Première Rencontre globale d’écoles et de processus de formation en agroécologie de la Via Campesina : déclaration de Güira de Melena

La première Rencontre globale d’écoles et de processus de formation en agroécologie de la Via Campesina a eu lieu du 21 au 30 mai 2018 au Centre intégral « Niceto Pérez » de l’Association nationale des petits agriculteurs (ANAP), à Güira de Melena, Artemisa (Cuba). Déclaration publiée sur le site de la La Via Campesina le 1er juin 2018.

Réuni.e.s lors de cette première Rencontre globale d’écoles et de processus de formation en agroécologie de La Via Campesina, nous réaffirmons que de par la très grande diversité d’agricultures paysannes que nous pratiquons, nous sommes celles et ceux qui produisent les biens et les aliments indispensables à l’humanité. Nous nous sommes réunis à Cuba où nous avons pu découvrir plusieurs fermes et coopératives paysannes de notre hôte, l’Association nationale des petits agriculteurs (ANAP). Par l’échange d’expérience d’« organisation paysanne à organisation paysanne » nous avons beaucoup appris sur la méthodologie « de paysan.ne.s à paysan.ne.s » qui a permis au Mouvement agroécologique de l’ANAP d’atteindre l’un des plus grands succès mondiaux de diffusion de l’agroécologie paysanne à grande échelle.

Nous sommes des paysannes et paysans, des petits agriculteurs, des peuples indiens, des peuples sans terres, des femmes du monde rural, des jeunes ruraux, des pêcheurs, des travailleurs agricoles et ruraux, nous sommes des représentantes et représentants des organisations membres de La Vía Campesina de 41 pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, d’Europe et du Moyen-Orient.

Nous nous sommes réunis ici pour encourager le débat et la réflexion sur la formation en agroécologie, car c’est un axe stratégique pour La Vía Campesina ; Nous avons aussi travaillé pour la période à venir sur les lignes politiques et les actions communes de la formation en agroécologie tant d’un point de vue politique que technique. Nous réaffirmons les principes de l’agroécologie, tels qu’ils se trouvent exprimés dans la Déclaration de Nyéléni [1]. Nous revendiquons le respect de notre droit humain à continuer à être des peuples paysans, droit consacré dans la Charte de droits paysans. Nous affirmons également que l’humanité a besoin de nous et nous nous refusons à disparaître malgré les persécutions et la criminalisation systématique dont sont victimes nos luttes. Nous luttons et nous réaffirmons toutes et tous notre engagement à continuer à semer les graines de l’espoir.

Sur la base de notre autonomie politique, nous nous organisons et luttons pour garantir l’existence des peuples que nous sommes, et accomplir dignement notre responsabilité historique et sociale, à savoir avancer dans la construction de la souveraineté alimentaire. L’agroécologie est l’expression concrète de nos modes de vie. Elle permet de produire des aliments sains, en abondance, et abordables pour toute l’humanité. Nous dénonçons les tentatives de récupération de l’agroécologie à des fins capitalistes, ainsi que le vol et la privatisation de nos savoir-faire et de nos semences sous couvert de « propriété intellectuelle ».

En tant que créatrices et créateurs des agricultures paysannes, nous affirmons que l’agriculture paysanne agroécologique est l’expression du savoir de nos ancêtres. Elle intègre nos cosmovisions multiples et découle de processus endogènes de dialogues et d’échange de savoirs sans cesse renouvelés.

Face aux défis urgents de notre époque, nous avons commencé à semer l’agroécologie paysanne sur tous les continents en établissant des relations directes entre les paysannes et les paysans. L’amour que nous ressentons pour notre mode de vie nous a mené à créer de nombreuses écoles paysannes et processus de formation en agroécologie (formels et informels) sur tous les continents. Ces écoles et ces processus proposent une formation où les dimensions techniques et politiques de l’agroécologie sont toujours associées. La transmission se fait de façon résolument horizontale et s’appuie sur l’échange d’expériences et le dialogue des savoirs. Ces formations sont une force pour nos territoires et nous dotent d’outils pour transformer collectivement nos réalités en partant de la base. Nous nous sommes réunis à Cuba pour affiner la structuration horizontale entre ces processus de formation et les renforcer mutuellement. Notre objectif est aussi de faire tomber les barrières que le monde des sciences agronomiques dresse habituellement. Nous collections savoirs et connaissances pratiques dans une démarche d’éducation populaire mais nous veillons aussi à établir un dialogue entre nos processus de formation et les systèmes institutionnels publics de recherche et d’éducation. Ainsi nous assurons aux paysans et paysannes de tout âge l’acquisition de capacités techniques et politiques nécessaires aux processus de lutte, de résistances et de transformation.

Nous travaillons pour vaincre le patriarcat et le machisme sous toutes ses formes en réaffirmant la place centrale du féminisme paysan et populaire. Les femmes ont joué un rôle essentiel dans le maintien de l’agriculture paysanne agroécologique ; Les jeunes ont quant à eux les moyens, la créativité et l’énergie nécessaires pour la propager de façon large. Le patriarcat met des bâtons dans les roues des femmes et des jeunes, c’est pourquoi le féminisme paysan ouvre la voie à un avenir plus égalitaire, plus humain et plus écologique.

Dans notre lutte pour l’émancipation humaine et pour le maintien d’un monde paysan vivant, nous réaffirmons l’importance :

- de la conquête d’une réforme agraire intégrale et populaire et de la défense radicale de nos territoires ;
- de mettre fin à toute forme d’exploitation du travail humain, ainsi qu’à toute forme d’oppression basée sur l’ethnie, la race, la culture, la politique, les différences de sexe, d’âges, de religions, ou de la classe sociale ;
- de diffuser l’agroécologie paysanne, en la développant à l’échelle locale ;
- des semences paysannes qui sont le patrimoine des peuples au service de l’humanité ;
- de la nécessité de politiques publiques pour soutenir nos propres processus de formation et de production via l’agriculture paysanne agroécologique ;
- d’alliances entre les secteurs populaires de la campagne et de la ville, et avec le monde académique, les chercheurs et les consommateurs.

Actuellement nous menons une bataille globale pour la terre. C’est une bataille entre deux modèles : celui mortifère de l’agrobusiness et du système capitaliste avec ses tentacules financiers et ses ramifications dans le domaine de l’exploitation minière, du business de l’eau et des semences ; et le « modèle de la vie » qu’est celui de l’agriculture paysanne agroécologique. Au vu des destructions qu’il provoque, nous sommes certains que le modèle capitaliste ne propose aucune solution humaine et écologique viable pour l’avenir. Le capital est une forme sociale toujours violente, basé sur l’exploitation du travail humain, l’oppression de classe, le racisme et l’accaparement de la nature. Le seul but du système est de garantir la reproduction amplifiée du capital à travers l’appropriation des forces et savoir-faire humains et de la nature comme s’ils étaient des marchandises. La Via Campesina se bat contre le capitalisme : elle met en place des expériences d’émancipation pour aller vers une société « plus égalitaire socialement, humainement différente et complètement libre », dans laquelle les besoins fondamentaux des femmes et des hommes, en tant qu’êtres humains, sujets conscients de leurs responsabilités historiques et politiques ainsi que de leur place dans l’écosystème global, soient respectés.

L’agriculture paysanne agroécologique est un outil fondamental dans la lutte et la construction d’une société différente. C’est pourquoi nous avons mis en place au cours de cette rencontre les éléments permettant un travail horizontal efficace dans nos écoles et nos processus de formation. Nous voulons une articulation globale de toutes nos écoles et processus, des lignes communes d’action et de formation, des échanges entre individus, des méthodes pédagogiques, une bibliothèque virtuelle, des matériaux d’étude, la construction d’un catalogue d’expériences de formation et des cours de formation, afin de construire des territoires paysans agroécologiques qui soient notre réponse alternative en faveur de la vie.

Nous dénonçons le blocus économique, cruel et injuste, auquel les États-Unis ont soumis cette si belle île pendant plus de cinquante ans et nous voyons en Cuba et sa Révolution un phare qui illumine le chemin de toutes et tous pour une société plus juste et plus humaine.

Globalisons la lutte, globalisons l’espoir !


- Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3457.
- Source (français) : La Via Campesina, 1er juin 2018.


Enrique   |  Actualité, Société, Écologie   |  06 29th, 2019    |