Le processus de transformation des médias à Cuba

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Le processus de transformation des médias à Cuba a commencé il y a plus de trente ans, avec l’émergence d’une presse d’opposition politique en exil, notamment à Miami (Radio Martí 1986, TV Martí 1990), mais aussi en Espagne avec le magazine Encuentro de la Cultura Cubana (1996). Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, plusieurs initiatives ont vu le jour, y compris à Cuba, telles que l’APIC (Association de la presse indépendante de Cuba en 1987), Cubanet (1994), BPIC (Bureau de presse indépendant de Cuba en 1995) et Cuba Press (1995). Cette première vague de journalisme indépendant des organes officiels de communication a été fortement réprimée par le gouvernement cubain, avec un pic en 2003, lorsque 27 journalistes ont été sanctionnés pour de longues périodes de privation de liberté. Malgré cette répression, la volonté de promouvoir une presse plus autonome face au pouvoir politique s’est également manifestée dans les médias officiels : le journal Juventud Cubana a créé la section “Accusé de réception”, dans laquelle les citoyens viennent se plaindre et obtenir des réponses qu’ils ne peuvent obtenir par d’autres moyens ; un espace a été ouvert sur les radios pour les citoyens ordinaires et de nouveaux espaces pour débattre, comme le “jeudi dernier” de la revue Temas (2002). Et à partir de 2007, des blogs sont apparus, qui ont souvent servi d’espaces pour le journalisme citoyen. Il est important de se rappeler ces éléments pour mieux comprendre la situation des médias à Cuba aujourd’hui : leur pluralisation, leur numérisation et l’acceptation relative des médias indépendants.
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La pluralisation des médias n’est pas nouvelle. Alors que les premières tentatives de journalisme indépendant visaient principalement la communauté internationale et son intérêt pour les droits de l’homme et l’opposition politique, les nouveaux journaux qui ont vu le jour travaillent à Cuba pour un public cubain. Cette nouvelle presse reflète les difficultés quotidiennes des citoyens en termes de difficultés économiques, de prostitution croissante, de gangs, de logement ou de pollution environnementale sur l’île. Pour les médias comme El Estornudo, 14ymedio, Periodismo de Barrio ou El Toque, une grande partie de leur agenda est celle de la citoyenneté commune. Ses journalistes sont des critiques de la situation sociale et politique à Cuba, mais ils ne sont pas des opposants. Ils se déplacent dans une zone grise, “alegale” – selon Elaine Díaz, “journalisme de quartier” – car leur activité n’est pas réglementée par une loi sur la presse actualisée qui prend en compte la numérisation du travail journalistique.
Les journalistes indépendants sont toujours victimes d’une politique de censure et de répression du gouvernement cubain.
La numérisation du journalisme est une autre grande transformation. Bien que l’option de publier uniquement en ligne ne soit pas le résultat de la dématérialisation accélérée des moyens de communication ou du désintérêt de la population pour les formats imprimés – comme c’est le cas en dehors de Cuba – elle est la seule option trouvée par les journalistes indépendants n’ayant pas accès à l’infrastructure de la presse écrite pour diffuser leur travail. Or, cette numérisation leur a permis de réduire fortement les coûts de création d’un journal et d’atteindre à la fois un public international et un public cubain de plus en plus connecté, depuis la libéralisation de la politique cubaine en la matière – en 2008 pour l’achat de téléphones mobiles, et en 2011 pour les points wifi.
Les journalistes indépendants sont toujours victimes d’une politique de censure et de répression du gouvernement cubain (arrestations, harcèlement dans la rue, confiscation de matériel de travail, surveillance, interdiction de quitter le pays…). Mais ils ne sont plus condamnés à dix ou vingt ans de prison, comme ce fut le cas pour les pionniers du mouvement. De plus, leur exemple a des répercussions même dans les cercles de la presse d’Etat. Les journalistes officiels dénoncent le verticalisme et le secret des institutions, ainsi que la faible représentation de l’agenda citoyen dans la presse officielle. Cependant, malgré la publication imminente de la nouvelle loi sur la communication, Miguel Díaz-Canel, le président de la république, a déclaré que la “communication” reste une “ressource stratégique de la direction de l’État et du gouvernement” – lors du dernier congrès de l’UPEC, l’Union des journalistes, 2018 – indiquant clairement qu’il ne reconnaîtrait pas légalement l’existence des médias indépendants. Ainsi, le contrôle des médias par les organes du pouvoir politique restera en vigueur en 2019 et au-delà, et les journalistes d’Etat resteront liés à la “vérité” officielle du parti.
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Marie-Laure Geoffray

Professeure adjointe en science politiques. Institut des hautes études d’Amérique latine


Enrique   |  Culture, Société   |  11 15th, 2019    |