Venezuela, Le Venezuela selon les progressistes

S’il y a une chose qu’on puisse dire, c’est que nous avons tous été surpris par le résultat des élections au Venezuela (1), car en dépit de la situation catastrophique, le parti au pouvoir est parvenu à gagner. Ce qui est une performance. Dénouement surprenant voire incompréhensible pour beaucoup, tout à fait explicable pour d’autres. Résultat des courses, ceux de toujours raflent la mise et l’opposition ne récolte que cinqs Etats. Numériquement, c’est bien peu (comparé aux 18 restants). Le seul avantage que l’opposition en retire c’est d’avoir le contrôle d’un triplé stratégique, en raison de la position frontalière avec la Colombie ou des richesses pétrolières de l’entité fédérale. On pense aux États de Mérida, Táchira, et Zulia. Mise à part cela, d’un point de vue global, le parti au pouvoir, est plus fort que jamais. Ce qui confirme bien selon beaucoup de citoyens et de journalistes, alors qu’on en doutait, que la politique de Maduro est bonne. Ce résultat dément l’information donné dans les médias: tandis qu’on a parlé de répression et de crise sociale et humanitaire de grande envergure, on devrait comprendre que ce n’était que du pipeau, comme le suggère de nombreux sites. La boucle est bouclée… ou presque. Il est de bon augure de revenir sur les analyses suivantes qui se sont vues renforcées après les élections.
En effet, après les résultats, de nombreux sites «progressistes» en ont profité pour remettre les compteurs à zéro, afin de régler des comptes avec les médias dominants. Alors qu’ils nous préparaient il y a quelques mois, en raison d’un État autoritaire et répressif, et de la misère, à une sanction historique pour le PSUV (2), celle-ci ne s’est pas produite. Ce qui devrait justifier que tout ne va pas si mal au Venezuela, sur le plan démocratique, comme sur le plan social. Ce qui confirme bien par ailleurs que l’information donnée par les grands médias obéissait à une stratégie de dénigrement de la «République Bolivarienne», et non à une représentation honnête de la réalité (comme ils sont censés le faire); et enfin, que les forces progressistes, avant comme après les élections, ont été bien plus lucides pour évaluer la situation au Venezuela.
Pourtant, les choses ne sont pas si simples. La victoire du PSUV ne signifie pas forcément que les médias, comme Arte par exemple, se soient trompés sur toute la ligne et nous aient mal informé. Loin de là. Cette victoire ne signifie pas non plus que l’analyse qu’on retrouve dans la presse progressiste soit la bonne. Contrairement aux apparences, le pays est toujours en pleine régression sociale et démocratique, et la plupart des institutions rattachées à l’État demeurent en perte de légitimité. L’analyse progressiste ne tient toujours pas, comme nous allons le voir; et la défense qu’elle affiche au régime dans ses papiers est toujours aussi problématique.

Une critique à double tranchant.

L’outil que les progressistes affutent pour critiquer les grands médias pourrait se retourner contre eux, si bien que l’obsession des médias à mettre en relief les maux du Venezuela est aussi la leur, à circonscrire tout type de problème à l’impérialisme. Le gouvernement n’est responsable de rien. Tout est imputé à une guerre économique et médiatique qui malheureusement place le pays au rang de victime. Sur bien des dossiers, l’État n’est pas victime mais bourreau. Responsable quant aux morts et aux blessés par gaz lacrymogène. Responsable sur bien des sujets sur lesquels nous ne sommes jamais informés dans ce type de presse qui a l’obsession d’excuser les gouvernements dit progressistes; remettant systématiquement les catastrophes devenues ordinaires au Venezuela sur le compte d’un ennemi «extérieur et intérieur». On peine à l’identifier, mais on comprend bien qu’il ne peut pas s’agir du gouvernement.

C’est qu’il y a une sorte de fétichisme des «régimes progressistes» d’Amérique Latine, comme il y a pu y avoir défense aveugle et excuse quant aux crimes sous l’URSS, ou aux famines dans la Chine Maoïste. Ce n’est pas par la même lumière, mais il y a un aveuglement similaire
Dans le traitement de l’information sur le Venezuela deux types de presses se contestent la légitimité: grand média dominant et presse progressiste alternative. Le second modèle veut prendre le contre-pied du premier. Partant du principe que nous sommes mal informés par la presse à grand tirage, il propose des articles pour fournir une contre-analyse et un contre-discours à la propagande médiatique institutionnelle. Si l’intention est louable, ses articles et ses blogs ont à leur insu le défaut de nous éblouir quand ils étaient censés nous rendre la vue, diffusant ou relayant une propagande, lorsqu’ils sont censés nous informer. Cette presse a aussi ses limites. Il faut alors être sur nos gardes pour ne pas troquer une propagande par une autre.
On doit questionner et déconstruire l’argumentation bien rodée de la presse progressiste, sans avoir peur de formuler un autre discours; peut-être moins élogieux à l’égard de la gestion de Maduro, mais qui a le mérite d’être différent, et de surement mieux correspondre avec la réalité.

Ce que disent et ne disent pas les progressistes suite aux élections.

Des articles de fond écrits sur plusieurs sites comme «Réveil communiste», «Le Vent se Lève», «Mémoire des Luttes», «Le Grand Soir» etc, profitent de l’événement pour légitimer au fil des paragraphes, résultat de la dernière élection à l’appui, la politique du gouvernement. Le résultat s’explique de façon implacable par le désaveu de la droite dans la stratégie violente qu’elle a mise en place pour faire tomber la «dictature de Maduro», et par la réussite du gouvernement qui a su temporiser une situation explosive avant l’élection de l’Assemblée Nationale Constituante. C’est ce que note par exemple Juan Manuel Karg dans son analyse.

«Il faudrait peut-être chercher les explications dans l’inflexion politique provoquée par l’élection de l’Assemblée nationale constituante: des millions de personnes sont allés voter pour dire non aux «guarimbas», ces violentes manifestations de rue qui se sont soldées par une centaine de morts, parmi lesquels de nombreux seulement coupables du seul «pêché» d’être pauvres et chavistes. Depuis cette élection, la violence a notablement diminué et la MUD a accepté le dialogue, puis la convocation des élections régionales.» (3)

L’élection du 15 octobre éclaire l’histoire d’un nouveau jour. Elle donnerait raison au gouvernement sur les évènements passés, et tort à l’opposition. On aurait la confirmation que l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) a joué un rôle positif pour enrayer la violence. Cette solution expresse du gouvernement pour calmer le jeu aurait porté ses fruits.
Que la violence est diminuée est une bonne chose, mais on peut s’interroger sur la relation de cause à effet entre l’un et l’autre. Quel rapport entre une Assemblée Nationale Constituante et la diminution de la violence? Ça reste un mystère.
Une analyse équivalente est faite par Maurice Lemoine:

La stratégie insurrectionnelle de la MUD n’a pas payé. Alors que le pays sombrait dans la folie, l’Assemblée nationale constituante convoquée par Maduro a ramené un calme dont rêvaient une majorité de Vénézuéliens. (4)

Pour comprendre cette élection, les auteurs reviennent sur les évènements passés qui portent en eux, en quelque sorte, la victoire du PSUV et la défaite de l’opposition.

Résumons l’analyse de la presse progressiste: d’avril à juillet 2017 il y a eu des manifestations violentes qui ont engendré des pertes humaines et matérielles. L’État a résisté à l’entreprise de déstabilisation, puis a convoqué une constituante pour renouer avec la paix. On soutien ensuite que l’opposition a accepté le dialogue dans la foulée, et les élections régionales établis pour le mois d’octobre. D’un côté, on pari sur la paix et la démocratie, de l’autre, on mise tout sur la violence. On devrait comprendre la victoire électorale comme un oui en faveur de la paix et de la démocratie, et un refus de la violence incarnée par l’opposition.

Tandis qu’on voudrait que cette lecture des événements soit gravée dans le marbre on peut voir les choses sous un angle totalement différent. Ce résultat n’apporte pas la preuve a posteriori que l’opposition s’est laissée aller à la violence pendant que l’État, beaucoup plus responsable, avait la bonne stratégie pour le pays en convoquant l’ANC. On ne peut pas réécrire l’histoire, comme cela est fait ici, en faisant passer l’ANC comme la bouée de sauvetage de la paix et de la démocratie. Si pour comprendre cette drôle de victoire électorale on peut s’arrêter sur les évènements passés, ils ne doivent pas servir à justifier la politique du gouvernement mais à présenter l’actualité sous un nouveau jour. Éffectuer une correction est nécessaire car le schéma d’une opposition qui a fait le choix de la violence pendant que le parti au pouvoir jouait sur l’apaisement, nous laisse sur notre faim, pour ne pas dire, ne correspond pas à la réalité.
Avant de discuter du rôle de l’Assemblée Nationale Constituante nous devons revenir sur ce moment ou «le pays sombrait dans la folie», car cette étape antérieur jonchée d’environ 125 morts devrait expliquer et justifier cette ANC.

De la violence à l’ANC.

Le pays sombre dans la folie nous dit-on. Que laisse t-on entendre? Que le pays bascule dans la violence à cause des manifestations massives, échelonnées sur quatre mois. On est parfois précis dans les descriptions. On parle de foyers insurrectionnels animés par une petite bourgeoisie revancharde qui met le feu au poudre, menaçant par son action criminelle un président démocratiquement élu. Tout ceci est contestable. Par ailleurs, ce qu’on ne dit pas, c’est que durant quatre mois, le pays sombrait dans une spirale répressive sans précédent. Il faut donc revenir sur cette folie non pas causée par les quatre mois de lutte mais par la violence et le durcissement de l’État.

Depuis 2016, le gouvernement a déclenché l’état d’urgence, et avec l’application du plan Zamora l’Etat exerce un contrôle social et répressif plus intense sur la population. Depuis, selon Keymer Avila (5), toute action qui viserait à questionner ou mettre en risque le système «serait considérée comme une menace, et il faudrait agir en conséquence.» (6) Action, réaction.
L’auteur précise: «Les protestations peuvent être comprises comme une «menace» et les citoyens qui protestent comme des «ennemis».» Le Gouvernement a une vision militarisée de la société, c’est ce qui l’amène à employer cette terminologie. Les substantifs «ennemi» et «menace», comme le concept «d’ordre intérieur» renvoient effectivement au domaine militaire. A travers cette grille de lecture, un discours influent se met en place. Il détermine l’action du gouvernement qui va lui-même redéfinir le vocabulaire, dans le courant de sa politique, comme en témoigne l’expression «ennemi de la patrie.» Il est normal de «neutraliser» un ennemi ou de remédier avec des moyens exceptionnels aux menaces détectées, même si ces moyens constituent une nouvelle entorse à la Constitution et aux Droits de l’Homme. Le discours militaire devient ainsi une caution à la fuite en avant répressive: mieux vaut une répression musclée qu’un coup d’Etat.

La marche au pas du vocabulaire et de la politique.

On comprend mieux l’intérêt du vocabulaire et en quoi il porte l’idéologie militariste de l’État.
Les manifestants se retrouvent volontairement cernés par la langue du pouvoir. On les accuse de bruler du chaviste. D’avoir une démarche fondée sur la haine et la violence. On ne voit pas le citoyen en colère mais le putschiste en puissance. Le pyromane en puissance. Rien de plus. Avant de gouter à la prison les citoyens sont enfermés dans un discours qui leur échappe. L’État dit qui il est dans sa politique, mais il dit aussi qui ils sont, eux, ceux qui s’opposent. Il a le monopole du discours, et sait très bien l’adapter à ses fins. C’est lui qui condamne, en commençant par les mots. On relais l’information, on criminalise, on stigmatise. On réduit des majorités aux minorités violentes. On construit un ennemi qui n’a plus rien de respectable. L’un permet l’autre. On créé le barbare pour justifier le renforcement du maintien de l’ordre. S’il on posait la question aux manifestants, il n’est pas certains qu’ils se reconnaissent dans les étiquettes «droite» et «extrême droite» qui leurs sont souvent imposées.
Influencé par ce discours, la presse progressiste reprend une analyse équivalente dans ses articles. En utilisant un certains vocabulaire elle défend la terminologie du gouvernement et justifie sa politique.

A l’inverse, on nous explique parfois que si nous ne sommes pas dans ce registre langagier (ennemi, «guarimba» fasciste), si on a pas cette lecture (opposition insurrectionnelle, petite bourgeoise, armée, chargés de haine), qui est celle de l’État du Venezuela et de la presse progressiste, alors, mécaniquement, c’est qu’on est tombé dans le piège des grands médias ou l’on répète un storytelling cent fois ressassé. Répétant cette histoire, on se ferait berner. Heureusement, la presse progressiste est là pour éclairer nos lanternes. Elle démonte le storytelling des grands médias qui parle de rébellion populaire et de répression étatique; ce qu’on ne peut pas croire une seconde lorsqu’on est un lecteur assidu de Mémoire des Luttes. Thierry Deronne nous le réexplique dans le journal «Le Grand Soir»:«L’image d’une guerre civile ou celle d’une opposition démocratique en lutte contre un régime répressif ne tient plus.» (7) On veut avoir un regard neuf sur le Venezuela, émancipé des positions simplistes, et on finit par reprendre un autre storytelling qui légitime les mots et l’action du gouvernement de Caracas. La presse progressiste qui voulait prendre le contre-pied de l’information, notamment sur le Venezuela, se retrouve à suivre le rythme d’un discours qui avance au pas cadencé. Au lieu de faire un pas de côté, la critique rend les armes et marche pas.

Ayant en tête le vocabulaire du gouvernement, on anticipe sur ce que cette presse va nous dire. Sans surprise, la critique est décevante car on retrouve les mêmes poncifs: Il n’y a pas de répression, juste un maintien de l’ordre intérieur. Pas de manifestations qui méritent d’être écoutées, juste une entreprise de déstabilisation à laquelle l’État de droit doit faire face, comme bon lui semble. En utilisant la pression et la répression, car face aux barbares et aux fascistes, son action sera toujours légitime. Des boucliers se lèvent en défense du gouvernement. Les communiqués empruntent le même schéma. Celui du PRCF (Pôle de Renaissance Communiste en France) commence ainsi: “La situation au Venezuela devient de plus en plus instable du fait de la vaste entreprise de subversion organisée par l’oligarchie locale et l’impérialisme étasunien.” (8) On passe d’une représentation biaisée de la réalité à l’omission des faits. Dans “Insoumission vénézuélienne” Maurice Lemoine explique que “Garde nationale et police bolivarienne ne répriment pas les manifestants pacifiques (…)” (9) Si elle est évoquée, la répression ne peut être qu’une invention car elle n’est pas le sujet de la violence. Ceux qui livrent le Venezuela à la violence ce sont les «groupes de choc de l’extrême droite» (10), nous dit-on. Pas un mot sur les chevrotines et les lacrymogènes, les agressions militaires, les brutalités policières, les coups de matraques, les tabassages. La violence et la brutalité sont ici cristallisées dans ces «groupes de choc». Le reste s’évanouit.

Ce qui est sur, c’est que si le journal «Le Monde «invente» la répression à Caracas» (11) selon le titre d’un article de Thierry Deronne, d’autres écrits s’arrangent, à l’inverse, à la faire disparaître. La répression disparaît comme par magie et les manifestations se retrouvent transformées en déstabilisation, et les opposants, en «ennemis». S’il n’y a pas de répression, ce qu’il reste, par déduction, c’est une violence oppositionnelle effectuée par des manifestants qui n’en sont plus. Dans un autre article du même ordre on lit: “Les forces paramilitaires qui se cachent derrière les “manifestants pacifiques” attaquent les institutions policières, militaires et civiles pour provoquer une escalade de violence conduisant à la guerre civile.” (12) Dans cette transformation du vocabulaire et de la réalité, on retient que «groupes de choc» remplace répression, et qu’il y a une passerelle entre «les forces paramilitaires» et les «manifestants pacifiques». Autre communiqué déconcertant de France Amérique Latines: «FAL 33 condamne «la guerre de basse intensité» que mène l’opposition contre la société vénézuélienne et qui se traduit par l’organisation de la pénurie de biens de consommation dans les quartiers populaires, l’attaque systématique des représentants des forces de l’ordre et des institutions de l’État, le saccage des biens publics, l’attaque des maternités, le pillage des commerces, les assassinats, le lynchage de supposés «chavistes», les agressions de journalistes et autres agissements non conformes à toute démocratie. L’assemblée générale de FAL 33 salue le courage et la résistance du peuple qui défend, dans la rue, dans les quartier, la construction de la démocratie par des manifestations pacifiques.» (13)

On touche aux mots et à la pensée; c’est ce qui permet à Atilo Boron, politologue et sociologue argentin, de défendre le gouvernement et d’inviter Maduro à «écraser» les opposants. (14) Avec lui, des intellectuels et des journalistes se sont rangés derrière Maduro qui serait un rempart face aux golpistas (fascistes). Il est soutenu parce que personne ne peut dignement défendre ceux qui commettent tous les crimes qu’on nous énumère. Personne ne peut dignement défendre les enfants de Pinochet. La stratégie de guerre, on l’a compris, passe aussi par le langage.

Au lieu de rendre compte de la situation, du tournant répressif, les avant-gardes progressistes ne font qu’amplifier le discours de l’État. En reprenant son vocabulaire, elles légitiment sa politique, et donne au discours plus de poids et plus de crédit. Lorsqu’il infuse, ce discours agit comme une propagande au service de la répression. Il est une propagande qui alimente la répression là-bas, quand il légitime ici la politique autoritaire du gouvernement. En criminalisant les manifestants, puis en occultant les homicides de la police et des militaires, le gouvernement encourage le corps militaire à faire usage de leurs armes, et non à faire preuve de retenue. Le message est donné: une violence éclate au grand jour (celle d’une «opposition insurrectionnelle») et l’autre reste dans l’ombre. La presse progressiste s’adapte à ce contraste. Elle criminalise les luttes, et légitime l’action du gouvernement.
Alors, au lieu de mettre en lumière la machine répressive élaborée par l’État, elle lubrifie les engrenages.

Une répression sans précédent.

On oublie souvent de rappeler qu’il y a déjà eu de la répression au Venezuela, et la dernière la plus importante s’est déroulée en 2014. Cette année a tout connue: répression, arrestation massive, torture, comme l’a démontré Amnesty International (15). En 2014, l’organisation PROVEA (16 )avait enregistré 3000 personnes soumises à des procès judiciaires. Pour le mouvement syndical par exemple il y a eu 136 dirigeants syndicaux soumis à des procès pénaux, et de nombreux autres procès ont touché des paysans, des ouvriers, des étudiants. En 2017 cette violence a augmenté de plusieurs échelons, et la mise en place de l’état d’urgence et du plan Zamora y sont pour quelque chose. Après l’état d’urgence, l’activation du plan Zamora empêche l’État de droit, l’exercice de la grève et de la manifestation, criminalisant de fait tout type d’action axé sur la protestation. Désormais, le contrôle disciplinaire occupe tout le champ. Il se fait dans la justice avec la mise en place illégale des tribunaux militaires (17) et dans les manifestations, avec la présence militaire permanente; ce qui laisse peu de marge de manoeuvre aux citoyens. Cette militarisation à tous crins est une attaque à la Constitution Bolivarienne et une violation de «l’arrêt du Caracazo» (18) de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (19). Cet arrêt disait expressément au gouvernement de l’époque (Ivème République) qu’il ne devait pas militariser le contrôle de l’ordre public, ce qui est encore valable actuellement pour le gouvernement de la Vème République. Cette mainmise de la Garde Nationale Bolivarienne est la cause de nombreux problèmes. Elle se fait au dépend du droit (Constitution, «arrêt du Caracazo») et du peuple manifestant. Sans aucune régulation.

Selon Marino Alvarado (20), quand la police nationale est présente dans les manifestations, elle doit obéir aux militaires, alors que la fameuse loi sur la Police Nationale l’interdit. Cette loi est importante selon l’avocat car elle limite et encadre la répression au strict minimum, favorisant le dialogue sur la violence, obligeant la police à agir dans un cadre légal contraignant. Mise en place sous Chávez la loi est passée par dessus bord sous Maduro qui a choisi de laisser le champ libre à la police et aux militaires. Ils peuvent désormais agir comme bon leur semble, ce qui est une profonde régression. Cette superpuissance octroyée au secteur militaire, en dehors de tout cadre légal, légitime leur pouvoir et leur action. En dépit de tout.

«J’ai vu par exemple comment dans La Candelaria (une municipalité de l’État de Trujillo), où je vis, la police s’est exercée à lancer des bombes lacrymogènes dans les appartements. On repère facilement les policiers qui visent les fenêtres ouvertes d’un appartement pour parvenir à mettre une bombe lacrymogène à l’intérieur. En dans plusieurs cas, ils réussissent. C’est un véritable acharnement.» (21)

Pour le militant des Droits de l’Homme, c’est aussi ce qui fait la différence avec les autres répressions: la brutalité est sans commune mesure, et les provocations sont récurrentes. Comme la pratique du vol et des humiliations. Les militaires sont équipés d’hélicoptères, de véhicule blindés, de balles réelles, de chevrotines, et comme on l’a vu, de gaz lacrymogène. Il a été utilisé à plusieurs reprises, avec l’intention de faire du mal et de semer la terreur.

Une violence et un cynisme sans précédent.

On a faire à «un gouvernement qui se revendique comme un gouvernement ouvrier et c’est un gouvernement qui a réprimé les ouvriers, qui les enferme, qui a détérioré la qualité de vie des secteurs les plus pauvres et qui face à l’exigence des droits a seulement répondu par la répression.» Autre paradoxe mentionné, le gouvernement a dans sa direction des gens qui viennent de la protestation sociale, des gens qui ont été réprimés, traqués; «(…) le paradoxe lamentable est que les réprimés d’hier sont les oppresseurs d’aujourd’hui. Ceux qui condamnaient les assassinats de manifestants, ceux qui condamnaient la répression brutale contre la protestation sociale, ce sont ceux qui dirigent aujourd’hui la répression du mouvement social.» (22)
Enfin, comble du cynisme, l’État remet sur les victimes la responsabilité de ce qui leur est arrivé, ou de ce qui est arrivé à leur proche. La presse progressiste fera de même. Si tu es blessé, c’est parce que tu es sorti pour protester. Si tu étais resté à la maison, tu n’aurais rien eu.
Dans le discours, la perspective s’inverse. Celui qui sort à protester est responsable et la Garde Nationale Bolivarienne qui tire et qui réprime est quant à elle victime. Comme le précise Marino Alvarado, ceux qui dans le gouvernement connaissent la répression pour l’avoir vécue et combattue sont les mêmes qui, en plus de réprimer, construisent ce discours pervers dans le feu de l’action, ou l’on fait d’une victime un responsable et du bourreau une victime. Cette inversion constitue une autre forme de violence. Et nous pouvons être sur que sans les vidéos et les photos prises par les manifestants eux-mêmes, le gouvernement aurait continué dans la même posture humiliante et intolérable pour les victimes; rejetant l’ensemble des crimes sur le dos des manifestants.

A défaut d’apporter une réponse politique aux problèmes du Venezuela, l’État se laisse emporter par la militarisation de sa politique et de son discours. Ce qui déplace le débat. Les vrais sujets ne sont plus évoqués. De plus, la militarisation dans le champ politique et sémantique se recoupe sur ce même objectif, qui désormais prime sur tous les autres: conserver le pouvoir. Soutenu par la presse progressiste, l’État fonde son action sur la conservation du pouvoir, au lieu d’agir, comme il se doit, dans l’exerce démocratique du gouvernement.

La mascarade de l’Assemblée Nationale Constituante.

Voyant la situation sous un autre angle, on s’interroge: Au lieu de violer un énième article de la Constitution Bolivarienne (68) «qui interdit l’usage d’arme à feu et de substance toxique dans le contrôle des manifestations pacifiques», n’aurait-il pas été préférable de réaffirmer le droit à la mobilisation? Surement, mais l’État a fait un autre choix. Aidé par la presse progressiste, il a décidé de faire fi du droit et de la Constitution pour utiliser ses propres armes: la force du langage pour transformer les «manifestants pacifiques» en «fascistes», et la force de la répression (policière, militaire, judiciaire) pour empêcher sur le territoire toute expression critique et démocratique.

Stratégie curieuse et provocatrice car l’État était attendu au tournant sur la question démocratique. Il faut savoir qu’une des raisons parmi les mille de la mobilisation est la décision du Tribunal Suprême de Justice (TSJ) de ne pas reconnaître la validité de l’Assemblée Nationale. Après avoir changé les membres de ce tribunal fin décembre de façon irrégulière, le pouvoir judiciaire le plus important renvoie la pareille en laissant tout le pouvoir à l’exécutif, au mépris de la population et de l’Assemblée Nationale. Au lieu de réaffirmer le droit à la mobilisation sociale, l’État a réprimé les manifestants et associé les contestataires à des terroristes. Revenir sur cette décision du TSJ aurait été bien plus productive que de faire taire les voix dissonantes par la répression.

Dans ce contexte difficile, l’annonce d’une Assemblée Nationale Constituante paraît surréaliste. On ne voit pas en quoi cette proposition peut contenter les manifestants. D’ailleurs, pourquoi changer la Constitution se disaient les vénézuéliens, bien que certains aient déjà leur petite idée. Cette constituante que personne n’a demandé n’est pas non plus une mesure chaviste ou révolutionnaire. (23) L’intention n’était ni de satisfaire les manifestants ni de défendre l’héritage de Chávez. Le président a confirmé ce qui était redouté. Il trompe le peuple, mais il le reconnaît:

«Pour le président Nicolás Maduro le pouvoir législatif qu’a l’opposition «n’existe pas.» L’opposition n’a plus aucune influence politique, économique et sociale. «C’est désormais l’Assemblée Nationale Constituante qui légifère.» (24)

Les masques tombent. Au lieu que ce soit le Tribunal Suprême de Justice qui assume le rôle de l’Assemblée Nationale, que le gouvernement refuse de reconnaître, la supercherie appartiendra à l’Assemblée Nationale Constituante. La Constituante ne vise pas à «calmer le jeu», ou promouvoir la paix comme la propagande l’a défendue, mais à contourner le pouvoir législatif officiel, désormais substitué par l’ ANC. Ce qui n’était pas clairement prévu à la base. C’est bien dommage, car c’est un peuple libre qui pourra faire changer les choses, et non pas un peuple soumis au desiderata du pouvoir, refusant les propositions désobligeantes qui pourraient impliquer un bras de fer avec le gouvernement et la bolibourgeoisie. Après avoir parlé de fascistes au lieu de manifestants, l’inversion continue. On accueille avec enthousiasme cette constituante dans la presse progressiste alors qu’elle porte un coup fatale à la démocratie représentative. La novlangue tient bon. Malgré la déclaration du président, on s’obstine à voir dans l’ANC ce qu’elle n’est pas. La presse progressiste ne voit pas la main de l’État autoritaire, mais un peuple libre, auto-organisé, qui va agir pour sauver la paix et la démocratie. C’est passer à côté de l’essentiel: l’ANC issue d’une mascarade électorale fragilise la démocratie au lieu de la garantir. Il s’agit uniquement de sauver le gouvernement et ses politiciens qui s’accrochent au pouvoir.

Il faut savoir que cette élection est entachée d’irrégularitées, ce qui remet en cause cette drôle de constituante qui ne doit pas plancher sur une nouvelle Constitution ou un changement de l’actuel, mais simplement, se substituer au pouvoir législatif. Pour ces raisons, la constituante est doublement illégitime.

La fraude a été pointée par l’Observatoire Électoral Vénézuélien. Dans un article très intéressant Edgardo Lander (25) revient là-dessus, évoquant aussi les diverses pressions mises en oeuvres par le gouvernement. Et ce n’est pas la première fois qu’il y a recours. Tout d’abord, note-t-il, «des portes paroles du gouvernement, en commençant par le président ont menacé les citoyens des graves conséquences qu’aurait leur non participation. On a utilisé les listes des employés publics et travailleurs des entreprises d’État, ainsi que les bénéficiaires des programmes sociaux pour les avertir qu’ils perdraient leur emploi et leurs avantages s’ils ne votaient pas. Une fois les élections passées, les dénonciations se sont multipliées suite à l’application effective de ces sanctions.» (26)

Enfin, l’auteur ajoute que pour ces élections, le Conseil National Électoral (CNE) a démonté les principaux mécanismes de contrôle qui avait converti le système électoral vénézuélien comme un modèle de transparence et de fiabilité. On relève par exemple qu’il n’y a pas eu plusieurs audits requis par les normes électorales. Aucune encre indélébile n’a été utilisée pour garantir que chaque électeur ne puisse voter qu’une seule fois. De plus, le Conseil National Électoral a autorisé les électeurs, à la dernière minute, à voter dans n’importe quel centre électoral de leur municipalité, et même à l’extérieur de leur municipalité.
Par ailleurs, «il a été interdit aux médias de couvrir le processus électoral en empêchant les journalistes d’approcher à moins de 500 mètres des bureaux de vote. Cela a transformé ces élections en un processus qui est tout sauf public.» Et l’on ne parle même pas des révélations du président de Smartmatic, la société qui a fourni la base technologique de tous les processus électoraux menés depuis 2004 de façon entièrement automatique, qui déclarait qu’on ne pouvait pas garantir l’exactitude des résultats présentés par le CNE parce que le nombre total d’électeur aurait été manipulé et gonflé d’au moins un million de voix.

Il faut savoir qu’une des premières décisions de l’ANC, une fois en place, fut de destituer de son poste le Procureur Général, celle qu’on considère comme une «ennemie de la Patrie.» Ennemie de la Patrie, parce que Luisa Ortega Díaz s’est opposée aux décisions antidémocratique du gouvernement et du TSJ. Elle s’est aussi opposée à la fuite en avant militaire du régime et a refusé de reconnaître la Constituante comme un processus légal et légitime. Une fois hors du Venezuela, elle confiait qu’elle avait des preuves que Maduro, Diosdado, et d’autres proches du président auraient reçu des pots-de-vin de l’entreprise Odebrecht (27). Qu’on se rassure. Le nouveau Procureur Général de la République, désigné par l’Assemblée Nationale Constituante, Tarek William Saab, a précisé qu’aucune investigation ne se mettra en place, ni sur le président, ni sur le constituant Diosdado Cabello, dans le cas Odebrecht. (28)

Tandis que la presse progressiste voit dans le nouveau Procureur Général de la République un nouveau robin des bois de la justice, nous sommes en droit de nous interroger. Usurpant la place du Procureur d’alors, sans aucun motif valable, nous pouvons craindre que la lutte contre la corruption soit désormais associée à une «chasse au sorcière» destinée à punir et humilier ceux qui tournent le dos au gouvernement. Cette lutte serait alors un moyen d’affaiblir tout type d’opposition en la discréditant, et de renforcer le pouvoir de l’État. Lorsqu’on s’attaque au noeud du problème, plutôt que de recevoir les félicitations, on court le risque d’être mal vu (ou calomnié) et de perdre son poste.

On n’oublie pas que quand la présidente de la Banque Centrale du Venezuela (Edmée Betancourt) a dévoilé en mai 2013 une partie du mécanisme de la fuite des capitaux au Venezuela, elle n’a pas été remercié pour son travail et son honnêteté. Dévoiler les dessous de la comptabilité n’a pas fait avancer sa carrière ni la lutte contre la corruption car elle fut licenciée peu de semaines après, et les pratiques mafieuses ont pu suivre leur cours sans que les responsables ne soient inquiétés.

Alors que le chavisme avait le contrôle complet de toutes les institutions de l’État en 2012, elle expliquait que sur les 59 milliards et 339 millions assignés aux entreprises pour les importations, 20 milliards aurait été volé, grâce à des demandes frauduleuses effectués par des entreprises fantômes. Si ces informations ont servi les militants et les journalistes, permettant d’aller plus loin, mettant à nu une partie du détournement des richesses, les autorités n’ont rien fait. Ni le gouvernement ni l’Assemblée Nationale. La demande fait au Conseil Moral Républicain chargé d’enquêter sur un détournement effectué sous plusieurs procédés (surfacturations, entreprises fantômes, spéculation, dilapidation de l’argent public en échange de pot-de-vin, etc) a abouti sur un non-lieu. On parle pourtant d’une fraude de 259 milliards de dollars minimum, ce qui constitue une dilapidation à grande échelle de la rente pétrolière. De la même façon, le travail d’investigation et les propositions de la plate-forme pour un Audit Public et Citoyens (29) semblent ne pas intéresser le nouveau Procureur Général de la République.

Presse progressiste: entre indifférence et déresponsabilisation de l’État.

Dans cet aperçu, on réalise que les articles proposés sont totalement biaisés, et en quoi ils sont symétrique avec ce que dit le gouvernement mais en décalage avec ce que vivent les vénézuéliens. Après la répression, l’ANC est une stratégie du gouvernement pour reprendre la main sur les évènements, assurer son pouvoir, et légitimer sa politique. Lorsqu’ils ne répètent pas tel quel les mots du pouvoir, on remarque que les articles de la presse progressiste oscillent entre l’indifférence et la déresponsabilisation de l’État. Tout repose sur le fait de ne pas trop s’étendre sur la situation sociale, et lorsqu’on ne peut plus cacher l’insalubrité et la misère, reprendre les mêmes rengaines, rejetant la faute sur la guerre économique et l’impérialisme.
Les articles n’ont pas l’air de se soucier de la réalité, il semble plutôt préoccupés à faire la démonstration que le gouvernement est victime des secousses que traverse le Venezuela. En cela, les articles sont assez violents car ils éludent totalement la responsabilité de l’État sur de nombreux sujets ou la responsabilité lui incombe, parlant peu (ou pas) de comment vivent actuellement les pauvres au Venezuela. Pas un mot sur les prisonniers, les réprimés, les anciens, les mendiants, les malades. Pas un mot pour les plus vulnérables, ceux qui subissent une violence et une maltraitance institutionnelle, comme les usagers du CLAP (30) ou les travailleurs du secteur public.

Au-delà de ne pas être d’accord avec un article, ce qui est normal, certains sont assez effrayant en raison de leur aveuglement et suscite une colère légitime. On s’offusque de la construction sur papier d’une réalité fictive. Lors de la publication d’un article d’Ignacio Ramonet (31) en aout 2017, de nombreuses personnes se sont indignés au Venezuela, et il en était surement de même en France. Une amie chaviste membre de plusieurs organisations, dont le CLAP, a partagé son point de vue par mail, expliquant qu’elle ne s’y retrouvait pas du tout dans ces soi-disant 10 victoires de Nicolás Maduro en 2016. Et on se demande bien qui peut s’y retrouver. On parle de victoire grâce à la mise en place du système CLAP alors que la population n’est toujours pas correctement alimentée et qu’ils sont de plus en plus nombreux à faire les poubelles pour rester debout. C’est ce qui a poussé notre amie à écrire, afin de rétablir la vérité: «Nous sommes le pays des zombies quasi cadavériques, parce que nous ne parvenons pas à acquérir les produits de première nécessité. On manque de poids, de fer, de vitamine». Elle n’est pourtant pas de l’opposition; elle se définit comme une militante humble et honnête, et veut être fidèle à l’héritage de Chávez et au Plan de la Patrie. (32) Elle conteste en partant d’une réalité qu’elle connaît jusque dans sa chair. Les CLAP et l’investissement social n’ont en rien permis de faire échec aux pénuries et aux besoins nutritionnels de la population.

La situation n’est pas plus brillante pour la santé, même si on nous fait croire le contraire:

«En ce qui concerne la santé, par exemple, le nombre d’établissements hospitaliers a été multiplié par 3,5 depuis 1999. Et l’investissement dans un nouveau modèle humain de santé publique a été multiplié par dix.»

Sans actualiser les données, on ne voit pas le tournant réactionnaire et anti-social qui s’est mis en place sous Maduro. Cette phrase a le mérite de dissimuler ce changement vers le pire et de maintenir le mythe d’un changement social vers le mieux. Le Venezuela n’en est plus là. Bien qu’il y avait aussi des problèmes par le passé, il y a depuis 2014 un tournant, d’un point de vue démocratique et social, sur la question des droits de l’Homme, du respect des droits et de la Constitution, sur le respect des peuples originaires et de l’écosystème. Une nouvelle page s’est tournée. Dans l’article de l’auteur, «les 10 victoires de Nicolás Maduro», on ne voit pas ce tournant, pas plus que la violence structurelle que la population la plus pauvres subie en première ligne, manquant de nourriture, d’accès au soin, d’attention; on ne rend compte de rien, si ce n’est que la gestion de Maduro est brillante.
Il faut savoir que le Venezuela a été sans chiffre sur la santé durant deux ans (2015-2017). Le silence a été rompu lors de la publication du Bulletin Épidémiologique numéro 52, publié au mois d’avril. Après sa publication la Ministre Antonieta Caporale a été destituée de ses fonctions. Andrea Pachaco, journaliste d’investigation et membre de l’association et revue «Cerlatinoamericana» a passé au peigne fin le rapport qui indique bien le niveau catastrophique dans lequel se trouve le pays. Il n’est pas hors de propos de parler de crise humanitaire. Selon le bulletin (33), la moyenne nationale sur l’augmentation de la mortalité maternelle atteint le chiffre de 65,79%, ce qui représente une augmentation de 456 à 756 cas sur tout le territoire nationale. «Le document rend visible les États avec le pourcentage supérieur à 100% dans l’augmentation de la mortalité maternelle. L’absolue majorité des États qui présentent les augmentations les plus alarmantes sont sous la gestion du parti du gouvernement.» (34) Ce qui est cohérent, poursuit-elle, puisqu’il y a eu une baisse drastique du budget destiné à la santé. Ce qui évidemment a des conséquences.

Si on se reporte au document Quinquennal 2013-2017 de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) intitulé «Santé aux Amériques», qui fait connaître, en se basant sur les données de l’année 2014, les pays d’Amérique Latine qui ont le moins investis dans la santé, on se rend compte que les premiers pays à avoir le moins investis sont Haïti et le Venezuela, avec moins de 2% du PIB. (35) Ceci explique donc cela, bien que tout ne soit pas une affaire de chiffre. La Malaria quant à elle, explique Andrea Pachaco, a augmenté de plus de 50% sur la même période, selon le même rapport. Autre chiffre préoccupant, selon l’Observatoire Vénézuélien de la Santé, alors qu’en 2010 on relevait 2190 cas de tuberculose, en 2015, le chiffre enregistré est de 7278. (36)

Avec ce panorama, on a tout autre regard sur le niveau de santé au Venezuela, et la préoccupation que lui accorde le gouvernement. Rappelons pour conclure que la pénurie de médicament est autour de 80%, et que l’état lamentable du service public détériore l’ensemble du pays selon le principe des vases communicants. Une coupure de courant ( ce qui est fréquent) engendre bien des drames pour le secteur de la santé. Des nouveaux-nés meurent (comme cela s’est passé dans la maternité de «Concepción Palacios» le 18 septembre) et les malades se retrouvent moins bien soignés, ou en danger de mort. Lorsque des retours sont émis au Ministère de la santé, les hôpitaux restent sans réponses. Ces drames intéressent peu. Mais à qui la faute?
Est-il nécessaire de souligner que les compétences en matière de santé sont strictement de la responsabilité du ministère? (37)

La presse progressiste: coupable et juge.

Pour ces raisons, on a le droit d’être critique à l’égard de la presse progressiste, et dubitatif lorsqu’elle tente de donner une interprétation sur la discrétion de la presse française suite aux élections régionales au Venezuela. Loquace lors de la répression, elle est dans l’embarras après la victoire du PSUV. C’est ce que suggère l’article suivant: «Élections régionales au Venezuela: discrétion et embarras dans la presse française.», publié sur plusieurs sites, dont «Le Vent se lève». Si établir une critique des médias est une bonne chose, dans ce cas de figure, c’est plutôt à la presse progressiste qu’on aimerait demander des comptes. Pourquoi se faire si discret sur le Venezuela? Loquace lors de la victoire du PSUV, la presse progressiste se fait discrète sur les violences et la misère sociale.

On devrait s’intéresser aux problèmes de façon plus précise, car on ne prend pas suffisamment la mesure du quotidien des vénézuéliens, et lorsqu’on aborde la situation du pays, la réalité qu’on choisit de montrer finit souvent déformée ou tronquée. A parler de discrétion dans la presse française dans l’article, on rétorque aux tenants de la presse progressiste qu’elle a aussi sa place dans leur médias. On a beau chercher, on ne témoigne pas sur ce que peuvent nous apprendre les citoyens vénézuéliens, on ne mentionne rien de l’Observatoire Vénézuélien de la Santé ou de la Fondation Bengoa pour l’alimentation et la nutrition; on nous parle de tout sauf de l’essentiel: l’ordinaire et l’infra-ordinaire. (38) On ne manque pas de colonne pour critiquer «l’opposition de droite» mais il y a une pénurie d’article sur la routine vénézuélienne, l’ensemble des galères auxquelles la population est confrontée. Ce que la presse progressiste ignore probablement c’est que l’instrumentalisation qu’elle dénonce dans les grands médias se retrouve dans ses propres lignes. L’auteur de l’article cité détecte l’instrumentalisation qui se cache derrière l’information, qui permet de «faire d’une pierre, deux coups en diabolisant le Venezuela bolivarien et la gauche de transformation sociale en France (FI, PCF)» (39) mais ignore celle qui opère dans sa presse. Cette victoire du PSUV permet de faire une pierre deux coups, critiquer les grands médias et leur propagande et réaffirmer son soutien au gouvernement, hasta la victoria siempre. Cette victoire fait leur affaire car elle donne du crédit à la gauche de transformation sociale (ici réduite aux organisations et à celles-ci: France Insoumise et PCF; les autres comptant pour du beurre) et à leur angle de lecture.
Et puis, si on parle de quelques «ratés» dans la politique de Maduro sur ces sites, on se garde bien de pointer la responsabilité de l’État, comme on l’a vue. Cette presse qui se fait juge est aussi coupable, en raison de sa discrétion et de ses déformations.

Dans son investigation Zuleika Matamoros explique qu’il faut au moins 8 salaires minimums pour couvrir «le panier de la ménagère»; ce qui condamne la majorité à la surexploitation au travail et à la faim. (40) Il faut le dire. Sur les violences dans le cadre du mouvement social, on en parle, mais avec beaucoup d’oublis et de réduction dans les articles. On ne dit pas que les groupes militaires violents ne roulent pas tous pour «l’opposition insurrectionnelle». Certains provocateurs agissent en pleine rue pour «défendre» l’État, avec la bienveillance de la Garde Nationale Bolivarienne. Ce point est systématiquement occulté.

Dans d’autres articles comme «La «guerre économique» pour les Nuls (et les journalistes) (41) » on remet à l’opposition l’ensemble des responsabilités sur les questions sociales. Ce qui s’inscrit dans la même logique. Sans qu’on ne mentionne que la confiscation de la rente pétrolière effectuée par la bolibourgeoisie et les entreprises a fait bien plus de dommage que le sabotage économique de 2002. Ce détournement accapare 10 fois plus de richesse. (42) Même quand on démontre qu’il a aussi été fait par des entreprises privés, il serait impossible sans l’aval de l’État, et puis, en toute logique, s’il faut commencer par parler de corruption et de détournement de fortune, on devrait débuter l’analyse par l’origine, à savoir, l’entreprise nationale PDVSA.

Discrétion sur le tournant néolibéral.

Par ailleurs, le tournant néolibéral opéré par Maduro avec l’ouverture de nombreuses Zones Économiques Spéciales (43) est bien un sabotage de la Constitution et de l’écosystème, alors qu’il n’apparaît jamais comme tel, car on considère que le sabotage ce sont les autres. On n’évoque donc jamais celui-là.
Si d’un point de vue écologique et féministe tout extractivisme est condamnable, les projets qui voient le jour dans ces zones franches seront bien pire, car ils vont affecter la nature sans rien changer à la situation des pauvres, tandis que d’autres secteurs de la population vont voir leur condition d’existence dégradée. Cette politique va saigner la nature et renforcer la fuite des capitaux. Elle n’est pas subie, mais voulue. L’État fait le choix de l’abîme. Il accentue un déséquilibre déjà à l’oeuvre où l’on a une croissance économique sans distribution, des investissements étrangers sans impôts, ce qui va condamner la nature à la destruction , renforcer les dettes et la misère, laissant dans les zones stratégiques une population dépossédée de son territoire et de sa culture.
D’accord, le PSUV a gagné mais le peuple est toujours perdant. La politique du gouvernement est toujours violente, illégale et illégitime. A cause de Maduro et de son gouvernement, une zone plus grande que le Portugal sera déforestée et soumise au cyanure dans l’Arc de l’Orénoque. Le projet de mine à ciel ouvert donne au capital un nouveau cycle basé sur une accumulation mafieuse. L’ accumulation «primitive» s’accélère alors qu’elle a déjà fait suffisamment de mal aux travailleurs et à la planète. Ce cycle fétiche et mortifère, le président «ouvrier» n’est pas prêt à le remettre en cause.

Conclusion:

La presse progressiste a souvent une vision angélique du Venezuela alors que la situation ne fait plus rêver. On déforme la réalité et l’on ne parle pas du malaise sociale, et si il devient inévitable, il est évoqué d’une telle façon qu’il dédouane la responsabilité de l’État. De manière plus ou moins nette, les articles semblent garder la même ligne: défendre l’indéfendable.
Des choses restent obscures, mais ce qui tombe sous le sens c’est que la politique de Maduro, ni socialiste ni révolutionnaire, se contrefiche de la démocratie et des droits de l’Homme et ne prend pas suffisamment au sérieux l’urgence sociale dans laquelle se trouve le pays. On aurait à gagner à se désolidariser de son gouvernement et à tenir bon une critique sans concession, plutôt radical que progressiste. Misant davantage sur la compassion et l’analyse, que sur un soutien automatique, sans faille, comme cela est fait trop souvent. C’est ce qu’a entrepris de faire la nouvelle revue «Cerlatinoamericana» (44) qui justement veut résister à cette polarisation politique et médiatique des deux camps. La revue, en plus d’informer, veut ouvrir une brèche pour l’émergence d’une nouvelle référence politique au Venezuela. Ce qui est nécessaire. On veut renouer avec la Constitution de 1999 et trouver la combinaison de ce que pourrait être cette nouvelle référence émancipatrice. Si elle n’est pas encore bien définie, elle se profile déjà sous le signe de l’écologie, du féminisme et de l’anticapitalisme.

Maxime Motard

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1. On fait référence à l’élection du 15 octobre 2017. Les électeurs ont choisi cette journée-là les gouverneurs de chaque entité fédérale du territoire national.
2. Parti Socialiste Unifié du Venezuela, créé en 2007 par Hugo Chávez

3. Juan Manuel Karg, «Pourquoi le PSUV a encore gagné au Venezuela?» 24 octobre 2017, Mémoire des Luttes.

4. Maurice Lemoine, «Insoumission Vénézuélienne», 24 octobre 2017, Mémoire des Luttes.

5. Avocat diplômé du Master en Criminologie et Sociologie Juridique et Pénal, chercheur et professeur à la UCV (Université Centrale du Venezuela).

6. «Manifestations et jugements militaires», entretien avec Keymer Avila. 8/06/2017 http://contrapunto.com/noticia/mani

7. Thierry Deronne, «Venezuela: ruptures du storytelling», 5 aout 2017, Le Grand Soir.

8. «Venezuela: Stop à la déstabilisation impérialiste», communiqué du PRCF, 8 juillet 2017

9. «Garde nationale et police bolivarienne ne répriment pas les manifestants pacifiques (ni ne les provoquent en les «encageant» comme l’ont fait les forces de l’ordre françaises, suivant des ordres ineptes de leur hiérarchie, lors des défilés contre la Loi El-Khomri). Elles n’interviennent que quand «les jeunes radicalisés» et surtout les groupes de choc fascisants équipés pour la guérilla urbaine, loin de s’interposer pour protéger les citoyens d’une répression qui alors n’existe pas, s’émancipent de la tête du cortège et entreprennent de provoquer les affrontements.» (Maurice Lemoine, «Insoumission vénézuélienne»).

10. https://www.les-crises.fr/venezuela

11. Thierry Deronne, «Comment «Le Monde» invente la «répression» au Venezuela», 20 mai 2017. https://venezuelainfos.wordpress.co
L’article a suscité l’intérêt de plusieurs sites. Il a notamment été publié sur http://www.le-chiffon-rouge-morlaix.frhttps://www.initiative-communiste.fr, ou encore égalitéréconciliation.

12. Moon of Alabama, ««Jour J» pour le changement de régime par la force au Venezuela.» 20 juillet 2017. https://www.legrandsoir.info/jour-j

13. http://www.fal33.org/declaration-de

14. https://es.panampost.com/marcelo-du

15. Voir le document d’Amnesty International remis au Comité des Nations Unis contre la torture. http://www.refworld.org.es/cgi-bin/

16. Programa Venezolano de Educación Acción en Derechos Humanos (Programme vénézuélien pour l’Éducation et l’Action en faveur des Droits de l’Homme (provea) https://www.derechos.org.ve/

17. 300 à 400 manifestants seraient passés par ces tribunaux. Voir l’entretien de Keymer Avila effectué par Carlos Carcione pour la revue «Cerlatinoamericana». https://gallery.mailchimp.com/85d58

18. Arrêt du 11 novembre 1999.
http://www.corteidh.or.cr/docs/caso

19. «La cour interaméricaine des droits de l’homme est une institution judiciaire autonome basée à San José, Costa Rica. En collaboration avec la Commission interaméricaine des droits de l’homme, la Cour fait partie du système de protection des droits de l’homme de l’Organisation des Etats américains (OEA), qui sert à défendre et promouvoir les droits fondamentaux et les libertés individuelles dans les Amériques.» https://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_

20. Avocat et activiste des Droits de l’Homme depuis longue date, il est également coordinateur de PROVEA ou il agit actuellement comme assesseur dans le domaine juridique. Collaborateur de l’Organisme Vénézuélien des Prisonniers et expert dans l’équipe d’Amnesty International. Il a aussi été professeur de l’Université Nationale de Sécurité, UNES.
https://www.aporrea.org/ddhh/n31052

21. Voir l’entretien de Marino Alvarado, «El responsable principal de la represión se llama Nicolás Maduro» (Le principal responsable de la répression s’appelle Nicolás Maduro). Entretien effectué par Carlos Carcione, 25/06/2017. https://www.aporrea.org/ddhh/n31052

22. https://www.aporrea.org/ddhh/n31052

23. L’ex-ministre de Chávez, Héctor Navarro, considère la constituante comme ni chaviste ni révolutionnaire. Il doute du fait que «pour défendre une Constitution on soit obligé d’en rédiger une autre». fahttp://globovision.com/article/na

24. http://www.eluniversal.com/videos/p

25. Sociologue vénézuélien, membre de la Plate-forme citoyenne pour la défense de la Constitution. Il a été par ailleurs l’un des principal organisateur du Forum Social Mondial de 2006, à Caracas.

26. Edgardo Lander, «La asemblea constituyente madurista» (L’assemblée constituante «maduriste») 4/08/2017. https://brecha.com.uy/la-asamblea-c

27. https://es.panampost.com/orlando-av

28. https://cactus24.com.ve/fgr-descart

29«Audit Public et Citoyen pour mettre fin au détournement de fond et à la corruption.» https://auditoria.org.ve/

30.Comité Local pour l’Approvisionnement du Peuple. Dans le cadre de la grande mission pour l’Approvisionnement Souverain mis en place en avril 2016, des paniers alimentaires à prix régulé sont vendus à toutes les personnes inscrites dans le Carnet de la Patrie. Dans les paniers on trouve principalement du riz, des pâtes, de l’huile, du lait, de la farine et du sucre.

31. http://www.correodelorinoco.gob.ve/… «Les 10 victoires du Président Maduro, par Ignacio Ramonet», 1/08/17. https://www.les-crises.fr/les-10-vi

32. «Testament» politique pour 2013 et 2019. http://www.minea.gob.ve/ecosocialis

33. Boletín Epidemiológico Nro. 52, publicado en Abril 2017 http://www.ovsalud.org/descargas/pu

34. Andrea Pachaco, «Mujeres embarazadas son víctimas de desidia y abandono por parte del estado venezolano.» («Les femmes enceintes sont victimes de la négligeance et de l’abondon de l’État vénézuélien.» https://gallery.mailchimp.com/85d58

35. Salud en las Américas, Edición 2017, OMS http://www.paho.org/salud-en-las-am… 2017/wp-content/uploads/2017/09/Print-Version-Spanish.pdf

36. «Observatorio Venezolano de la Salud: la tuberculosis gana terreno en Venezuela («Observatoire Vénézuélien de la Santé: la tuberculose gagne du terrain au Venezuela.»)http://www.panorama.com.ve/ciudad/O

37. Comme l’établit le Journal Officiel (Gaceta Oficial) n°5.836 du 8 janvier 2001 dans son article 17. Gaceta Oficial Nro. 5103 http://www.mppp.gob.ve/wp-content/u… 5836-E.pdf

38. https://www.amnesty.org/fr/countrie

39. «Élections régionales au Venezuela: discrétion et embarras dans la presse française» http://lvsl.fr/elections-regionales

40. «Nutrición en Venezuela en tiempos de desabastecimiento y escasez», por Zuleika Matamoros. https://gallery.mailchimp.com/85d58

41. Maurice Lemoine, «La «guerre économique pour les Nuls (et les journalistes)», 11 aout 2017, Mémoire de Luttes.

42. On peut notamment consulter l’article suivant: https://auditoria.org.ve/2015/05/31

43. Définition: «Une zone économique spéciale (ZES) est une région géographique dans laquelle les lois économiques sont plus libérales, c’est-à-dire plus avantageuses pour les entreprises, que celles pratiquées dans le reste du pays. Lorsqu’un gouvernement crée de telles zones, c’est généralement dans le but d’attirer les investissements étrangers.
Pour cela, il met en place des mesures permettant aux entreprises de voir leurs couts d’investissement, de financement et d’exploitation notablement réduits par rapport à un environnement économique «classique». Ces mesures incitatives sont le plus souvent des réductions fiscales (par exemple création d’une zone franche sans taxes ni droits de douane), mais peuvent aussi être des aides directes à l’installation (par exemple instauration d’une prime à l’investissement, ou fourniture de terrains et de locaux à prix réduit).» http://www.ledicodelacreation.fr/de

44. La revue est disponible uniquement en espagnol. Elle est réalisée dans
une contexte très difficile qui justement laisse peu de temps pour penser et pour agir. Encore moins pour faire un travail d’investigation. L’aspiration pour la majorité actuellement se limite aux garanties basiques: alimentation, santé. Pour permettre à l’équipe de perdurer il est possible de faire un don à l’association et de diffuser la revue autour de soi, encourageant nos contacts à faire de même. La revue permet d’avoir un autre regard sur le Venezuela. En la lisant, on se rappelle qu’au Venezuela, certains n’ont pas rendu les armes de la critique et de la lutte. Pour plus d’information, écrire en espagnol à Andrea Pachaco (milux28 chez gmail.com) ou à l’adresse suivante: m.motard671 chez laposte.net

http://www.oclibertaire.lautre.net/spip.php?article2009


Enrique   |  Actualité, Analyse, Politique   |  12 6th, 2017    |