Littérature cubaine. Rafael Alcides (1933-2018)

Le poète cubain Rafael Alcides Pérez est mort à La Havane le 19 juin, à l’âge de 85 ans. Il vivait dans l’insilio, c’est-à-dire dans son pays, mais en même temps séparé de celui-ci, en interaction avec l’environnement, surtout intellectuel et politique.

Son œuvre poétique comprend Agradecido como un perro, Reconnaissant comme un chien, un livre de poésie de fpuissance souveraine avec lequel il remporta le Prix de la critique en 1983, Y se mueren y vulven y se mueren, Et ils meurent et ils reviennent et ils meurent (1986), Nadie, Personne (1993) et Conversaciones con Dios, Conversations avec Dieu (2014, publié à Séville), entre autres.

Alcides s’aventura vers la narrative avec les livres El anillo de Ciro Capote, La bague de Ciro Capote (Renacimiento, Sevilla, 2011), la compilation des chroniques Memorias del porvenir, Memoires de l’avenir (Prix Café Bretón & Bodegas Olarra, AMG Editor, Logroño, 2011) et les récits Un cuento de hadas que termina mal, Un conte de fées qui finit mal (Pepitas de Calabaza, Logroño, 2011).

À propos de ses idées, je relève sa citation « être en vie est un devoir » et sa réponse à un éditeur tricheur : « Vous avez eu l’occasion de vivre dans la dignité et vous l’avez perdue ».

En 2015, il reçut le Prix national de littérature indépendante Gastón Baquero, décerné aux États-Unis par les éditions Neo Club, le Club des écrivains indépendants de Cuba et l’Institut La Rosa Blanca.

Rafael Alcides avait l’humilité, la modestie, la noblesse qui font si souvent les grands artistes. Et la force d’âme qui distingue les vrais créateurs. Dans ces mêmes pages, le 7 juillet 2014, nous avons fait état de sa décision de démissionner de l’Union des écrivains et artistes de Cuba (UNEAC), parce que des personnes subordonnées au gouvernement bloquèrent sa correspondance.

Dialoguer avec Rafael Alcides signifiait quelque chose comme assister à une classe d’éthique, à travers laquelle, en plus, nous recevions un éclairage pour susciter la volonté nécessaire à la réalisation d’un acte de création. Et en même temps l’esprit contestataire face aux injustices “officielles” qui abondent sur les terres cubaines, malheureusement.

Et il se caractérisait aussi par le respect de l’opinion d’autrui et par une délicatesse offensive pour revendiquer ses droits ou critiquer un offenseur. Lors d’une réunion de l’UNEAC, à l’été 1986, il fit allusion à l’incohérence, en relation à son travail, d’un certain directeur de l’ICR (Institut cubain de radiodiffusion), où le poète collaborait alors.

Son enthousiasme se manifestait lorsqu’il constatait la qualité du travail de ses collègues contemporains, ce qui mettait en évidence son manque d’ego. Il allait à l’encontre de la pétulance qui caractérise un nombre non négligeable de créateurs. Sur cette condition de poète, j’ai écrit dans ce même journal : « Un innocent. Un enfant. Parce que nous le savons déjà : Les hommes sont bons, entre autres choses, tant qu’ils restent des enfants ». Ou sinon, regardons autour de nous et voyons ces personnes cent pour cent adultes ; des machines qui, en tant que telles, n’ont plus la moindre candeur et représentent donc l’un des plus grands dangers pour l’espèce humaine ». C’est-à-dire qu’Alcides était candide ; ce qui n’était pas être antagonique avec le talent.

Récemment, des intellectuels de haut rang comme Guillermo Rodríguez Rivera, Daniel Chavarría et Miguel Mejides sont morts sur notre ‘île. Les médias autorisés à Cuba (tous payés par le gouvernement) ont commenté ces décès, ce qui est tout à fait juste.

Mais il est totalement injuste que ces médias omettent la mort d’écrivains cubains qui, d’une manière ou d’une autre, n’étaient pas en communion avec le régime, comme, l’ont été entre autres, Eliseo Alberto, décédé au Mexique en 2011, et plus récemment José Lorenzo Fuentes, décédé à Miami en décembre dernier. Jusqu’à hier la mort de Rafael Alcides Pérez a été tue par les principaux organes gouvernementaux, elle s’ajoute au même silence qu’hier.

La Révolution cubaine, comme nous le savons, est implacable avec ceux qui sont en désaccord avec elle et magnanimes avec ceux qui restent silencieux et encore plus avec ceux qui rampent pour concourir pour un prix ou que l’on publie un de leurs livres ou qu’on leur organise une exposition ou un concert.

Il est triste de se contenter de chuchoter à propos de la mort d’Alcides et de ne pas avoir une once minime de courage pour exiger que les propriétaires de la patrie fassent connaître la nouvelle de sa mort.

Après une conversation que j’ai eue avec le poète en 1989 dans le Palais du Second ap, j’ai conçu le poème que je copie ci-dessous, et avec lequel je ferme ces lignes, publiées dans mon livre Et les couteaux m’ont blessé :

Ce n’est pas ce qui importe

Dans le tronc d’un arbre

une petite fille,

a enregistré son nom…..

Chanson

A Rafael Alcides

A côté du tronc d’un arbre, il y aura toujours une

petite fille

qui est en réalité une jeune fille.

La petite fille qui est une jeune fille gravera son nom

sur l’écorce d’un tronc d’arbre ;

Elle le gravera toujours.

On ne saura jamais pour qui, personnellement, elle grave

son nom,

ce n’est pas ce qui importe.

Mais la petite fille, c’est à dire, la jeune fille, gravera toujours

son nom sur l’écorce du tronc.

d’un arbre,

jusqu’à l’infini

jusqu’à l’Amour.

Juillet 1989

Félix Luis Viera

Traduit du site Cuba encuentro :

https://www.cubaencuentro.com/cultura/articulos/rafael-alcides-1933-2018-333116



Enrique   |  Actualité, Culture   |  06 21st, 2018    |