LA Révolution : Un rapport de l’association libertaire de Cuba

DEUXIÈME PARTIE : LES RÉALISATIONS

La Havane, … août 1959. Les hommes de l’insurrection, dans leur désir de lui donner un contenu vraiment révolutionnaire, essayèrent d’améliorer les structures sociales en promulguant des lois ; réforme des loyers, réforme agraire, réforme urbaine, réforme des impôts et autres (1).

LA LEGISLATION DE LA REVOLUTION :

La Loi sur les loyers réduit dans certains cas ceux-ci de 50% et sert incontestablement, les intérets du peuple. Cependant elle amène une diminution des investissements dans l’industne du batiment qui a réduit au chômage plus de 80.000 ouvriers.

La vieille Loterie Nationale est elle aussi modifiée et transformée en une «Société pour l’Epargne et la Construction». Comme il s’applique au détriment des vendeurs de tickets ce plan n’a pas été accueilli avec enthousiasme bien qu’il ait pour but de procurer des appartements à bon marché. Plus de 4 000 ont déjà été bâtis.

La Loi sur la Réforme Urbaine permet par des mesures draconniennes de réduire la valeur des propriétés urbaines et de mettrefin aux abus criminels perpétrés par les propriétaires. Dans les quartiers du centre de la capitale, un mètre carré de terrain atteignait le prix de 50 dollars et parfois plus. La loi fixe un maximum de 4 pesos (2). En même temps elle rend obligatoire d’utiliser le terrain dans le courant de l’année ou de le vendre.

La Loi sur la Réforme Agraire est la plus importante de toutes parce qu’elle concerne la distribution des terres aux paysans. L’oppression et l’exploitation par les propriétaires terriens et les spécuiateurs avaient réduit le paysan cubain au niveau économique le plus bas dans la nation. La sous-alimentation et la misère sont monnaie courante ce qui rend nécessaire d’élever en premier iieu le standard de vie des paysans, puis celui de la population en général. Cela peut être fait en un temps assez court.

La Loi sur la Réforme Agraire est appliquée sous la responsabilite de l’Institut National de la Réforme Agraire (I.N.R.A.) organisme mis au point par l’Etat et bénéficiant des plus grandes facilités. En même temps que des petits propriétaires, l’I.N.R.A. a créé des coopératives agricoles. II contrôle les terres d’Etat, celles confisquées aux politiciens véreux et aux criminels de guerre et celles affectées par la Loi sur la Réforme Agraire. Les propriétaires dépossédés seront remboursés au moyen de bons portant intérêt, rachetables en 20 ans.

Les lois portant règlement des forces armées ont été prétenduement réformées, mais jusqu’à maintenant nous n’avons été témoins que d’infimes changements. Presque tous les officiers compromis avec l’ancien régime ont été déplacés et leurs postes confiés à des officiers de l’armée rebelle. Une épuration générale était nécessaire et elle a eu lieu. Si toutes les armées sont criticables, dans celle-ci la criminalité et la dégénérescence morale atteignaient un tel degré qu’elle ne tenait plus compte d’aucun principe d’humanité, même pas de ceux défendus par la société capitaliste.

Cependant presque toutes les institutions répressives de l’ancien régime ont été maintenues, sous des noms différents. Mais, au moins pour le moment, les méthodes de terreur qui ont rendu le régime de Batista si détestable ont disparu. Il est même intéressant de noter que l’on prêche à l’intérieur de ces institutions le respect et la considération à l’égard de la personne humaine.

Aucune modification importante ne s’est produite dans le mouvement ouvrier quant aux méthodes et aux objectifs. La forme d’organisation reste la même. Seuls les anciens leaders ont été démis, sans qu’il soit tenu compte de leur conduite passée. Il y avait parmi eux des «mauvais» et des «bons».

Des élections relativement démocratiques ont eu lieu dans tous les syndicats. Les anciens permanents n’ont pas eu le droit d’y participer. De ce fait plusieurs représentants syndicaux sincères n’ont pas pu faire acte de candidature malgré leur passé très propre et bien qu’ils soient portés par les masses ou même qu’ils aient pris une part active dans la lutte contre la tyrannie.

Comme dans les autres domaines de l’activité sociale les communistes ne manquèrent aucune occasion de renforcer leur position dans les syndicats. Un grand nombre d’entre eux y ont conquis des places importantes, mais cette situation, résultat des conditions électorales, ne devrait pas durer. La plus grande partie de la classe ouvrière est persuadée que ses organisations sont passées sous le contrôle du Mouvement du 26 juillet. En effet les postes de commande provisoires de la Confédération des Syndicats (C.T.C.) sont directement tenus par des militants de ce mouvement.

La centralisation et la discipline de fer demeurent. Pour en donner un bon exemple nous citons le périodique «Prensa Libre» de mi-juillet 1959:

CRISE A LA C.T.C. :

Danid Salvador a réuni le Comité Exécutif pour blâmer les responsables qui ont organisé la grève du vendredi 17 contre les ordres de la Confédération. Il s’agit de l’employé de banque José Maria de la Aguilera et de l’électricien Fidel Iglesias. Il est possible qu’ils soient exclus.

Cette grève avait été organisée par les responsables des fédérations des employés de banque et des électriciens pour soutenir Fidel Castro quand il démissionna du poste de Premier Ministre.

En diverses occasions des porte-parole du gouvernement révolutionnaire ont déclaré qu’il fallait réduire le chômage avant de penser à augmenter les salaires. Ceux-ci ont pourtant été augmentés dans plusieurs industries. A Cuba l’éventail des salaires est très ouvert. Ils sont élevés dans certains secteurs et très bas dans l’Agriculture. La meilleure solution serait évidemment de pratiquer une égalisation intelligente sans négliger le problème du plein emploi.

L’EDUCATION ET LES ETUDIANTS :

Pour des raisons pratiques et dans le but avoué d’amoindrir les effets d’un noyautage possible des syndicats par des éléments de l’ancien régime qui créeraient un sabotage systématique, le Ministre du Travail a supprimé le droit de grève. De leur côté les leaders de la Confédération des Syndicats ont décidé qu’aucune grève ne serait entreprise pendant une période de six mois.

Quand le gouvernement révolutionnaire prit le pouvoir l’Eglise tenta de s’infiltrer dans l’instruction publique. Cependant la manœuvre fut déjouée grâce à l’opinion libérale qui convainquit le Ministre de l’Education d’instituer l’école laïque. Une réforme est en cours d’étude, nous espérons qu’elle permettra d’effectuer un grand pas en avant dans ce domaine.

En même temps qu’elles aidaient à l’épuration des organes directeurs des universités les organisa- tions d’étudiants ont obtenu la création de comités de cogestion, Cette acquisition est d’une grande importance pour l’éducation puisqu’elle permet maintenant aux étudiants de participer à toutes les décisions qui les concernent dans le domaine universitaire.

AUTRES ASPECTS DE LA REVOLUTION :

Il n’y a pas à douter de l’honnêteté scrupuleuse des membres de l’actuel gouvernement et les mesures financières ont été prises en fonction de leur importance et de leur utilité. La confiscation complète des biens des politiciens de l’ancien régime a été conduite comme une restitution des émoluments qu’ils avaient reçus pour leurs services. Les propriétés des compagnies qui supportaient Batista, comprenant des immeubles de plusieurs millions de dollars, ont aussi été confisquées, ainsi que leurs comptes en banque. Des centaines de millions de pesos ont ainsi enrichi les caisses du gouvernement révolutionnaire.

Noyautée par des partisans de Fidel Castro, la dernière tentative contre-révolutionnaire de Batista, financée par Trujillo, échoua et les 70.000 pesos donnés par le tyran dominicain allèrent au fonds de la Réforme Agraire.

CONCLUSIONS GENERALES :

La révolution cubaine, en dépit de son profond caractère social, ne sort pas des limites d’une réforme. L’Etat et le capitalisme subsistent avec leurs méthodes traditionnelles de salariat, de propriété privée, de loi de l’offre et de la demande, de prix, de compétition, enfin de tout ce qui rend possible l’exploitation des hommes et l’autorité de l’Etat.

Cependant cette réforme a réussi à atténuer de nombreuses injustices politiques et économiques. Le libre exercice des droits des individus à exprimer leur opinion a été reconquis. Quand on jouit d’une certaine liberté il est possible de s’efforcer, par des réalisations immédiates, à préparer le terrain pour des changements plus radicaux, plus en conformité avec nos désirs de vraie justice sociale et de plein exercice de la liberté.

L’Association Libertaire de Cuba, en tenant compte des données actuelles, soutiendra la révolution dans tout ce qui représentera un pas vers nos objectifs. Par l’éducation des masses et par le travail des militants elle s’efforcera d’obtenir toujours plus, en faisant tout pour corriger les fautes et servir notre cause libertaire au mieux possible.

Le Conseil National.

Traduction de Marc PREVOTEL

Le Monde Libertaire n°56 – janvier 1960 – Fédération Anarchiste

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(1) Voir «Le Monde Libertaire», n°55 de décembre 1959.

(2) 1 dollar = ??? pesos cubains.


Enrique   |  Histoire, Politique   |  11 26th, 2018    |