Les babalawos (1) et les écologistes cherchent un consensus à La Havane

Il s’agit de la première réunion connue où les deux parties ont discuté des pratiques religieuses et de la protection de l’environnement à Cuba.

Des écologistes, des babalawos (prêtres d’Ifa, de la religion polythéiste afro-cubaine), des chercheurs et des activistes sociaux cubains ont eu un dialogue inhabituel au Centre social et  bibliothèque libertaire ABRA, situés à la périphérie de Lawton, dans la capitale.

Convoqué par le projet écologiste Guardabosques (Gardiens de la forêt) et le bulletin électronique Desde la Ceiba (Depuis le fromager), l’événement, qui s’est tenu le 16 juin, a accueilli un débat sur les liens entre la vision du monde Yoruba (un groupe ethnique d’Afrique de l’Ouest), l’environnement et les défis auxquels sont confrontées les communautés cubaines dans le domaine de l’environnement.

L’état déplorable de la santé et l’hygiène à La Havane, l’existence de petites décharges d’ordures et le dépôt d’offrandes religieuses sur la voie publique, en particulier des carcasses d’animaux, étaient les questions qui devaient être examinées au cours de la réunion.

Pour le chercheur Heriberto Feraudy, il s’agit d’une question complexe, mais qui doit être traitée immédiatement.

« Si nous développons encore plus les choses avec ces dépotoirs avec ces animaux morts que nous voyons tous les jours (dans les lieux publics), ce sera encore plus compliqué », a insisté celui qui est aussi babalawo. Il a également insisté sur la nécessité de « coopérer pour embellir La Havane, mais toujours dans le respect de nos traditions et en tenant compte de la voix des croyants dans ce cas particulier ».

Le prêtre d’Ifá, Gonzalo Castillo, après avoir rappelé ce qu’il a appelé le « désastre écologique dont souffre tout le pays », a considéré que beaucoup de familles religieuses « font des choses terribles avec la religion ».

« Le temps est venu d’agir : un changement doit être apporté », a-t-il exhorté.

Lázara Menéndez, professeur à l’Université de La Havane, a déclaré que ce ne sont pas seulement les prêtres ou les praticiens des religions africaines qui sont responsables des problèmes environnementaux actuels, mais qu’il s’agit d’une responsabilité partagée avec l’ensemble de la société.

La même préoccupation que les écologistes ont exprimé lors de la rencontre a été partagée par de nombreux prêtres d’Ifa et les croyants présents, qui ont également réaffirmé l’essence pro-environnementale des religions africaines.

« La mère donne naissance à un enfant, et cet enfant est alors obligé de donner naissance à sa mère », a déclaré le chercheur et journaliste Tato Quiñones, rappelant l’essence d’un odu (une prémonition) d’Ifa.

« La Mère nature nous donne la vie, et on est alors dans le devoir de “lui donner naissance”, c’est-à-dire de la faire vivre en bonne santé, avec fraîcheur, avec force », explique le babalawo.

Pour Quiñones, la relation de cette religion avec la nature n’est pas une relation distante de respect, mais « la pratique est la nature ; manquer de respect à la nature, ce serait se manquer de respect à nous-mêmes ».

Carlos Viltre, professeur et prêtre de Palo monte (religion afro-cubaine), a estimé que la dimension éducative est vitale.

“Mon parrain (guide religieux) m’a toujours dit : si vous devez faire un ebbó (une offrande), pourquoi devez-vous tuer la plante ? Embrassez l’arbre et nourrissez-vous de son énergie  », a-t-il donné en exemple.

Dans le Cabildo afro-cubain (2), dans la ville orientale d’Holguín où il professe sa religion, des prêtres comme Viltre et des pratiquants ont essayé de se cultiver et de s’éduquer eux-mêmes. Ils promeuvent le fait que les offrandes ne soient pas placées dans des endroits inadéquats, ni que les plantes pour les consécrations soient collectées sans discernement.

« L’environnement est l’aspect le plus important des religions africaines », a déclaré l’activiste écologiste et antiraciste.

La conversation a révélée l’existence à Cuba de prêtres d’Ifa qui n’ont pas recours au sacrifice des animaux.

L’un d’entre eux est le babalawo Fernando Varona Villet, qui a partagé lors de la rencontre les principes théologiques et philosophiques de sa pratique plus respectueux des animaux.

« Même si personne ne me suit, je continue à témoigner », dit le prêtre d’Ifa, tout en rendant compte de l’existence d’autres babalawos à La Havane qui n’incluent pas non plus les sacrifices d’animaux dans leurs cérémonies.

Une alliance entre les écologistes et les prêtres d’Ifa pour réduire l’occurrence de ce type de sacrifices a été proposée par le biologiste écologiste Isbel Díaz, coordinateur de l’association Guardabosques.

Díaz a également mis en garde contre la prolifération de l’escargot africain géant (une espèce exotique envahissante) dans la capitale cubaine et la nécessité de sensibiliser les prêtres yoruba.

Plusieurs des militants présents ont parlé de l’importance de la couverture médiatique par la presse national afin d’aborder ces problèmes.

« Cette question est urgente et opportune », a déclaré Dianelis Diéguez, chercheuse au Laboratoire scénique d’expérimentation sociale. « Une mauvaise interprétation peut affecter la religiosité, la culture cubaine et les pratiques sociales » a-t-elle ajoutée.

D’une part, l’activiste Lidia M. Romero a considéré que « c’est la responsabilité des religieux d’aller de l’avant, de bien étudier les espaces existants à Cuba, et d’affirmer leurs propositions avec beaucoup d’intelligence ».

En conclusion, des propositions pratiques ont été recueillies, telles que la plantation d’arbres et de plantes, la diffusion de ces idées dans la presse et la convocation d’une deuxième réunion plus large.

Qu’est-ce que l’ABRA ?

Le débat s’est déroulé dans un lieu inauguré le 5 mai, coordonné par les membres de l’Atelier libertaire Alfredo López et l’Observatoire critique cubain.

« Un espace où nous n’avons pas besoin de demander la permission ou d’attendre les autorisations, mais qui est le produit de nos initiatives, de notre désir », a déclaré le professeur et historien Mario Castillo.

Après presque trois ans de campagne internationale pour lever les fonds nécessaires, sans recourir aux gouvernements, aux partis politiques ou aux ONG internationales, ces militants ont réussi à réaliser leur rêve.

Selon ses organisateurs, l’ABRA est un espace de promotion d’expériences et de pratiques autogérées, l’accent étant mis avec emphase sur le changement social par le biais de relations respectueuses avec l’environnement.

Publié par l’agence : http://www.ipscuba.net/medio-ambiente/babalawos-y-ambientalistas-buscan-consenso-en-la-habana/

Traduction : Daniel Pinós

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1. Un  Babalawo  (ou Babalao, ou Babaaláwo, prononcé Baba-a-láwo) est un prêtre d’Ifa, en langue  yoruba d’Afrique. Ifa est un système de divination qui représente les enseignements de l’orisha Orunmila, orisha de la Sagesse. Les  babalawo  affirment s’assurer du futur au travers de leur communication avec Orunmila. Cette communication est effectuée au travers des formes prises par la chaîne de divination  Opele  (ekuelé) ou par des noix de palmiers appelées  ikin  sur le plateau de divination, traditionnellement en bois.

2. Des structures associatives pour les esclaves furent très tôt créées, appelées à Cuba Cabildos. Ces institutions d’entraide où les esclaves régissaient tout, et se regroupaient par “nations” n’ont pas toujours eu la vie facile.   Mais c’est en grande partie grâce à ces institutions coloniales espagnoles que les esclaves purent maintenir leurs cultes, et donc leurs langues, leur musique et leurs danses.


Enrique   |  Actualité, Religion, Société   |  06 26th, 2018    |