Cuba face au spectre d’une nouvelle “période spéciale”

Un air de déjà-vu pour les Cubains: la réduction de pagination de l’emblématique quotidien Granma, faute de papier, rappelle les débuts de la “période spéciale”, crise économique des années 1990, alors que les files d’attente s’allongent pour acheter farine, poulet ou beurre.

La mesure, annoncée jeudi, a pris effet dès vendredi. Le journal officiel du Parti communiste de Cuba (PCC, unique) passe de 16 à huit pages, deux jours par semaine. Les autres publications de l’île sont aussi mises au régime.

La raison invoquée ? Les “difficultés de disponibilité de papier dans le pays”.

A La Havane, Leandro Lopez, retraité de 90 ans, ne s’en émeut guère: le président Miguel “Diaz-Canel essaie de renforcer l’économie, donc là où on peut réduire les coûts, on les réduit, tant mieux. Je ne pense pas que ça va porter préjudice à l’information”.

l faut toutefois remonter au 24 août 1990 pour trouver une annonce similaire. C’était alors la première mesure adoptée par Fidel Castro pour affronter la “période spéciale”, crise provoquée par la fin de l’Union soviétique, soutien économique de l’île pendant les trois décennies précédentes.

Brusquement privé de ce “grand frère” qui accaparait 85 % de son commerce extérieur, le pays s’est retrouvé à l’arrêt, avec des pénuries de carburant et d’aliments, ce qui a entraîné l’apparition de maladies incurables comme la polynévrite, causée par la malnutrition, et l’exode de 45.000 habitants à l’été 1994.

Le casse-tête des courses

Aujourd’hui, l’île affronte à nouveau des temps difficiles. Les Etats-Unis ont durci leur embargo en vigueur depuis 1962 et menacent de nouvelles sanctions.

Et Cuba risque de perdre le soutien pétrolier du Venezuela de Nicolas Maduro, en plein marasme politique, et de l’Algérie après la démission d’Abdelaziz Bouteflika.

“Depuis trois ans, Cuba essaie de compenser l’impact de la chute des échanges commerciaux avec le Venezuela. La hausse du tourisme, de l’activité privée et des projets avec des investissements étrangers a aidé à amortir ce choc économique”, explique Pavel Vidal, économiste cubain de l’université Javeriana, en Colombie.

“Mais les mesures et menaces de l’administration Trump sont des obstacles à ces trois facteurs qui aidaient à maintenir à flot l’économie”.

La croissance, de 1,2 %, est insuffisante pour couvrir les besoins d’un pays qui importe 80 % de ce qu’il mange. Les pénuries de farine, d’huile ou de poulet se multiplient, obligeant le gouvernement à rationner leur vente et les habitants à patienter des heures devant les magasins.

“Ce qui se passe maintenant, ça ne ressemble pas à la période spéciale, car à cette époque c’était vraiment la catastrophe”, tempère Tania, une infirmière de 49 ans sortant d’un supermarché.

Venue acheter du riz, elle repart pourtant bredouille. “C’est comme ça avec tout. Parfois on cherche un produit et on arrive à le trouver à un endroit, on va ailleurs et on ne le trouve pas”, dit-elle, résumant le casse-tête des Cubains, obligés de faire le tour de la ville pour compléter leur liste de courses.

Même les touristes affectés

Selon un diplomate connaisseur des opérations commerciales de l’île, le gouvernement s’arrange pour distribuer, au compte-gouttes, les denrées alimentaires, en gardant des réserves pour les temps durs.

“Oui, il y a des pénuries, des files d’attente, surtout pour le poulet, la lessive, ce genre de marchandises”, soupire Nelson Flores, retraité de 79 ans, découragé par l’immense queue pour acheter du poulet.

Jusqu’à présent, la crise épargne la sacro-sainte “libreta”, le carnet d’approvisionnement des Cubains, qui reçoivent mensuellement du pain, du riz, des haricots… mais en quantités insuffisantes pour tenir le mois.

Même les touristes commencent à ressentir le manque. Le gérant d’un hôtel sur l’une des îles paradisiaques bordant la côte cubaine a confié à l’AFP manquer d’oeufs, de fruits, de pain, ce qui fait râler les clients venus profiter d’une offre tout compris.

Récemment, Cuba a fait défaut sur une partie de sa dette avec le Brésil, son principal fournisseur d’aliments.

Fin 2018, l’île accumulait des impayés de dette à court terme de 1,5 milliard de dollars, selon l’ex-ministre de l’Economie, José Luis Rodriguez.

“Il y a un niveau de dette que nous n’allons pas pouvoir payer (en 2019) et qui affecte la bonne marche de l’économie”, a reconnu l’actuel ministre, Alejandro Gil.


Enrique   |  Non classé   |  06 27th, 2019    |