La Havane :   Mort du chercheur et essayiste libertaire cubain Tato Quiñones

Serafín “Tato” Quiñones nous a quittés le dimanche 12 janvier à La Havane à l’âge de 77 ans, victime d’une crise cardiaque. Il était l’auteur de nombreux ouvrages sur la culture afro-cubaine.

J’ai rencontré Tato lors de différentes réunions organisées par l’Observatoire critique de Cuba à San José de Lajas et lors des Journées libertaires de La Havane. Cet autodidacte m’a toujours impressionné par ses connaissances sur le processus révolutionnaire initié en 1959, son savoir sur les cultures d’origine africaine et sa sagesse.

Voici ce qu’écrivait Isbel Díaz, membre de l’Atelier libertaire Alfredo López de La Havane, en annonçant le décès de notre vieux compagnon Tato Quiñones :

«  Il était l’un des nôtres. Aujourd’hui, est un jour triste pour Cuba, surtout pour la gauche critique qui a dénoncé de manière frontale les maux du gouvernement de l’île. Nous sommes fiers d’avoir côtoyé Tato au sein de la Chaire Haydée Santamaría, de l’Observatoire critique (1), dans l’Atelier libertaire Alfredo López et dans le Centre social ABRA.

Ses initiatives dans le cadre de la Cofradía de la Negritud (2) et son bulletin Desde la Ceiba (Depuis le fromager) (3) ont été des exemples de travail indépendant et de volonté afin de promouvoir la pensée critique et antiraciste à Cuba. Comme il l’a dit lui-même, lors d’un hommage, devant la tombe de Quintin Bandera (4) : “Ne repose pas en paix”. Reste proche de nous Tato, où que tu sois, en nous guidant et en nous piquant pour renoncer au confort et pour maintenir l’esprit critique que tu nous as inculqué, à nous les jeunes. Ne va pas trop loin. Ceux d’entre nous qui sont au fond du chaudron ont besoin de toi ».

Tato Quiñones est né à La Havane en 1942. Combattant sincère de la révolution de 1959, Tato a vécu et s’est battu pour un Cuba sans racisme et sans classes. Tato est mort, 60 ans après la prise du pouvoir par les frères Castro et leurs complices, en luttant toute sa vie pour ceux qui vivent « au fond du chaudron ».

Tato possédait une connaissance approfondie des diverses religions et pratiques d’origine africaine. Écrivain, scénariste, promoteur culturel, Tato Quiñones s’est consacré à l’étude et à la promotion de l’héritage africain dans la culture cubaine et à la participation de la confrérie Abakuá(5), dont il faisait parti, aux guerres d’indépendance au XIXe siècle, ainsi qu’au militantisme contre la discrimination raciale.

Il y a moins d’un an, Tato Quiñones estimait que bien qu’« il n’y ait pas de chiffres, il est clair que les inégalités sociales se sont aggravées au cours des dix dernières années. La nouvelle classe des riches devient de plus en plus voyante, ainsi qu’une nouvelle classe sociale – surtout composée de noirs – qui continue à s’enfoncer dans la pauvreté ».

Lors des obsèques de Tato, Gisela Arandia, chercheuse, écrivain, militante antiraciste et créatrice, avec Tato, de l’association Color Cubano, a déclaré à l’agence IPS Cuba que sa mort laisse « un vide qui ne peut pas être comblé, à moins que nous ayons la capacité de réaliser notre utopie, de nous en approcher beaucoup plus ». Gisela Arandia a rappelé comment Tato Quiñones, qui était issu du mouvement ouvrier, « avait la capacité, en tant qu’autodidacte, de continuer à se former, de continuer à lire, à approfondir, à chercher l’essence des problèmes et des conflits ».

Notre compagnon anarchiste Mario Castillo, son fils spirituel, a conclu en appelant l’esprit de Quiñones « à rester actif, à nourrir nos efforts, nos entreprises et à nourrir tout ce sens que Tato a mis dans l’idée de décolonisation de la mémoire historique populaire de Cuba. La meilleure chose que nous puissions dire à cet esprit est qu’il ne repose pas en paix, parce qu’il y a beaucoup à faire, il y a de nombreux défis dans ce pays et Tato nous accompagnera, en apportant des informations, des idées, du sens et de l’énergie ».

Daniel Pinós

Groupes d’appui aux libertaires et aux syndicalistes indépendants de Cuba (GALSIC)

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    1. La Chaire Haydée Santamaria (sans lien avec l’université) a suscité la constitution du réseau Observatoire critique, qui fédère des activistes libertaires, écologistes, autogestionnaires, féministes, gays, dont les positions radicales sont au cœur du débat sur l’avenir de la société cubaine.

    2. La Cofradia de la Negritud (la Fraternité de la négritude) est une association animée par un groupe d’acteurs culturels qui, depuis le début des années 1990, ont promu le débat sur les discriminations raciales à Cuba. Les membres de ce nouveau mouvement culturel afro-cubain – musiciens, artistes plasticiens, écrivains, universitaires et militants – ont en effet dénoncé le silence qui a entouré les questions raciales dans l’île depuis le début de la révolution cubaine, ainsi que l’interprétation officielle du discours national sur la fraternité raciale. Leurs efforts n’ont pas été vains. Selon plusieurs enquêtes, la plupart des Cubains reconnaissent désormais que le racisme est un problème. Le racisme ne s’élimine pas par décret. Les autorités cubaines ont reconnu que les différences raciales continuent d’exister à Cuba et elles ont commencé à être attentives aux questions de la représentation des Noirs dans les structures gouvernementales.

    3. Desde la Ceiba. Publication antiraciste revendiquant l’apport africain à la culture cubaine. Le fromager est l’arbre emblématique des descendants d’esclaves africains.

    4. José Quintino Bandera Betancourt, connu historiquement sous le nom de Quintín Bandera, était un combattant d’origine africaine qui prit part aux trois guerres d’indépendance contre la domination espagnole.

    5. Abakua ou Abakuá est une fraternité afro-cubaine à rites initiatiques, une société secrète née au sud-est du Nigeria et au sud-ouest du Cameroun.

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Légende la photo : Tato Quiñones entouré des compas au local de l’Atelier libertaire Alfredo López de La Havane



Enrique   |  Actualité, Culture, Politique   |  01 14th, 2020    |