue à tous les Cubains. On peut y lire l’histoire de notre pays de l’époque qui a précédé l’effondrement du camp socialiste jusqu’à nos jours en passant par les moments difficiles de la « Période spéciale ».

La libreta, comme on l’appelle familièrement, fait figure de lien entre les membres d’une même famille — parfois, ce lien n’existe pas réellement malgré la cohabitation —, il rassemble aussi des personnes qui n’habitent plus ensemble mais qui continuent d’être inscrites sur le même carnet.

Première page

Le carnet d’approvisionnement a officiellement vu le jour le 12 juillet 1963 avec la création des Bureaux de contrôle et de distribution des aliments de Cuba (OFICODA). Sur les pages de ces premiers carnets, on retrouve des listes d’articles et d’aliments que la population recevait via cette distribution contrôlée. Lorsqu’on regarde ces listes en pensant aux difficultés que l’on rencontre actuellement pour se procurer des aliments, on a envie de rire et de pleurer en même temps. De pleurer surtout, quand on pense que de nombreux enfants et de personnes âgées vivent pratiquement des aliments achetés dans les bodegas.

Que sont les bodegas ? Ce sont des épiceries d’État dans lesquels les produits subventionnés figurant sur le carnet sont vendus. Les épiciers sont appelés bodegueros, les épicières bodegueras. Ils travaillent dans des locaux généralement en mauvais état et souvent mal entretenus. La propreté des lieux dépend surtout de l’épicier qui tient le magasin et dans une moindre mesure du quartier.

On peut y acheter, entre autres, du riz, des légumes secs, du café, des pâtes mais aussi des produits qui ont progressivement été retirés du carnet et dont la quantité vendue n’est plus contrôlée.

L’épicerie n’est pas le seul magasin où l’on fait ses courses avec le carnet. On en a également besoin pour acheter du lait : le lait des enfants est garanti jusqu’à sept ans (il faut ensuite l’acheter dans les commerces en CUC à des prix peu accessibles au regard du salaire du Cubain moyen). On présente aussi la libreta lorsqu’on fait ses courses dans les charcuteries d’État ou quand on va à la pharmacie, notamment pour acheter des serviettes hygiéniques et un thermomètre.

Vers la dernière page

Un carnet est remis à chaque famille. Si dans un premier temps, seuls les aliments et les produits de première nécessité étaient concernés, des vêtements et des chaussures les ont rejoints à un moment donné. Avec la dégradation de la situation économique suite à la chute du bloc socialiste, cet instrument bureaucratique a perdu presque tout son sens.

Néanmoins, dans de nombreux endroits du pays, le jour où l’on achète le poulet, l’huile ou le café grâce au carnet d’approvisionnement reste un moment important.

Même si le carnet d’approvisionnement n’est pas viable économiquement pour l’État cubain, il n’a toujours pas disparu. La libreta a un avenir qui semble compromis mais elle est toujours la principale source de subsistance pour de nombreuses familles défavorisées.

Pour l’anecdote, il faut signaler, même si ce document fait l’objet d’un contrôle, qu’il ne correspond pas toujours à la réalité. Par exemple, de nombreuses familles continuent de recevoir des aliments de personnes décédées il y a des années ou qui ont quitté le pays.

Le carnet en une touche d’humour

Vivir del cuento est l’une des émissions humoristiques les plus connues et les plus appréciées par les téléspectateurs cubains. Chaque épisode présente une nouvelle histoire avec des personnages qui habitent dans un même quartier. Pánfilo, le personnage principal, voue un véritable culte au carnet d’approvisionnement.

Il lui rend régulièrement hommage dans ces émissions et il s’en sert pour ironiser sur la situation économique du pays. Le carnet d’approvisionnement y est présenté comme un sauveur en temps difficiles. Néanmoins, on ne cache pas que la libreta constitue de nos jours une solution ridicule si l’on cherche à ce que toutes les personnes aient une consommation et des besoins équivalents.

Sofía D. Iglesias

Traduction : F. Lamarque pour Cubania.com


Enrique   |  Actualité, Politique, Économie   |  07 29th, 2017    |