Les anarchistes et la révolution cubaine : entre allégresse et désenchantement

La une de “Cenit”, avril 1961

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Le texte ci-dessous, paru sur le site « Pacarina del Sur » et que l’on doit à Eduardo Daniel Rodríguez Trejo, évoque une histoire grandement méconnue au sein du mouvement anarchiste français, celle des diverses réactions et positions du mouvement libertaire d’Amérique latine, principalement en Argentine, au Mexique, en Uruguay et au Chili, vis-à-vis de la révolution cubaine à laquelle avaient d’ailleurs participé les militants anarchistes de l’île avant sa confiscation et l’instauration d’un régime dictatorial par les communistes. Ce texte a été traduit par l’ami Floréal Melgar.

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Précisions quant à certains noms propres ou de lieu :
Frank Isaac País García
est un dirigeant étudiant réformiste, professeur et révolutionnaire cubain qui lutta contre la dictature de Fulgencio Batista et intégra le Mouvement du 26-Juillet (Movimiento 26 de Julio ou M-26). Son assassinat par la police dans les rues de Santiago en juillet 1957, à l’âge de 22 ans, souleva une vague de protestations dans tout le pays et fut un événement décisif dans le commencement de la révolution cubaine (Wikipédia). Ramón Grau San Martín fut président de la République de Cuba de 1933 à 1934 et de 1944 à 1948. Carlos Prío Socarrás fut président de Cuba de 1948 jusqu’à son renversement par le coup d’État de Fulgencio Batista le 10 mars 1952. LaPlaya Giron, où eut lieu la tentative anticastriste de débarquement d’avril 1961, est plus connue en France sous le nom de baie des Cochons.

Introduction
L’un des jalons du devenir de l’Amérique latine fut le processus révolutionnaire cubain. L’insurrection pluriclassiste contre Fulgencio Batista se convertit en flambeau des classes subalternes, où les différents courants du socialisme placèrent leurs espoirs de modification du sort des peuples américains ; ils observèrent avec enthousiasme la lutte héroïque et tenace des Cubains, en particulier celle des combattants retranchés dans les montagnes cubaines. Les anarchistes ne firent pas exception ; ils soutinrent les guérilléros et exprimèrent leur solidarité envers eux, organisèrent des campagnes de propagande et d’information, informèrent à travers leur presse des succès et des défaites des « barbudos » et interprétèrent, de leur point de vue idéologique, ce qui se passa dans la plus grande île des Antilles.
Le but de cet article est d’analyser comment les anarchistes ont observé la Révolution cubaine, comment ils l’ont interprétée et, surtout, quelle position ils ont prise. La période couverte par ce travail s’étend de décembre 1956 à juillet 1963. Il est important de préciser que la période armée ne doit pas être confondue avec le régime né de l’insurrection. Il convient de distinguer ces deux moments, car les anarchistes sont passés par trois étapes bien définies au cours de cette période. La première, le soutien au mouvement insurrectionnel ; la deuxième, la défense, avec des réserves, du triomphe révolutionnaire ; et la troisième, son opposition, sa dénonciation et sa condamnation du régime dirigé par Fidel Castro.

Ce qui précède nous amène à préciser les canaux par lesquels les anarchistes ont diffusé les informations pour s’expliquer, et aussi expliquer ce qui s’est passé à Cuba. La première source a été la presse, les publications anarchistes les plus importantes à Cuba, Solidaridad Gastronómica et El Libertario, étaient reçues par l’ensemble du Mouvement libertaire (ML) d’Amérique ; comme deuxième source, il existait un contact direct entre l’Association libertaire cubaine (ALC), la Fédération libertaire argentine (FLA) et la Fédération anarchiste mexicaine (FAM). En outre, des exilés espagnols, des républicains et des membres de la CNT installés à Cuba étaient en contact avec les noyaux du Mexique. Les anarchistes disposaient donc d’informations directes en provenance de l’île, bien qu’il faille souligner la lenteur de leur diffusion et l’attitude des Cubains eux-mêmes, qui demandèrent à leurs camarades du continent de ne rien publier par crainte de représailles ou d’être confondus avec la réaction ; c’est pourquoi, comme troisième source d’information, la presse bourgeoise a parfois été utilisée, pour évoquer les événements cubains.
Ce travail semble important sur deux aspects. Le premier permet de revisiter le processus révolutionnaire cubain, soixante ans après son triomphe, du point de vue anarchiste. Le second est de questionner l’un des rares ouvrages consacrés à la manière dont l’anarchisme a observé la Révolution, celui de Frank Fernández (2000) ; un livre synthétique adopté comme référence, pour mieux connaître l’anarchisme cubain, tant par la militance anarchiste que par les chercheurs universitaires. Les premiers ont repris la thèse de Fernández sur un prétendu abandon et un manque de solidarité de l’anarchisme international envers les libertaires cubains, une situation, selon Fernández, aggravée après la diffusion du document dit « Gaona » (daté de novembre 1961) [1]. Mais cela n’est pas du tout certain ; au contraire, en apprenant la situation de persécution et de répression visant leurs camarades, les anarchistes entreprirent des actions pour dénoncer cette situation, collectèrent des fonds pour rendre possible leur départ de Cuba, firent pression pour leur libération et prônèrent le respect de leurs droits et de leur intégrité physique. De plus, un peu avant que le caractère socialiste de la Révolution ne soit déclaré, les milieux anarchistes avaient remis en question les mesures prises par le régime naissant.

La position anarchiste sur le processus armé
Le début de la Révolution cubaine a été décrit avec espoir dans la presse anarchiste. Des plumes libertaires a jailli une encre haletante sur un prompt triomphe des jeunes guérilléros, espérant l’instauration d’un régime libéral démocratique, où les libertés fondamentales, de pensée, de presse, de réunion et d’association, rendraient possible la résurgence d’organisations populaires capables de défendre les conquêtes sociales obtenues par les armes. Cette position fut assumée par la FAM, à travers son organe de diffusion, Regeneration. Il fut établi que le mouvement armé avait pour objectif d’implanter un nouvel état de choses capable de satisfaire les désirs des habitants, mais ils s’interrogèrent : que se proposent de faire les révolutionnaires quand Batista tombera du pouvoir ? Une république socialiste et démocratique sera-t-elle établie ou un directoire civil ou militaire, comme c’est la coutume en Amérique hispanophone ? [2].

Toute révolution, firent valoir les anarchistes mexicains, pour aller vers un véritable changement et ne pas conduire à une nouvelle oppression plus humiliante que la précédente, est obligée d’aspirer à une plus grande liberté grâce à la jouissance de droits tels que l’inviolabilité du domicile et la liberté de pensée, de parole et d’écriture, ainsi que de respecter le droit de pétition, de réunion, de grève et de protestation individuelle et collective. Pour la même raison, ils nourrissaient « le désir profond qu’à Cuba la magnifique action révolutionnaire triomphe et forge un avenir libertaire pour le bien de tous les enfants du travail » [3].
Ce premier point de vue interprétatif venu de l’anarchisme était fondé sur l’assurance que les États-Unis ne toléreraient pas une menace contre leurs intérêts ; par conséquent, les changements sociaux ne pourraient être approfondis. Cette appréciation du ML l’amena à considérer que les libertés démocratiques permettraient aux syndicats, aux organisations populaires et aux anarchistes de se développer et d’agir et, dans l’immédiat, de faire avancer un programme visant à améliorer la situation des Cubains sans craindre l’imposition d’une nouvelle dictature parrainée par les États-Unis. La position de la Conférence anarchiste américaine, tenue en Uruguay en 1957 en présence d’une délégation de l’ALC, en est un exemple. La Conférence déclara :

« En tant qu’anarchistes, nous pensons que les droits d’expression, de réunion, d’association, de syndicalisation et de grève, qui existent, en général et à des degrés plus ou moins importants, sous la démocratie bourgeoise, ne sont pas intrinsèquement liés à cette forme politique. Bien que démagogiquement et verbalement incorporés dans les constitutions des États, ces droits ont été conquis par le peuple lui-même, limitant certains aspects du pouvoir politique (…) ; la lutte contre le totalitarisme doit donc être une lutte de résistance et de création. Nous devons collaborer à l’affirmation, par avance, des conditions sociales qui rendent l’instauration de la dictature difficile ou impossible. Plus on arrache de sphères à l’administration de l’État et du capitalisme (…), plus le réseau des associations populaires se multiplie et plus ce tissu social authentique se fortifie, plus il sera difficile pour l’État de trouver une voie pour se renforcer, d’anéantir les libertés et d’entraîner les masses dans sa politique totalitaire et corrompue » [4].
La Conférence, faisant allusion à l’insurrection cubaine, affirma : « Cuba a pris les armes contre la dictature, les peuples d’Amérique et du monde contemplent avec douleur et admiration la conduite héroïque d’un peuple qui sait dire non aux tyrans, les étudiants et les travailleurs affrontent les forces militaires et policières de Batista, sacrifiant leur vie dans des gestes de sacrifice qui ne peuvent qu’inspirer l’amour de la liberté » [5].
Malgré les espoirs placés dans les événements de Cuba, même durant la période armée, le ML se méfia de la portée émancipatrice de la Révolution. Ces questions furent mises en évidence lors d’un événement contre les tyrannies organisé par les Jeunesses antifranquistes espagnoles. Octavio Alberola, organisateur de la rencontre, rappelle un fait significatif et annonciateur des événements à venir.
« … ce fut la confrontation que j’ai eue, lors d’un événement organisé en 1958 à l’Ateneo Español de Mexico, avec les membres du Mouvement du 26 Juillet [M26] qui voulaient empêcher un jeune Noir, du Directoire révolutionnaire étudiant, qui venait de quitter clandestinement l’île, de poursuivre son intervention après avoir dénoncé le danger du caudillisme dans la lutte contre la dictature de Batista. Comme je présidais l’événement, j’ai obtenu que le jeune homme noir continue à s’exprimer et termine son intervention. Ce fut une bataille qui préfigurait ce que serait la lutte pour le pouvoir après la chute de Batista » (Agence d’informations anarchistes, 2010) [6].
La perception de l’autoritarisme et du dirigisme émanant du noyau de guérilla de la Sierra Maestra n’était pas exclusive aux anarchistes. Un exemple en est une lettre de Frank País* à Fidel Castro, où il « annonçait la nécessité de réorganiser le Mouvement, en raison de la confusion régnante, proposait de répartir les responsabilités pour éviter la centralisation au sein de la direction. L’intention de País était une redistribution du pouvoir en fonction de l’importance et du poids de chacune des branches du Mouvement ; ainsi, par exemple, la Direction nationale du 26 Juillet serait composée de six coordinateurs provinciaux et d’un représentant de l’armée rebelle, tandis que des milices armées seraient créées dans tout le pays et qu’un programme minimal serait établi. La proposition supprimait tout rôle stratégique à la guérilla sur le plan militaire, tandis que sur le plan politique Fidel se bornait à un programme doctrinal et à une direction dans laquelle la voix de la Sierra était minoritaire » (López Ávalos, 2007, pp. 236-237).

De l’allégresse au désenchantement
Les anarchistes, encore hésitants, saluèrent et soulignèrent la manière dont la victoire fut obtenue à Cuba, qui « n’a pas été le résultat de négociations de palais, comme cela s’est produit en d’autres occasions, mais d’une lutte sanglante dans laquelle une poignée d’hommes (…) a réussi à résister à la machine totalitaire et à la détruire pas à pas dans une lutte armée » [7].

Dans Regeneración, il fut noté que « le triomphe de la cause menée par le jeune guérilléro Fidel Castro Ruz (…) a été une leçon pour tous les dictateurs d’Amérique latine et un exemple pour la jeunesse éprise de liberté, qui a vu objectivement comment la tyrannie ne peut être détruite que par la violence révolutionnaire du peuple » [8]. Après le succès des Cubains, les anarchistes mexicains ont appuyé le M26, considérant que l’insurrection était juste, malgré ses finalités sociales et économiques limitées, ses aspirations se bornant à un changement de gouvernement et à une légère réforme sociale. Ils l’ont soutenue précisément pour cela, « parce que dans ce domaine ils n’ont pas eu recours à la démagogie ou à la tromperie en promettant d’offrir ce qu’ils ne pouvaient pas tenir » [9].
Les exécutions des collaborateurs de Batista, d’ecclésiastiques, de capitalistes, de militaires, policiers, etc., devint le sujet le plus important de la presse mercantiliste et de ceux qui s’opposaient au triomphe révolutionnaire. Au contraire, la presse anarchiste les justifia. Un exemple en vient de La Protesta (LP), qui évoqua les méthodes répressives brutales de Batista contre tout opposant à son gouvernement, le dévoilement des systèmes de torture, ainsi que les cimetières clandestins de la dictature. Cette situation de souffrance a poussé les révolutionnaires, assura LP, à étancher leur soif de justice populaire et a légitimé les procès populaires qui ont abouti à des exécutions publiques : « La violence déclenchée par la dictature engendre inévitablement de nouvelles violences, et une guerre civile de plusieurs années et des milliers de morts ne sont pas exactement des terrains propices aux sensibleries ou aux lamentations larmoyantes » [10]. La position de LP fut partagée par les Mexicains qui approuvèrent la peine de mort contre les ennemis de la Révolution. Si les révolutionnaires étaient la cible de la colère des conservateurs, des contre-révolutionnaires, des réactionnaires et des démocrates, affirmait Regeneración, ils l’étaient par le fait d’avoir fusillé « décemment toutes sortes de criminels serviteurs de Batista » [11]. Cette violence « populaire » allait bientôt s’étendre aux membres du M26, aux socialistes et aux anarchistes.

Bien que d’accord avec les mesures de la Révolution, Casto Moscú, secrétaire de l’ALC, dans une lettre à Andrés Cabona, nous permet d’observer la crainte semée chez les anarchistes insulaires et continentaux à propos de la dérive de la Révolution. Dans cette lettre, Moscú évoque des questions telles que le licenciement des membres des forces armées, qu’il considère comme justifié ; mais il remet en question le licenciement de la bureaucratie moyenne et inférieure qui a été stigmatisée en tant que telle et dont les membres, hommes et femmes, se sont vu refuser tout travail. Cela expliquait l’augmentation des attentats, des raids aériens et de la propagande antirévolutionnaire, des actes parrainés par ceux qui avaient perdu leurs privilèges, mais cela n’inquiétait pas trop Moscú, en raison du soutien populaire incontestable à la Révolution et à Castro. Mais, soulignait-il : « Les communistes profitent de cette situation pour développer leurs plans, donnant un caractère inconditionnel à la Révolution, dont nous savons qu’il a son prix. Ce sont de bons artistes dans la simulation. Nous, les Cubains, savons que des jours amers nous attendent. Des personnages de premier plan de la Révolution sont tombés ou ont renoncé : le président de la République (…) et aussi dans les domaines civils, tous, tombés ou démissionnés, sont accusés d’être des traîtres, et je ne partage pas cette idée générale, car il y a un peu de tout. Mais il y a un point commun à tous ces cas, c’est que tous se sont manifestés, avant ou après, contre le communisme »[12].
Contrairement à d’autres groupes anarchistes, comme Regeneration, les rédacteurs de La Protesta ont vite fait part de leur scepticisme à l’égard de la Révolution. Le journal de Buenos Aires, en interviewant une délégation de révolutionnaires cubains en visite dans le pays et en les interrogeant sur la signification et la portée de la Révolution, se vit répondre qu’il s’agissait d’un changement dans la façon de gouverner. La réponse reflétait, remarquait LP, le sens autoritaire de la Révolution, « sur laquelle nous n’avons jamais eu de grandes illusions » [13]. Néanmoins, ils mirent en valeur la situation des révolutionnaires en tenant compte des circonstances du petit pays qui avait obtenu son indépendance au début du siècle et qui, à partir de là, passa d’un état de soumission aux États-Unis à des dictatures et des gouvernements plus ou moins démocratiques caractérisés par la corruption ; ils comprirent par là même la nécessité d’un changement progressif : « Cuba a besoin d’une révolution, même si c’est une petite révolution de l’État. La situation de grandes masses de sa population est trop critique pour la reporter. Mais, pour autant que nous sachions, le premier enthousiasme pour le triomphe ne s’est pas encore transformé en quelque chose de plus profond et de plus durable. Et il se peut que cela n’arrive jamais si les masses populaires ne l’exigent pas. Notre sympathie indéniable pour le mouvement triomphant, auquel ont participé nombre de nos camarades, ne doit pas nous empêcher d’exprimer ces inquiétudes » [14].

Les anarchistes mexicains qualifiaient de naïf le fait de croire qu’en changeant seulement les mauvais gouvernants par d’autres présentés comme bons, parce que révolutionnaires, on remédierait aux maux du peuple cubain. Ce serait, soutinrent-ils, avoir gaspillé tout le sang des jeunes gens qui se sont sacrifiés pour mettre fin à jamais au danger de futures dictatures, au nom d’un drapeau ou d’un autre. Mais, conscients du peu de probabilités d’approfondissement du changement social, ils considérèrent :
« Nombreuses sont les réalisations sociales qui peuvent et doivent être affrontées, même si les obstacles à surmonter semblent trop importants aujourd’hui : dans le domaine d’une réforme agraire qui ne tombe pas dans l’erreur de créer des petits propriétaires, mais qui donne plutôt la terre au paysan pour qu’il l’exploite et la fasse produire en commun avec ses frères ; dans les villes, en expropriant les grandes entreprises industrielles aux mains des capitaux étrangers et en les remettant aux travailleurs pour qu’ils les gèrent et en jouissent ; et, sur le terrain politique, en limitant de plus en plus les attributions de l’autorité, en détruisant ses soutiens les plus honteux : l’armée et la police » [15].
Ce qui précède était en phase avec un texte envoyé par l’ALC à la Commission anarchiste internationale, dans lequel les Cubains déclarèrent : « Nous tenons compte de votre opinion concernant le danger d’une réaction qui se cache sous le manteau de la révolution. Nous mesurons tous les dangers qui nous menacent et nous savons que notre révolution, qui ne nous offre pas les grandes solutions d’une révolution sociale, qui laisse en place le principe de l’autorité, la propriété privée et l’appareil capitaliste, est un répit important dans une atmosphère qui nous maintenait étouffés (…), nous sommes quelque peu parcimonieux dans nos approches critiques (…), [à cause] de la forte hostilité, non seulement des représentants du régime de Batista, mais aussi des classes réactionnaires : propriétaires terriens, industriels, commerçants, qui cherchent à tirer profit de toutes sortes d’attaques contre la révolution ; alors nous devons faire attention à ce qu’on ne confonde pas nos critiques avec les leurs » [16].
Les déclarations faites par le Mouvement libertaire cubain (MLC) seront réitérées aux anarchistes du continent au moyen d’une circulaire confidentielle, sortie clandestinement de l’île et signée par l’ALC et la CNT espagnole à Cuba. La façon dont la circulaire est sortie de Cuba, son contenu et la façon dont elle a été rapportée ont constitué un signal d’alarme pour les anarchistes. Dans la note précédant le communiqué, il est indiqué que « la circulaire ci-jointe nous a été remise en main propre depuis La Havane sans utiliser le courrier. Notre lien, un étudiant qui a assisté aux célébrations du deuxième anniversaire de la Révolution cubaine (…), offre le maximum de garanties, grâce aux mots de passe qui proviennent de notre correspondant à Cuba »[17].

La circulaire, qui visait à établir une « norme » « pour les activités et les relations avec le MLC », énumère les questions déjà exprimées à la presse internationale, mais en donne la raison ; premièrement, elle fait allusion au nombre écrasant de lettres demandant des informations ; deuxièmement, elle reproche « aux militants qui commentent publiquement ou recherchent des renseignements en privé, de diffuser trop souvent des inexactitudes et des indiscrétions qui peuvent entraîner, si cela ne cesse pas immédiatement, de grandes contrariétés » [18]. Ils ajoutent que les anarchistes locaux et espagnols exilés accomplissent les tâches de militantisme le plus rapidement et le plus précisément possible, mais en agissant dans une atmosphère pleine de dangers. En conséquence, ils formulèrent les recommandations suivantes : « 1. La correspondance doit être rédigée de manière à ne pas fournir d’informations intimes, que seuls nos militants doivent connaître, car un grand nombre de lettres nous arrivent déjà ouvertes ; 2. dans cette correspondance, aucune question ou demande d’information ne doit être faite pour la raison indiquée ci-dessus ; 3. les informations sur des faits concrets relatifs à Cuba, surtout ceux qui ont trait à notre mouvement, doivent être vérifiées avant leur publication afin de ne pas tomber dans le mensonge (…) ; 5. (…) s’ils veulent rendre [une information] publique, ils doivent en gommer l’origine, sans jamais citer la source de l’information, car dans de nombreux cas ce simple fait met en danger la liberté et même la vie de nos camarades ; les ML de tous les pays, qui souhaitent savoir exactement ce qui se passe à Cuba, doivent ouvrir des canaux confidentiels pour la demande de rapports et l’envoi de ces rapports » [19].
Six mois après le triomphe révolutionnaire, LP élabora un bilan des portées et des projections de la Révolution. Parmi ses réflexions, nous trouvons la crainte et la méfiance à l’égard des manifestations d’adhésion populaire, presque de dévotion, envers Fidel, en grande partie grâce à la distribution de terres et à l’échec des soulèvements et des tentatives de coup d’État de nature anticommuniste [20]. Cela les amena à affirmer : « Dès le jour du triomphe de l’insurrection cubaine contre la dictature de Batista, et même avant cela, l’intention évidente de Fidel Castro, et de ses adeptes, de faire une révolution depuis le pouvoir nous a fait prendre les choses avec une certaine prévention »[21]. Sur ce point, ils purent approfondir la question avec les informations envoyées par leurs camarades cubains, qui les alertaient quant à l’intervention des communistes dans les syndicats, violant leur autonomie et imposant leurs partisans inconditionnels par la coercition au moyen des milices ouvrières [22]. Le cours autoritaire leur était confirmé après la parution d’une note parue dans El Libertario, où était dénoncée la vigueur du Code de défense sociale comme forme de contrôle et de répression. Dans le texte, il était dit : « Le Code de défense sociale [de Batista] (…) a fait entrer dans le piège totalitaire (…) d’innombrables domaines de l’art, de métiers et de professions ; il a réduit le droit d’expression, de pensée, de parole (…) ; tout cela, haineux et coercitif, est toujours légalement en vigueur. Et ni Grau*, ni Prío*, ni même la révolution ne l’ont aboli (…), dans les rues de La Havane et des villes de l’intérieur défilent des adolescents et des enfants, marquant nettement le passage au style prussien. Ils défilent, orgueilleux, raides et très sérieux, avec cette conviction qu’ils se préparent à « faire une patrie », qu’ils font déjà une patrie (…), ils sont sûrement sincères dans leur croyance, ils se jugent dignes collaborateurs du mouvement héroïque qui a su briser la tyrannie et a réitéré la fermeté de son idéal humaniste (…), ces patrouilles juvéniles se souviennent des fasci di combattimento, des bandes encapuchonnées des Cagoulards (…). Pour un avenir d’oppression et de servilité, elles sont bien préparées. Pour forger un lendemain de coexistence fraternelle, au sein de la communauté libre et heureuse, elles sont contre-productives » [23].

Malgré les tendances despotiques qui se profilaient dans la Révolution, les anarchistes ont continué à la considérer comme une insurrection populaire pour des conquêtes au profit du peuple cubain, comme l’étaient les expropriations [24]. La voie révolutionnaire empruntée par l’île, soulignèrent les anarchistes, était la flamme de l’espoir d’une vie meilleure pour tous les peuples d’Amérique [25].
Mais cet espoir et cette adhésion au projet cubain se sont peu à peu évanouis jusqu’à se convertir en répulsion. Si les doutes allaient s’éclaircissant, confirmant ainsi le profil « dictatorial » de la Révolution, un rapport d’Augustin Souchy, l’un des plus célèbres intellectuels anarchistes, allait mettre un terme aux hésitations et marquer le moment où de nombreux anarchistes adoptèrent une position ferme. Souchy se rendit à Cuba en 1960, à la demande du gouvernement révolutionnaire, pour préparer une étude sur la réforme agraire et les coopératives ; dans son ouvrage, Souchy esquisse certaines des conséquences du triomphe cubain pour l’Amérique latine. Il fait d’abord allusion au problème de la liberté, des « déviations » et des risques de voir qualifier quiconque ne communie pas avec le castrisme de « contre-révolutionnaire et de laquais des Yankees ». Ensuite, il s’intéresse aux détracteurs du processus révolutionnaire qui « disent que Castro est un agent ou un allié de Moscou » (1960, p. 60). Souchy résume ainsi : « Les différentes appréciations de la Révolution cubaine ont, dans une large mesure, leur origine dans le changement rapide et profond de la situation à Cuba. La Révolution a changé au cours de ses vingt mois d’existence, tant dans sa forme que dans son contenu. Le M26 Juillet dans sa lutte contre Batista était différent de l’appareil gouvernemental de Fidel Castro. Le premier était libérateur, le second dictatorial (…), et les révolutionnaires eux-mêmes ont changé, si l’on compare leus attitude de janvier 1959 à celle de la seconde moitié de l’année 1960. Lorsqu’en avril 1959 Castro a effectué son célèbre voyage aux États-Unis, il a accepté avec plaisir et fierté les ovations et les éloges des Yankees. Aujourd’hui, il ne parle des Yankees qu’avec mépris et accuse les Nord-Américains d’être l’ennemi numéro un de la Révolution »(ibid.).

Contre les impérialismes et le tiers-mondisme
L’interprétation anarchiste de la Révolution cubaine était liée à sa conception de l’impérialisme. Tant l’impérialisme soviétique que l’américain étaient rejetés, ainsi que le tiers-mondisme. À cet égard, Oscar Milstein « a soulevé la nécessité d’échapper à la définition exclusivement économique de l’impérialisme, et a maintenu son caractère global de phénomènes de nature culturelle, économique, politique », affirmant : « Accepter l’approche strictement économique équivaut à entrer dans la fausse alternative d’être un appendice des intérêts impérialistes en jeu ou ignorer le problème » [26]. Pour sa part, Emilio Muse soutint que « tout anti-impérialisme qui n’est pas simultanément anticapitaliste et antiétatiste, aussi populaire soit-il et aussi révolutionnaire qu’il le prétende, ne tend pas vers un véritable dépassement » [27]. Comparant les impérialismes soviétique et américain, Muse souligna que « tous exploitent, oppriment et assassinent les peuples, directement ou indirectement, par des techniques financières, militaires ou scientifiques. Les États-Unis et la Russie présentent des différences entre eux (…) mais, en tant qu’impérialistes, ils peuvent mener exactement aux mêmes atrocités » [28]. Muse, en abordant la question cubaine, souligna la longue tradition anti-impérialiste de Cuba, qui a fait un grand pas en avant en se libérant du joug américain, mais a reculé en tombant dans l’orbite soviétique. Muse conclut : « Le tournant apparemment hystérique [de Cuba] vers un nouvel impérialisme, en plus de signifier une trahison flagrante d’un des objectifs fondamentaux de la Révolution cubaine, offre aux peuples la fausse idée d’un soutien soviétique indispensable, c’est-à-dire une idée contre-révolutionnaire et pro-impérialiste » [29].
Pour sa part, la Fédération anarchiste internationale du Chili (FAIC) concevait l’impérialisme comme l’oppression physique ou culturelle exercée par une puissance ou le gouvernement d’un pays fort sur un ou plusieurs pays faibles, dont il supprime ou restreint la liberté ou les possibilités de développement et d’expression. Ajoutant : « L’impérialisme a été imposé tour à tour dans le monde par des patriciens ou par des républicains, par des démocrates ou des socialistes, par des nazis ou des bolcheviks (…). Nous appellerons impérialistes ceux qui, au nom de tel ou tel principe, utilisant le pouvoir de l’État comme une forte puissance, soumettent d’autres pays économiquement, financièrement, militairement ou culturellement » (FAIC, 1960, p. 4-5). Ajoutant encore :
« De même, nous avons dénoncé face au monde entier la répression féroce que les bolcheviks ont exercée contre le peuple de Hongrie qui voulait se libérer de la tyrannie du gouvernement russe. Et, parce que nous sommes des amoureux de la liberté et de l’autodétermination des peuples, nous proclamons que l’URSS maintient sous son autorité et la répression brutale de ses armées d’innombrables pays, appelés satellites, dans une action impérialiste » (pp. 3-4).
En outre, la FAIC fit appel à la position incontournable des anarchistes, qui devaient se déclarer anti-impérialistes, encourager tous les peuples à lutter et à se libérer du joug des puissances impérialistes.

Dans le numéro d’avril 1961, au moment de l’invasion de la Playa Giron*, LP reproduisit un manifeste de la Ligue libertaire de New York intitulé « Pour la Révolution cubaine ». Dans ce manifeste, le problème des dictatures latino-américaines financées et parrainées par le dollar est examiné en profondeur. En outre, contrairement à LP, qui reconnaissait le M26 comme le noyau tactique et directeur de la Révolution, faisant valoir que, s’il y avait bien eu une révolte multiclassiste de la révolution, c’est le M26 qui l’avait menée à bien, la Ligue, à contre-courant, prétendait que sans la participation active de toute la population la chute de Batista aurait été impossible, « aucun homme, aucune classe sociale à elle seule, n’est responsable de la victoire du 1er janvier 1959. Etudiants, travailleurs, paysans, gens des classes moyennes, guérilléros et civils ont partagé l’effort collectif » [30]. Pour la même raison, elle déplorait le virage adopté, où l’axe de tout mouvement était l’État qui non seulement écrase toute tentative d’initiative populaire mais noie toute manifestation qui conteste le processus cubain. Cette situation était à déplorer car le peuple a lutté et « a au moins le droit d’espérer une démocratie révolutionnaire qui donne libre cours à ses efforts, avec les contrôles ouvriers dans les industries expropriées aux capitalistes, une réforme agraire soutenue et administrée par les paysans eux-mêmes et la plus grande liberté intellectuelle » [31].
Le manifeste approfondit son désaccord avec LP, cette dernière soutenant que le M26 était un groupe homogène et dirigeant [32], la Ligue considérant pour sa part que « le M26 a d’abord été un mélange politique, uni par un sentiment d’opposition à Batista, [avec prééminence de] la personnalité de son líder máximo et [un] verbiage anti-impérialiste commun à la plupart des mouvements politiques d’opposition en Amérique latine (…) ; avec la chute de Batista, le M26 a écarté ses alliés dans la lutte commune et a pris tout le contrôle politique et militaire » [33]. Au dire de la Ligue, la seule possibilité de réorienter et de contrer les intentions interventionnistes des Etats-Unis, et de l’URSS, était de radicaliser la Révolution en ses points cruciaux et de remettre le contrôle de l’économie au peuple, c’est pourquoi elle appela le peuple américain, le mouvement radical, ouvrier et libéral, à agir contre une intervention américaine sur le sol cubain [34].
La position de la Ligue avait été soutenue, quelques mois plus tôt, par la FAIC. Pour celle-ci, Cuba était sous la pression de deux impérialismes, les Etats-Unis et l’URSS. Du premier, elle dénonça son ingérence dans les affaires intérieures des pays américains afin de nier à Cuba son droit légitime à l’autodétermination, en ayant également recours à des organisations internationales comme l’OEA pour soumettre l’esprit du peuple cubain. C’est pourquoi elle appela ses camarades de toute l’Amérique à déclencher une campagne de clarification face aux événements politiques à Cuba, et les révolutionnaires cubains à étendre et à radicaliser la Révolution : « Exproprier tous les grands domaines, travailler et administrer la terre collectivement ; socialiser les moyens de production dans l’industrie ; contrôler le crédit par les organisations ouvrières, pousser à la participation démocratique des tendances socialistes, sans hégémonies et, surtout, empêcher la colonisation idéologique et politique que les bolcheviks veulent faire de la Révolution cubaine ; supprimer l’État, en démontrant par des faits qu’il est non seulement inutile, mais nuisible à la vie de la société » (FAIC, 1960, p. 11).
Face à la tentative d’invasion de Cuba, malgré l’attitude critique envers le régime cubain et son empreinte soviétique ; LP déclara qu’elle ne tairait pas sa « condamnation de l’attaque menée, non pas en vertu de ce que la lutte signifie pour les secteurs libéraux cubains, mais à cause de ce qu’elle implique comme alliance manifeste, financement de l’aventure et facilités de toutes sortes accordées par les entreprises capitalistes et le gouvernement américain lui-même » [35].

La révolution en débat
Dans la seconde moitié de l’année 1960, le Mouvement libertaire cubain en exil (MLCE) fut créé à New York par un groupe d’anarchistes cubains exilés. Ses tâches consistaient à faire connaître les politiques autoritaires du nouveau régime. Quelques mois avant la création du MLCE, des débats avaient commencé dans la presse anarchiste sur la signification et les projections de la Révolution cubaine en Amérique latine.

Le 20 août 1960, la Bibliothèque populaire José-Ingenieros organisa une table ronde sur « Les anarchistes et la révolution cubaine ». Les discussions mirent en évidence les aspects positifs du nouveau régime, on évoqua l’honnêteté administrative et l’opposition résolue au capitalisme international ; cela contrastait avec la domination totale des leviers du pouvoir par un groupe d’individus et son adhésion de plus en plus évidente au bloc soviétique dans sa politique internationale [36]. Lorenzo de Vedia, l’un des participants, affirma : « De notre point de vue, la Révolution cubaine a été frustrée par la tentative de la réaliser à partir de la structure de l’État » [37]. Luis Danussi parla de l’enthousiasme qui régnait dans le mouvement anarchiste face aux premières mesures prises, telles que l’attaque contre la corruption, les grandes propriétés terriennes et le démantèlement de l’armée, mais il nota : « Cette magnifique Révolution ne va pas être frustrée, elle l’est déjà abjectement par un certain nombre de facteurs. Au lieu d’être en voie de devenir une réalité, c’est déjà un État typiquement policier et totalitaire » [38]. Les réalisations de la Révolution n’ont pas été faites par le bas comme il convient à une révolution avec un cachet populaire, souligna Danussi, et il illustra son propos avec l’exemple de la réforme agraire, l’Etat naissant s’étant arrogé le pouvoir de répartir les terres, ce qui a entraîné une nouvelle forme d’exploitation, de contrôle et de surveillance [39].
La polémique suscitée sur le continent parviendra sur l’île et les libertaires cubains s’y mêleront avec une note parue dans Solidaridad Gastronómica et diffusée par la FLA en février 1961 ; l’information parue dans les publications du Mexique et d’Argentine y est approuvée, mais elle délégitimise celle parue dans Lucha Libertaria en Uruguay. Dans une circulaire interne de la FLA, les Cubains exprimèrent leur désarroi face à l’attitude de la presse libertaire uruguayenne, qui leur reprochait de ne pas donner, ni de traiter, les nouvelles les plus importantes et portant sur l’actualité du processus cubain. Ils critiquèrent la position de la presse uruguayenne, mais aussi la FAU et son soutien à Castro. Ils déclarèrent : « La position [des Uruguayens] nous semble absolument dépourvue de contenu en ce qui concerne les principes, les idées, leur position fausse, quand elle n’est pas démagogique, et nous le disons d’ici comme nous pouvons le dire et non pas comme nous voudrions le dire. La distance et même l’absence d’informations ne justifient pas non plus de ne pas adopter une approche plus réaliste de la situation cubaine, sur les plans politique, social et économique. Continuer à s’accrocher obstinément à cette chose terrible qui consiste à suivre des chemins rebattus ou de défendre un système politique sans se demander si la position adoptée à un moment donné favorise un régime pire que le précédent, c’est comme continuer à marcher les yeux bandés, ce qui empêche de voir la réalité cubaine telle qu’elle est (…). Beaucoup plus persuasive, positive et réelle est la position de La Protesta (…), ce que Lorenzo et Danussi ont exposé étaient des raisons frappantes et sans passion, qui peuvent fort bien servir d’exemple pour une discussion concernant les problèmes du continent américain et du monde (…), nous pouvons également mettre en évidence les positions de Reconstruir et Acción Libertaria, en Argentine, ainsi que la CNT au Mexique [référence ici aux journaux Tierra y Libertad et Solidaridad Obrera]. Leurs rédacteurs montrent qu’ils sont attentifs aux palpitations de Cuba et du continent, en gardant les pieds sur terre » [40].
Le désenchantement des anarchistes mexicains à l’égard du mouvement révolutionnaire cubain nous est offert par un débat dans les colonnes de Regeneration entre le militant Constante Alvarez et le chroniqueur Tariaco, à qui il a été reproché de ne pas être impartial sur les événements de Cuba et de signaler l’existence de persécutions, d’assassinats politiques et de terrorisme contre les opposants à Fidel Castro. Tariaco répondit : « Nous devons expliquer au camarade Alvarez que ces considérations sont des déductions des informations qui ne sont un secret pour personne et qui proviennent de là-bas même ; par conséquent, ce ne sont pas des affirmations gratuites. Nous aimerions que ne se produisent pas de réactions contradictoires au sujet de la révolution afin que nos ennemis n’en tirent profit pour justifier leurs critiques.Là où se cultive à l’excès le danger de la contre-révolution, les gens voient des ennemis partout, et une ère de dénonciations et d’outrages se déchaîne, qui débouche directement sur la contre-révolution elle-même. Les contre-révolutions ont rarement été cultivées à l’extérieur, mais au sein même des rangs révolutionnaires dans le but de la défendre. L’existence de prisons et de policiers qui persécutent dénote une ère de terreur, et les prisons ne cessent pas de l’être par le fait que l’on traite humainement les personnes privées de liberté » [41].
Contrairement à l’anarchisme mexicain et argentin où une position claire a été prise sur Cuba, en Uruguay un débat amer éclata et divisa la FAU. La Protesta entra dans une controverse avec cette Fédération et certaines publications anarchistes uruguayennes, comme Lucha Libertaria. Pour contextualiser le débat, LP reproduisit « les parties substantielles d’un manifeste » de la FAU, paru sous le titre Al replantearse la Revolución cubana, dans lequel la FAU énonce les conditions du maintien de son soutien à la Révolution, telles que le renforcement et l’indépendance des coopératives agricoles et industrielles, la remise de terres et d’armes aux paysans, aux travailleurs et aux étudiants pour empêcher la stagnation de la Révolution, éviter la bureaucratisation sans s’empêtrer dans la « démocratie représentative », conditions pour un soutien « tant qu’elle garantit les libertés publiques, le droit d’action, et tant qu’elle approfondit ses postulats sociaux d’humanisme et de liberté ; ce n’est que de cette manière que la Révolution sera plus forte » [42].
A ce qui était noté dans le manifeste s’ajoutèrent les positions prises lors d’une réunion informelle entre des militants de la FAU et de la FLA, où l’on se querella au sujet de la Révolution cubaine. Dans l’assemblée, les divergences entre les deux organisations spécifiques furent évidentes, et les positions de LPet du groupe éditeur de Reconstruir s’y ajoutèrent. Dans le « conclave », la FAU maintint le caractère positif de la Révolution cubaine, malgré le travers centraliste adopté et la présence active des communistes, tandis que les Argentins restèrent fermes en considérant le processus comme une révolution frustrée par le fait que les conquêtes sociales étaient dues à l’État et au « groupe juché au pouvoir ». Les divergences furent révélées par LP, qui déclara : « Accepter comme une chose naturelle le droit des autres camarades à exprimer publiquement leurs opinions dissidentes n’a pas vacillé. En cette époque où la discipline de parti, le monolithisme de parti et de la raison de la majorité sont devenus des fétiches, nous avons une fois de plus affirmé notre conception de la liberté inébranlable de chaque individu d’avoir ses propres points de vue » [43].

Bien que les organisations organiques du Mexique et d’Argentine aient averti, à partir de 1960, du tournant opéré par la Révolution cubaine, des individualités libertaires des deux pays n’étaient pas convaincues de ce tournant ; par conséquent, la presse anarchiste a ouvert ses colonnes aux différences et aux débats sur des questions d’intérêt théorico-pratique, afin de démontrer l’ouverture de la pensée libertaire, niant ainsi le monisme idéologique. Dans LP, parut une lettre adressée au directeur de la publication, signée L. Ramírez, prétendant être un vieux militant et que sa position ne lui était pas particulière, mais reflétait celle d’un groupe nombreux de camarades basés en Argentine, en Uruguay et au Chili, qui identifiaient le langage de LP comme étant le même que celui de la bourgeoisie par rapport à Cuba [44].
Un autre cas encore plus aigu de ces désaccords fit suite à une circulaire émise par Carlos M. Rama, qui publia deux textes dans Cenit [45] mettant en évidence les aspects positifs de la Révolution. La circulaire de Rama provoqua une réunion élargie du groupe éditeur de La Protesta pour discuter des réalisations « positives » de la Révolution, mais passées en revue de façon critique à partir des principes anarchistes. Parmi elles, étaient soulignées : la suppression de l’armée et la création de milices populaires, ce qu’ils ne considéraient pas comme un acquis car au-delà du nom il s’agissait d’une véritable armée organisée hiérarchiquement ; la liquidation de la grande bourgeoisie ; la disparition des organes répressifs, qui était contestée car on connaissait l’existence d’un appareil policier et parapolicier assez étendu, comme la Police nationale révolutionnaire, le Département technique d’investigation (DTI) et la Police politique (G-2), en plus des comités de vigilance révolutionnaire qui, même s’ils étaient qualifiés de révolutionnaires, n’étaient pas dépouillés de leur fonction répressive ; la suppression des « vices sociaux » ; la diminution du chômage, la fin de la dépendance nord-américaine ; sur la croissance économique et l’augmentation de la production, ils affirmèrent que rien ne pouvait encore être assuré sur si peu de temps et en raison de la rareté des sources fiables ; le plan sur le logement et l’alphabétisation ; le processus d’industrialisation et la réforme agraire [46].
Le dernier point est le plus intéressant car un anarchiste, Augustin Souchy, s’était rendu à Cuba et avait élaboré un rapport sur l’économie révolutionnaire, les coopératives, les collectivisations et la réforme agraire, ce qui permit aux anarchistes d’avoir une information de première main. Ainsi, en discutant la question de savoir s’il y avait une participation populaire dans les organismes publics, politiques, économiques et sociaux, ils indiquèrent qu’« un camarade qui était à Cuba, étudiant le problème agraire, a déclaré qu’une telle participation n’existait pas, bien qu’il ait eu l’impression qu’il y avait une intention d’impliquer la population, dans certaines limites. La preuve de la validité de cette appréciation fut apportée par les critiques que le « Che » Guevara fit contre la faiblesse de l’enthousiasme des coopérativistes » [47].
Le travail de Souchy consistait à faire le bilan de l’état de l’agriculture cubaine et la manière dont elle pourrait être améliorée à court terme. Le modèle analytique utilisé fut le même que celui qui avait servi à étudier les kibboutz israéliens, les terres communales mexicaines et les collectivités espagnoles pendant la guerre civile. L’analyse ne plut pas aux autorités cubaines, le rapport fit l’objet d’un veto et Souchy fut accusé d’être un contre-révolutionnaire [48].
Le travail de Souchy reflète la position libertaire à l’égard du processus cubain et met l’accent sur l’abnégation du peuple et le travail constructif comme l’édification de maisons, d’écoles, de centres de santé et la réforme agraire. Il soulignait également l’exigence de justice sociale, le changement de la structure économique visant à supprimer les privilèges de quelques-uns aux dépens d’une majorité souffrante, le rejet de l’impérialisme et des monopoles comme des questions enracinées parmi les classes inférieures et chez les intellectuels d’Amérique latine, causes pour lesquelles la Révolution suscita tant d’espoirs, tout en reconnaissant cependant qu’un an et demi après le triomphe tout n’était pas positif, créatif et authentiquement révolutionnaire.
Les erreurs observées par les anarchistes ne relevaient pas, comme le soulignait Souchy, des défauts et des contradictions qui se manifestent en toute révolution. Là où les anarchistes mirent en garde contre le plus grand danger fut « l’idolâtrie du mouvement à cause des conceptions politiques, de l’esprit et des tactiques qui animaient les « chefs » » (Souchy, 1960, p. 7). Loin de nier l’existence d’une réaction puissante et disposée à participer à une intervention avec l’appui des Etats-Unis, les anarchistes étaient conscients du danger et des menaces qui pesaient sur la Révolution, venant de ceux qui voulaient récupérer leurs privilèges perdus ; mais Souchy avait raison de souligner que les risques n’allaient pas être évités avec la suppression des libertés ni avec la persécution des combattants sociaux d’une rectitude révolutionnaire avérée. Il se manifesta ainsi : « Ces procédures totalitaires, qui éliminent tout principe de liberté et d’autodétermination pour les travailleurs et les paysans eux-mêmes à qui on dit vouloir les émanciper, suffisent à révéler l’orientation et la finalité des dirigeants cubains actuels. Il suffit pour cela de prendre en compte le sens de leur politique étrangère, liée sans la moindre réserve au bloc soviétique. Il suffit d’observer ce qui se passe à l’intérieur du pays, où tout marche vers une étatisation galopante (…), où toutes les activités sont soumises à une direction de fonctionnaires, qui répondent aux consignes d’un parti unique » (page 7).
A la suite du travail de Souchy, les débats sur Cuba au sein du mouvement libertaire s’envenimèrent, notamment avec la circulaire de Rama, qui était adressée à Gaston Leval et Augustin Souchy. Gaston Leval se sentit obligé de répondre à la circulaire de Rama, dans laquelle ce dernier affirmait : « Dans sa lutte acharnée contre le communisme russe, on peut expliquer que Gaston Leval chante les louanges de la philanthropie des trusts sucriers américains sur l’île des Caraïbes, comme Augustin Souchy l’a fait pour la United Fruit »[49]. La réponse de Leval commence par reprocher la distorsion de la pensée et des écrits de Rama ; tout d’abord, lui comme Souchy, soutenait-il, n’ont jamais chanté ou ne chanteraient les louanges des trusts américains en raison de leurs attaques contre le totalitarisme russe, ajoutant : « Il ne découle pas de mes critiques que la lutte contre ce totalitarisme nous conduise fatalement à défendre l’impérialisme nord-américain. Il ne s’ensuit pas non plus qu’il ne faudrait pas combattre un tel totalitarisme au risque de faire le jeu d’un autre impérialisme. Cette affirmation n’a rien d’originale, elle est répétée par les communistes depuis quarante ans » [50]. Il réitéra ses propos, publiés dans la presse anarchiste française, et affirma que la critique d’un régime ne signifiait pas un soutien à l’autre camp, mais être cohérent avec les principes en tant qu’anarchistes , les faits mis en évidence, tant par Souchy que par lui, étant du domaine public et non des inventions. Leval, cependant, concédait que Rama avait raison lorsque ce dernier soulignait la crise de l’anarchisme en raison de son manque de dynamisme et de réalisme, mais cela ne signifiait pas, répondait Leval, adhérer ou ressentir de la sympathie pour un régime émule du système soviétique, la circulaire de Rama reprochant aux anarchistes de ne pas adhérer au régime « castro-communiste ». Leval répondit à cela en évoquant le raffinement des formes oppressives et répressives du régime de Castro ; et, en tant qu’anarchistes, la responsabilité était de garder intacts les piliers de l’idéal libertaire : l’anti-autoritarisme, l’anti-étatisme et l’anticapitalisme, et, autour d’eux, de faire de nouvelles propositions. Leval concluait : « L’anarchisme s’est ankylosé. Certains d’entre nous le reconnaissent et cherchent à fournir des analyses, des idées nouvelles et complémentaires pour orienter la réflexion et l’action. Mais nous avons aussi appris, depuis 1917, que les pires formes d’esclavage peuvent être enveloppées dans des promesses de libération des plus attrayantes et que le monde d’aujourd’hui est menacé par elles. C’est là le combat le plus urgent » [51].

À la circulaire de Carlos Rama, et à la réponse de Leval, vint s’ajouter un texte de Victor García dans lequel l’auteur soutint que le « virage dangereux » pris par le régime cubain n’échappait à aucun anarchiste, notamment parce que pour les anarchistes il montre « chaque fois avec plus d’insistance un parallélisme très significatif avec le virage pris par la révolution russe en 1917 et dans les années suivantes » [52], se référant aux espoirs semés par le mouvement de 1917, chaque nouvelle étant un motif de joie et d’allégresse pour le prolétariat du monde entier. Cependant, les premiers travaux racontant le sort des soviets, la Makhnovtchina et Cronstadt dénoncèrent les mesures prises par les communistes pour anihiler la poussée des travailleurs et bureaucratiser la révolution, l’amenant dans les ornières où elle a pris fin. Il soulignait : « L’allégresse éclata le 1er janvier 1959 lorsque Batista a fui l’île qu’il avait transformée en humiliante tyrannie et nous, révolutionnaires du monde, pouvions également ressentir la joie de voir une armée mercenaire renversée, des casernes converties en écoles, la promesse d’une réforme agraire, l’expropriation des monopoles et des grands propriétaires terriens, l’interdiction des jeux de hasard et de la loterie. Pour beaucoup, l’optimisme était irrésistible et nombreux étaient les camarades qui, depuis la tribune et dans les colonnes de la presse, ont consacré les meilleurs éloges à la Révolution cubaine » [53].
Garcia approfondit la controverse déclenchée au sein de l’anarchisme au sujet du processus cubain, reconnaissant que c’était surtout des individualités qui soutenaient Castro, à l’exception de la FAU, seul alliée spécifique de Castro et de son régime. Attribuant cette attitude au manque d’informations vérifiables sur la situation à Cuba, il soulignait la confusion semée par les rumeurs sur un possible cas d’interdiction des publications El Libertario et Solidaridad Gastronómica ; mais ensuite furent indiquées, dans une circulaire de Solidaridad Gastronómica, les raisons de sa suppression, due au fait que la publicité pour les boissons alcoolisées avait été interdites sur ordre du régime révolutionnaire, éliminant ainsi la source de revenus de la publication. La circulaire à laquelle se réfère García évoque Solidaridad, et non El Libertario,mais un autre communiqué confidentiel informa de la cessation du mensuel en raison de problèmes économiques.
Le rapport d’un délégué de la CNT d’Espagne en exil, chargé de se rendre sur l’île pour se rendre compte de la situation sur place, en est venu à approfondir davantage les divergences sur les anarchistes et la Révolution cubaine. Le communiqué soulève un certain nombre d’objections envers la position anarchiste et d’autres sont confirmées ; cependant, celui qui reçut et informa le délégué de la CNT fut Manuel Gaona, militant anarchiste passé au castrisme et qui avait diffusé une Aclaración y declaración a los anarquistas (voir note 1), délégitimant et diffamant ses anciens camarades du MLC, qui étaient alors déjà partis pour l’exil. Le rapport souligne, tout d’abord, la petite taille de l’ALC, affirmant qu’avant le triomphe de 1959 ses membres n’atteignaient pas la centaine, et qu’au moment de la remise du rapport une douzaine soutenaient Castro et cinq autres étaient engagés dans d’autres activités ; il assure également « qu’il n’y avait pas de répression contre les anarchistes, que la presse circulait sans problèmes » [55].
Une chose symptomatique dans le rapport du délégué de la CNT réside dans sa similitude avec les points du document Gaona, par exemple là où il était noté : « Il est vrai qu’on observe un grave danger pour certains camarades. Ce danger, cependant, n’est pas dû à leurs activités spécifiquement anarchistes, mais à leur agissement au côté des contre-révolutionnaires, c’est-à-dire des partisans d’un retour à la féodalité des potentats et donc à l’asservissement du peuple cubain. » Le rapport commente l’action des communistes pour prendre le contrôle des syndicats, mais il doute qu’ils parviennent à éclipser la figure de Castro. Il ajoute également la crainte manifeste, chez les anarchistes de la CNT, d’être persécutés et emprisonnés comme en Russie ou en Espagne, raison pour laquelle ils souhaitent quitter l’île et, souligne le délégué, « ils ont la garantie que, au moyen d’une liste, tous les camarades qui souhaitent partir pourront le faire, une ambassade ayant engagé sa parole » [56]. Malgré ce qui précède, le rapport se contredit lorsqu’il assure en son cinquième point : « Il est certain qu’au moment de l’invasion par des éléments à la solde des Yankees, le secrétaire de la section de la CNT et huit autres camarades espagnols et autochtones ont été détenus (…), le délégué prétend que cela est dû à la confusion régnante » [57]. La réalité, loin de ce qui est affirmé dans le rapport, est que les prisonniers furent condamnés à plusieurs peines de prison et que deux d’entre eux ont été fusillés (voir note 70). Le rapport se termine par la déclaration suivante : « Le délégué affirme qu’il n’y a pas de révolution sociale ou libertaire mais que le paysan n’est plus la bête que les féodaux malmenaient. Les travailleurs de la campagne en ont tiré un bénéfice moral et économique. Les cases disparaissent pour faire place à des maisons où règnent l’hygiène et le confort. Les bénéfices des coopératives sont destinés à aider d’autres coopératives économiquement faibles ou à en créer de nouvelles. Ils sont en train d’industrialiser le pays. Ils sont armés jusqu’aux dents » [58].

D’après ce qui s’est passé par la suite, la nullité de ce rapport est évidente. La position anarchiste est restée ferme dans son opposition à Castro, en partie parce que les déclarations du communiqué du délégué restaient très communes, mais aussi grâce à l’existence d’un deuxième rapporteur nommé Antonio, qui remit de nombreuses informations au groupe anarchiste Tierra y Libertad, membre de la FAM. Lequel niait, dans ses écrits, ce que le délégué de la CNT avait signalé.
Cependant, le rapport circula dans les milieux anarchistes, servant de base à ceux qui se positionnèrent en faveur du régime castriste. Par exemple, dans le cadre des débats sur le processus cubain, LP mit en avant la position de la FAU sur Cuba. En avril 1962, ce groupement adopta, lors de sa session plénière ordinaire, une résolution d’adhésion indéfectible au principe d’autodétermination de tous les peuples, quel que soit leur système social, vis-à-vis de toute puissance – démocratique ou communiste. En conséquence, ils ratifièrent leur position anti-impérialiste et de défense de la Révolution, qui avait conquis la démocratie directe, érigé des coopératives, des comités d’entreprise, des milices populaires, et rendu praticables des postulats humanistes et socialistes ; cependant, ils reconnaissaient que les déclarations de Castro du 1er décembre 1961 sur la création du Parti unique et le climat d’intolérance idéologique « constituent une déviation desdits postulats. Ces déviations sont un obstacle à la construction du socialisme » [59].
Le débat sur Cuba et la position anarchiste parvint à un niveau assez violent en Uruguay, au point que la FAU connut une rupture. Deux blocs en sortirent, l’un où prévalait la structure organique de la FAU et l’autre, sous le nom d’Alianza Libertaria Uruguaya (ALU), avec Luce Fabbri comme principale figure. Ce groupe assuma la même position que la presque totalité des anarchistes et publia un manifeste défendant l’autodétermination, comprise, contrairement à la définition de la FAU, non seulement comme une position des peuples pour décider de leur sort vis-à-vise de l’extérieur mais aussi en ce qui concerne les relations internes…
« Chaque peuple doit pouvoir « s’autodéterminer » par rapport à tout gouvernement local ou étranger. Là où il n’y a pas de liberté de parole, de presse, de manifestation et de grève, là où il n’y a pas d’autonomie universitaire ni syndicale, on ne peut pas parler d’autodétermination (…). Ces libertés « formelles », acquises au prix de tant d’efforts révolutionnaires, ne sont pas suffisantes, mais nous savons aussi qu’une plus grande liberté d’ordre économique et social ne peut être obtenue en supprimant les premières (…) [pour cette raison], l’émancipation économico-sociale des peuples d’Amérique latine ne doit pas être conditionnée par le soutien ou la pression d’un bloc impérialiste particulier » [60].
Luce Fabbri, se souviendra plus tard de la rupture au sein de la FAU et du vif débat sur la question cubaine : « … la Révolution cubaine est arrivée, il me semble, en 59… alors, au début, eh bien, la solidarité avec Cuba, mais j’étais inquiète parce que j’avais parlé à Santillan, je suis allé en Argentine à ce moment-là, dans ces journées de la Révolution cubaine, quand la guérilla est descendue des montagnes et a pris la capitale et que la révolution a triomphé, ces jours-là j’étais en Argentine et je parlais avec Santillan, qui disait : “Tout va très bien tant que Fidel Castro ne prédomine pas” ; il disait : “c’est un mégalomane, très dangereux”, bon, et comme Fidel Castro a prédominé… j’ai été inquiète dès le début et très vite les nouvelles de persécution des camarades sont arrivées (…) puis il y a eu le coup d’État communiste, au début… le 26 juillet c’était… le mouvement (…) avait… [un] programme de grande liberté, alors bon tout va bien, mais à un certain moment Castro s’est déclaré communiste socialiste léniniste et le Parti a prévalu sur l’île. Il a organisé un coup d’État dans les syndicats, éliminant la commission élue par les travailleurs et la remplaçant par tous les communistes, et, enfin, les persécutions ont commencé, surtout contre les trotskistes et les anarchistes, de très, très mauvaises nouvelles ont commencé à arriver et nous avons alors proposé (…) je suis arrivée à la réunion de la FAU et j’ai dit que je proposais que la FAU émette un message de solidarité avec nos camarades emprisonnés à Cuba… Ils se sont levés et ont dit “comment nous pourrions faire ça, perturber le climat de la révolution”, l’unité révolutionnaire, alors mon camarade [Ermacora] et moi nous sommes partis, j’étais la première, un mois plus tard les autres qui étaient sur la ligne libertaire sont partis (…) bien, à partir de là, en 61… en 62, nous avions la FAU d’un côté et l’ALU de l’autre »[61].
Comme je l’ai mis en évidence, ce furent des individualités anarchistes, à l’exception de la FAU, qui se montrèrent en désaccord avec la position « majoritaire » sur la Révolution cubaine. Par exemple, une lettre envoyée à LP par « un camarade » qui remettait d’abord en question la position du journal sur Cuba et l’importance donnée aux nouvelles fournies par le MLCE, toutes négatives sur le processus cubain, comme le cas des anarchistes emprisonnés et fusillés, dont un paysan de 17 ans. Il faisait d’autre part référence au journal Lucha Libertaria, où des commentaires en faveur de la la question cubaine étaient publiés, et demandait à ce qu’ils le soient dans LP. Enfin, il leur reprochait de ne pas bien informer sur les personnes fusillées à Cuba, appelées camarades, mais qui travaillaient contre la Révolution de manière coordonnée avec des groupes capitalistes [62]. LP répondra en mettant l’accent sur la question des exécutions, car apparemment « un camarade »avait pris cela à la légère et parlé de mélodramatisation concernant la nouvelle de l’assassinat d’un adolescent de 17 ans [63].
La lettre parue dans LP méritait la réponse de Jacobo Prince. Dans sa réponse, Prince soulignait le caractère révolutionnaire des anarchistes face aux tyrannies, et c’est pourquoi sa sympathie allait aux anarchistes cubains contre le nouveau régime, mais cela n’éludait rien et n’empêchait pas d’être objectif : « Le fait qu’après des expériences historiques aussi vastes et répétées nous devions insister sur des considérations de ce genre pour ceux qui se disent et se croient libertaires, est plus que lamentable. Il ne fait aucun doute qu’une certaine mode intellectuelle – « gauchisme à outrance » – et le chantage bolchevique, selon lequel celui qui est contre le type de dictature représenté par ce secteur est un « réactionnaire », influencent certaines positions qui, d’un point de vue libertaire, me semblent être une aberration (…) lorsqu’il s’agit de justifier l’exécution d’adolescents, sur la base de nous ne savons quelle information « objective ». Cela signifie, entre autres, qu’en matière de points de vue sur révolution, dictature, etc., nous devons insister une fois encore et cent fois plus sur des concepts que nous pensions définitivement établis dans notre mouvement et qui immunisent contre ces regrettables confusions » [64].
Les colonnes de la presse écrite mexicaine se distinguèrent par leur position intransigeante envers le système dirigé par Castro. Pour clarifier la question et éviter les « déviations », comme cela se produisit avec la FAU, l’organe de la FAM publia une série de textes du poète José Muñoz Cota, l’un des plus illustres critiques du régime issu de l’insurrection cubaine, qui, dans sa chronique de Regeneración, exprima son désenchantement mais évoqua également les conséquences possibles pour l’Amérique latine de l’ingérence impérialiste de l’URSS, comme l’intensification de la politique répressive des États-Unis [65]. Muñoz Cota affirmait : « S’opposer fermement à la politique répressive des gouvernements qui invoquent la sécurité nationale, le danger communiste, les menaces de subversion ou tout autre processus, afin de limiter, restreindre ou annuler les libertés et les droits qui sont indispensables pour que le peuple puisse se défendre face aux agressions totalitaires, aux injustices économiques et aux abus gouvernementaux ; de plus, c’est avec ces politiques que se fait le jeu des éléments totalitaires, qui spéculent sur le martyrologe et la dissimulation de leur véritable puissance, sans pour cela cesser d’agir en utilisant toutes leurs ressources d’infiltration et d’influence [66].
Cosme Paules, un Cubain exilé au Chili, s’exprima dans le même sens : « Lorsqu’en Amérique latine le prolétariat s’est réveillé de sa longue somnolence et a peu à peu démontré être dans les conditions préparées par un Martí, un González Prada, un Flores Magón (…) les nouveaux dictateurs de Cuba ont remporté la première bataille contre le soulèvement protestataire des esclaves d’Amérique. L’histoire dira dans quelle mesure cette action réactionnaire a détruit les possibilités d’avancement du prolétariat dans cette partie du monde » [67].

C’est également Muñoz Cota qui analysa le mieux, en détail, le développement du processus cubain dans une perspective libertaire. Dans son article « Notre distance par rapport au régime cubain », il dénonçait l’inimitié et la rivalité entre Castro Ruz et Batista apparues lorsque Batista abandonna sa vie de révolutionnaire, inaugurée contre une dictature ; Batista est alors devenu un dictateur avec lequel aucun homme libre n’aurait pu être d’accord. Il poursuivait en disant que même si Castro Ruz n’avait pas la sympathie des États-Unis, il avait eu leur approbation, bénéficiait d’un soutien universel et le peuple cubain plaçait ses espoirs en lui. Castro Ruz avait réussi à renverser Batista sans grands faits d’armes majeurs, et il ne s’était pas déclaré communiste ou, s’il l’était, il l’avait bien caché. De plus, vint la lune de miel avec les États-Unis, refroidie par la discussion sur la question des quotas de sucre. Les Nord-Américains se trompèrent dans leur politique internationale et méprisèrent, par manque d’objectivité, Castro Ruz. Cela a bénéficié à… « … la Russie, qui a compris l’importance de ce moment et des riches possibilités qui se sont ouvertes lorsque Castro a rompu avec les États-Unis. Il y eut alors encore un temps où Castro flirta avec les deux. Puis il y eut la rupture et Castro Ruz a commencé sa soviétisation (nous disons “soviétisation” parce que nous ne trouvons pas d’autre mot juste, nous savons qu’en URSS il n’y a plus de soviets, qui ont été remplacés par la centralisation d’un unique parti de type totalitaire) » [68].

Répression et solidarité
En janvier 1962, la position anarchiste sur la Révolution cubaine était bien définie. Ceux qui doutaient encore purent voir les rapports provenant de l’île et les témoignages d’exilés cubains (comme ceux d’Abelardo Iglesias, parus dans Reconstruir, et Casto Moscú dans Tierra y Libertad). Par le MLCE et les exilés espagnols, l’anarchisme latino-américain fut informé de l’emprisonnement de plusieurs de ses camarades pour désaccord avec le régime instauré dans leur patrie. Une liste de militants emprisonnés fut diffusée, parmi lesquels Luis Miguel Lisuaín, Antonio Dagas et José Aceña [69]. Les libertaires de Buenos Aires, en apprenant le sort de leurs « frères d’idées », réactivèrent ou renforcèrent leurs organismes d’aide internationale, en particulier Solidarité Anarchiste Internacionale (SAI), fondée en décembre 1947. Elle se chargea d’atténuer, modestement, la situation difficile de leurs camarades cubains. Les actions de SAI furent variées, elle mena une campagne d’agitation dans le but de dénoncer l’arbitraire commis à l’encontre des dissidents cubains, elle édita des bons de solidarité et envoya de l’argent au MLCE [70].
Ce qui précède est un exemple qui va à contre-courant de ce que Frank Fernández soutient quant à l’abandon du mouvement anarchiste international envers les anarchistes cubains. Cela est encore plus évident après avoir examiné le numéro 8084 de LP, qui offre un aperçu de la position des anarchistes de l’hémisphère occidental sur le processus cubain [71]. Le journal rend compte de la position prise par un groupe d’anarchistes réunis à Genève pour célébrer le 90e anniversaire du congrès de Saint Imier. Le quatrième accord de cette réunion manifeste : « Les participants à cette réunion déclarent leur solidarité avec tous les peuples et tous les mouvements qui luttent contre l’oppression et les régimes dictatoriaux ; ils soutiennent toutes les luttes populaires qui ont pour objectif d’abolir l’exploitation, l’autoritarisme et le militarisme (…). Ils soutiennent en particulier la lutte des peuples ibériques, les peuples slaves et le peuple cubain contre la nouvelle dictature, ainsi que tous les peuples qui luttent pour une véritable liberté » [72].

La déclaration fut signée par les représentants du mouvement anarchiste de Belgique, de Bulgarie, d’Espagne, de France, de Suisse et d’Italie. Pour sa part, la revue Volontàrédigea une déclaration pour rectifier ses premières impressions sur le processus cubain, déclara que, face aux événements de Cuba, le ML était parvenu à un consensus sur sa position, qui doit être sans équivoque, précise et claire. Volontà affirma : « Si nous nous sommes laissés aller à des hésitations face aux nouvelles diverses et contradictoires qui pouvaient être captées au début du mouvement révolutionnaire, si, en conséquence, il était licite d’avancer des points de vue (…) aujourd’hui, une fois passée l’impression enivrante, nous ne pouvons plus nous tromper lorsque nous affirmons que la Révolution cubaine subit une involution autoritaire dont beaucoup de nos camarades sont témoins et victimes » [73].
La seule position à assumer pour les anarchistes, écrit Volontà, est celle de la critique frontale et de la condamnation catégorique du régime castriste ; cependant, avertissaient-ils, tout comme ils sont ennemis du régime castriste, ils restent les adversaires de Kennedy et de sa politique anticubaine (et non anticastriste) par laquelle il entend reconquérir l’île afin de restituer des privilèges aux capitalistes nord-américains. L’Agitazione del Sud, de Sicile, adopta une position similaire ; alors que les libertaires de Carrare, d’après une chronique publiée dans Umanita Nova, participèrent à une assemblée populaire pour débattre et protester contre le blocus imposé à Cuba, Alfonso Failla fut invité à prendre la parole. Il critiqua le tournant pris par la révolution et argumenta : « Les anarchistes protestent contre tous les facteurs de guerre et pour cela contre le blocus américain envers Cuba et, en même temps, renouvellent leurs protestations contre la détention par le gouvernement de Fidel Castro de leurs camarades qui souffrent d’emprisonnement (comme sous la dictature de Batista), pour la cause de la liberté effective et de l’autodétermination du peuple travailleur cubain » [74].
Afin de réaffirmer sa position et de faire connaître le sort de ses « frères d’idées », LP reproduit la partie la plus substantielle d’un rapport présenté par le MLCE au 5e congrès de la FLA. Dans ce rapport, un bilan des activités anarchistes et des batailles livrées depuis la dictature de Machado jusqu’à l’ascension du communisme à Cuba est dressé. Le rapport donne « une longue et tragique liste de précieuses victimes » [75]. Il évoque également la participation des libertaires aux moments décisifs de la lutte contre Batista, de l’assaut de la caserne Moncada à celui du Palais présidentiel, le 13 mars 1957, dans les villes et dans les montagnes, en particulier à Escambray. Malgré leur attitude révolutionnaire, les autorités ont lancé une campagne de discrédit, de calomnies et de persécution contre les anarchistes, dit le rapport, dans la mesure où les anarchistes ne se sont pas joints « au chœur des adulateurs du líder máximo et de la nouvelle oligarchie gouvernante ». Le MLCE affirmait « On peut nous reprocher, comme cela a été fait, de n’avoir pas informé le mouvement international sur la situation réelle existante à Cuba dès le moment même où nous avons perçu clairement la trajectoire dictatoriale et totalitaire du nouveau régime, ainsi que sur les persécutions dont ont été victimes nos militants à partir de l’instant précis du triomphe de la révolution. Nous acceptons la critique fraternelle en ce sens, mais nous tenons à déclarer solennellement que cette attitude a été le produit d’une décision délibérée, car nous n’avons pas voulu que la critique libertaire soit confondue avec la critique réactionnaire à laquelle se livraient alors les représentants du régime renversé » [76].

Si la préoccupation de l’anarchisme consista, poursuit le rapport du MLCE, à définir la lutte contre le régime « castro-communiste » sans faire le jeu de la réaction, cette préoccupation était partagée, soulignant l’opposition des anarchistes des Antilles, qui jamais n’établirent aucun accord pouvant hypothéquer l’indépendance du mouvement. Ils appelèrent donc à la constitution d’un bloc de gauche comme contrepoids au pouvoir de Castro, reconnaissant l’impossibilité de renverser le nouveau régime en raison du soutien militaire reçu de l’URSS [77]. Des accords conclus par le 5e congrès de la FLA se détache ceci : « Le Congrès de la FLA rejette le régime totalitaire qui prévaut à Cuba et exprime sa solidarité avec le peuple cubain qui lutte pour sauver sa révolution trahie par le castro-communisme. De la même manière qu’elle rejette les forces régressives à l’intérieur et à l’extérieur de Cuba, qui luttent pour « résoudre » la situation en rétablissant les privilèges justement supprimés lors de la première impulsion révolutionnaire et en enchaînant le peuple à un régime régressif qui ne ferait que changer le visage du despotisme » [78].
La FAM a également exprimé son soutien aux anarchistes et son rejet du castrisme. Lors de son VIIIe Congrès national [79], tenu en juillet 1962, la question cubaine a été traitée comme un thème majeur avec la participation de Juan Ramón Álvarez, délégué du MLCE [80]. La révolution cubaine, argumenta Álvarez, a ouvert les portes de l’Amérique latine à l’expansion d’un climat d’insécurité par le fait qu’une dictature de type marxiste a été établie dans le pays, mettant fin aux libertés réduites du peuple cubain. La révolution à Cuba, a-t-il poursuivi, de type populaire, avait pour objectif de mettre fin à la dictature de Batista et d’établir un changement dans les conditions sociales et économiques du pays, mais malheureusement les communistes ont réussi à imposer leur système d’oppression [81].

Alvarez déclara qu’en tant qu’anarchistes ils étaient partisans de la liberté et ne pouvaient lutter contre le peuple cubain, puisque ce dernier avait le droit de modifier son système de vie dans la recherche d’une véritable amélioration ; mais ils lutteraient contre ceux qui ont fait de l’effort de ce même peuple saigné à blanc pour parvenir à sa libération quelque chose de négatif et de contre-productif. Rappelant qu’au début de la révolution à Cuba, le MLC est monté au front en occupant des positions définies, et que de nombreux camarades se trouvaient dans la Sierra Maestra, combattant pendant des années contre le dictateur dans tant d’autres villes et villages, ils ont développé des tâches visant à saper la dictature sans épargner aucun effort et en exposant leur vie [82].
A l’issue du VIIIe congrès de la FAM, un communiqué envoyé par Casto Moscú sur les conditions du militantisme libertaire à Cuba a été lu. Le rapport commence par une dénonciation du gouvernement révolutionnaire dirigé par les frères Castro, Guevara et d’autres personnages, qui éliminèrent tous les hommes et secteurs ayant combattu contre Fulgencio Batista et qui pouvaient être un obstacle à leurs plans. Il plaidait pour qu’on n’oublie pas la complicité des communistes avec Batista, à travers leur participation à son gouvernement, de telle sorte qu’ils furent d’abord opposés au mouvement révolutionnaire, puis, se voyant relégués, s’immiscèrent au sein de la Révolution pour en tirer profit. Lorsque la Révolution, assurait Moscú, fut couronnée de succès, les communistes changèrent d’idées et prirent possession des postes clés, déterminant finalement toute la politique du régime cubain. Les communistes, note le rapport, persécutèrent, emprisonnèrent et punirent ceux qui s’opposaient à eux, imposant des réductions de salaire ; le seul parti politique reconnu fut le Parti socialiste populaire, jusqu’au décret de création du Parti unique et avec lui l’extinction définitive de ce qui restait du M26 et des organisations révolutionnaires intégrées. Il concluait : « Castro et sa clique ont imposé un régime de terreur pour liquider physiquement ceux qui n’acceptaient pas l’ingérence communiste et ont proclamé : “tout anticommuniste est un contre-révolutionnaire” » [83].

Conclusions
Tout au long du présent travail, il a été démontré comment les groupes anarchistes d’Amérique latine ont réagi face à la Révolution cubaine, quelle était leur position lors de la geste des guérilleros de la Sierra Maestra, puis lors du triomphe, et quelle était leur projection du régime établi dans ce qu’on appelle la perle des Antilles. On a montré comment le mouvement libertaire passa d’une position à une autre en très peu de temps et, par là, il est apparu que la thèse de Frank Fernández manque de fondement pour être soutenue. Les anarchistes du continent ont alerté très tôt du tournant autoritaire de la Révolution, ils le dénoncèrent et montrèrent leur solidarité avec leurs camarades de l’île. Non seulement cela, mais dans aucun des journaux analysés il n’est fait référence au document Gaona. De plus, le débat entre anarchistes montre le rejet quasi unanime de Castro et de sa clique. Il reste à approfondir, dans l’étude de ce thème, quelle fut la position des anarchistes des Caraïbes et quel a été l’impact réel de la Révolution sur le mouvement libertaire occidental.

Eduardo Daniel Rodríguez Trejo

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[1] Dans ce document, ceux qui y souscrivent – au dire de Fernández – l’ont fait sous la contrainte et ignorent toute persécution ou arrestation de libertaires. Il est affirmé que la campagne pour les prisonniers cubains est une croisade insidieuse, car « il n’y a pas un seul camarade dans toute la république qui soit arrêté ou persécuté pour ses idées, il est donc impératif de clarifier de quelles sources proviennent les informations qui affirment le contraire et quelle destination sera donnée à l’argent recueilli au Mexique pour ces prisonniers et persécutés imaginaires ». Dans un deuxième point, l’existence de persécutions politiques, idéologiques ou religieuses est niée catégoriquement , en assurant que les seuls prisonniers sont les mercenaires de Playa Giron. Il affirme que la totalité de la militance libertaire à Cuba est intégrée dans les divers organismes des milices nationales révolutionnaires , et le document se termine en alertant « les camarades du mouvement libertaire du Mexique, de l’Amérique latine et du monde, et les camarades espagnols exilés en Amérique, afin qu’ils ne soient pas surpris par les informations mal intentionnées et mensongères qu’ils reçoivent de ceux qui, au service de la contre-révolution cubaine, consciemment ou inconsciemment, sont déterminés à rester sourds et aveugles aux réalités et aux réalisations de la plus progressiste, démocratique et humaniste des révolutions de notre continent » (Gaona Sousa, 1961).
[2] Rodolfo Aguirre, « La rebelión cubana », Regeneración (Mexique), juillet 1957.
[3] Ibid.
[4] « Conferencia Anarquista Americana », Solidaridad Obrera (Paris), 15 août 1957.
[5] « Conferencia Anarquista Americana », Solidaridad Obrera (Paris), 12 septembre 1957.
[6] Peut-être à cause du temps écoulé, Alberola fait chevaucher les dates. Le seul événement présentant de telles caractéristiques, décrit par la presse anarchiste, est celui organisé par les Jeunesses antifranquistes en avril 1957, dans les locaux du Syndicat mexicain des électriciens. David Díaz de la Rocha, étudiant cubain membre du M26, participait à cet événement et « demanda de l’aide pour les étudiants de Cuba qui, fidèles aux idéaux de José Martí, sont massacrés par les sbires de Batista » (« Mitin por la Libertad… », Solidaridad Obrera, Paris, 16 mai 1957). Dans une autre chronique, il était dit : « David Díaz, avec la fougue de cette jeunesse ouvrière et étudiante cubaine joyeuse et rebelle qui meurt le sourire aux lèvres, de cette jeunesse qui a vaincu le tyran Machado et qui aujourd’hui brise le pouvoir de Batista avec ses attaques, a apporté au rassemblement un souffle de la tragédie et de l’héroïsme dans lesquels vivent les rebelles cubains. Il a rendu hommage à la guérilla de Fidel Castro Ruz (…). Il a rendu hommage aux étudiants tués à La Havane et a déclaré que « le problème cubain ne peut être résolu que par une révolution, car les élections que certains éléments favorisent – et que les États-Unis accueilleraient favorablement, sous certaines conditions – est la formule choisie pour sauvegarder les intérêts acquis, autochtones et étrangers ». Il a raconté des crimes horribles, pleins de sadisme et de cruauté, commis il y a quelques jours et a fini par jurer : « Cuba sera libre ou nous mourrons tous » » (Ocaña Sánchez, « La juventud contra las dictaduras », Tierra y Libertad,Mexique, 30 mai 1957).
[7] “Gobierno y revolución en Cuba”, La Protesta (Buenos Aires), deuxième quinzaine de janvier 1959.
[8] “El ocaso de las dictaduras”, Regeneración (México), janvier 1959.
[9] Ibíd.
[10]“Los fusilamientos”, La Protesta (Buenos Aires), deuxième quinzaine de janvier 1959.
[11] Tariaco, “Cosas que suceden”, Regeneración (México), septembre 1959.
[12] “Carta de Casto Moscú a Andrés Cabona”, 3 novembre 1959, Fonds Luis Danussi/Centro de Documentación e Investigación de la Cultura de Izquierdas (Cedinci).
[13] GA, “En Cuba revolución o no”, La Protesta (Buenos Aires), deuxième quinzaine d’avril 1959.
[14] Ibíd.
[15] “El ocaso de las dictaduras”, Regeneración (México), janvier 1959.
[16] “Así opinan los compañeros cubanos”, La Protesta (Buenos Aires), août 1960.
[17] “Circular confidencial”, La Havane, 15 janvier 1961, Fonds Cuba/Centro de Documentación Libertaria Jacobo Prince/Federación Libertaria Argentina (CDLJP-FLA).
[18] Ibíd.
[19] Ibíd.
[20] Les anarchistes argentins ont établi une comparaison entre les discours prononcés par Castro, notamment celui de la célébration du 26 juillet 1959, et ceux prononcés par Perón le 17 octobre. OM, « Ante la Revolución cubana », La Protesta (Buenos Aires), août 1959.
[21] Ibíd.
[22] “¿Hacia dónde va el movimiento obrero?”, La Protesta (Buenos Aires), juillet 1960.
[23]  “Vasos comunicantes”, La Protesta (Buenos Aires), mars 1960.
[24] Tariaco, “Cosas que suceden”, Regeneración (México), septembre-octobre 1960.
[25] Rodolfo Aguirre, “La Revolución cubana”, Regeneración (México), novembre 1960.
[26] “El imperialismo”, La Protesta (Buenos Aires), octobre 1959.
[27] Emilio Muse, “Cuba : de un imperialismo a otro”, La Protesta (Buenos Aires), janvier 1961.
[28] Ibíd.
[29] Ibíd.
[30] “Por la Revolución cubana”, La Protesta (Buenos Aires), avril 1961.
[31] Ibíd.
[32] « Depuis l’assaut contre la caserne Moncada jusqu’au 1er janvier 1959, le cœur même de la révolution a été le Mouvement du 26 juillet, qui a pris les initiatives, qui a mené la lutte à l’extérieur et à l’intérieur de Cuba, qui a polarisé et utilisé toutes les énergies, qui a tracé le chemin, qui a commandé, en somme, toute la révolution (…). Comme l’a expliqué Castro Ruz, la bataille a eu lieu et a été gagnée par des hommes de toutes les idées, de toutes les religions et de toutes les classes sociales » (…), [mais] les paysans, les ouvriers, les étudiants, les partis politiques furent les matériaux d’un processus déclenché par ce petit noyau (…). Ils font la révolution, mais ils ne la conduisent pas. Ils mènent au triomphe, mais ils ne le dirigent pas. Ils répondent à un plan, mais ne connaissent que le premier point avec certitude. À Cuba, la révolution n’a pas eu le temps de « dévorer ses propres enfants ». Le Mouvement du 26 juillet avait dévoré la révolution depuis le début » (« Movimiento 26 de Julio », La Protesta, Buenos Aires, novembre 1960).
[33] “Por la Revolución cubana”, La Protesta (Buenos Aires), avril 1961.
[34] Ibíd.
[35] “Frente a los hechos de Cuba”, La Protesta (Buenos Aires), avril 1961.
[36] “Los anarquistas y la Revolución cubana”, La Protesta (Buenos Aires), septembre 1960.
[37] Ibíd.
[38] Ibíd.
[39] Ibíd.
[40] “Ojeando la prensa extranjera”, Federación Libertaria Argentina, février 1961, Fonds Cuba/ CDLJP-FLA.
[41] Tariaco, “Cosas que suceden”, Regeneración (México), juillet-août 1960.
[42] “Al replantearse la Revolución cubana”, FAU, s/f, Fonds Cuba/ CDLJP-FLA ; “Posición de la FAU ante la Revolución cubana”, La Protesta (Buenos Aires), septembre 1960, et “Desarrollo sobre el debate sobre Cuba”, s/f, Fonds Cuba/ CDLJP-FLA.
[43] “Discrepancia sobre Cuba”, La Protesta (Buenos Aires), septembre 1960.
[44] “No está de acuerdo con nosotros…”, La Protesta (Buenos Aires), décembre 1960.
[45] Carlos M. Rama, “La obra cultural de la Revolución cubana”, Cenit(Toulouse), avril 1961 ; Carlos M. Rama, “Nacionalización de la cultura cubana”, Cenit (Toulouse), mai 1961, et Carlos M. Rama, “Paralelo entre la revolución española y la Revolución cubana”, Cenit (Toulouse), octobre 1961.
[46] Cronista, « La Revolución cubana ¿aspectos positivos ? », La Protesta(Buenos Aires), juillet 1961. Ces aspects positifs furent défendus par la majorité des anarchistes, la FAIC inscrivit dans son manifeste : « Nous reconnaissons que les conquêtes de cette Révolution ont été précieuses, certaines actions telles que la réforme agraire en cours, l’expropriation de certaines propriétés nord-américaines, la confiscation de l’industrie pétrolière, le démantèlement de l’armée d’État mercenaire et la lutte ouverte contre l’impérialisme nord-américain qui asservissait l’économie cubaine » (FAIC, 1960, p. 1).
[47]
Cronista, “La Revolución cubana ¿Aspectos positivos?”, La Protesta(Buenos Aires), juillet 1961.
[48] Au cours de l’été 1960, deux collections populaires ont été publiées à La Havane par les éditions Lex. L’un des ouvrages, Coopérativisme et collectivisme, comportait trois collaborations. La première portait sur les précurseurs de la doctrine coopérative ; la deuxième, due au directeur exécutif de l’Institut national de réforme agraire (INRA), A. Núñez Jiménez, s’intitulait « Las cooperativas del Instituto Nacional de Reforma Agraria », et la troisième « Estudios sobre Cooperativas y Colectivización en México, Israel, España y Cuba » par Augustin Souchy. Ce dernier avait été invité en raison de son expérience en URSS (1919), en Espagne (1936-39), au Mexique (1942-1955) et en Israël, où il avait élaboré des programmes sur le coopérativisme et la collectivisation. Souchy est resté à Cuba pendant les mois d’avril, mai et juin 1960, période pendant laquelle il a parcouru l’île pour étudier de près l’étape constructive de la Révolution. Le travail de Souchy a été censuré et détruit, mais il envoya cependant son document à la FLA, qui l’a publié en décembre 1960. Selon Frank Fernández, « trois jours après son départ de Cuba, l’édition complète de cet ouvrage a fait l’objet d’une intervention du gouvernement castriste sur la suggestion de la direction du PCC et a été entièrement détruite. Heureusement pour l’histoire, l’éditeur Reconstruir à Buenos Aires a reproduit la version originale de Souchy, avec un excellent prologue de Jacobo Prince »(Fernández, 2000, p. 93).
[49] Gastón Leval, “A propósito de los anarquistas y la Revolución cubana”, La Protesta (Buenos Aires), août 1961.
[50] Ibíd.
[51] Ibíd.
[52] Víctor García, « Consecuencia ante la Revolución cubana », La Protesta(Buenos Aires), octobre 1961. Víctor García ne se contentera pas de questionner la Révolution par voie de presse. En 1961, lui et Octavio Alberola entreprirent une tournée de réaffirmation et de clarification idéologique. Alberola le rappelle : « Le mouvement anarchiste, en tant que tel, commença très vite à prendre ses distances, et à mesure que la dérive caudilliste de Fidel devint évidente, le mouvement la dénonça largement. En 1961, avec Víctor García [Germinal Gracia], j’ai participé à une tournée de conférences dans les milieux anarchistes espagnols en exil en France et en Angleterre pour dénoncer la dérive totalitaire de la « révolution cubaine ». La question à l’époque était que la confiance dans la capacité du mouvement populaire pour réagir et empêcher la confiscation totale de la révolution par le castrisme existait encore. Mais très vite, on a vu la réalité de l’alignement de Castro sur le communisme totalitaire soviétique, et la persécution dont étaient victimes les anarcho-syndicalistes cubains a été connue » (Octavio Alberola, « Hay que recuperar la memoria que el castrismo ha desvirtuado », El Libertario,Venezuela, août-septembre 2004).
[53] Víctor García, “Consecuencia ante la Revolución cubana”, La Protesta(Buenos Aires), octobre 1961.
[54] « Circular », Grupo libertario gastronómico, La Havane, 20 mars 1961, Fonds Cuba/ CDLJP-FLA. García rompt également avec la fausse dichotomie consistant à choisir l’un des deux impérialismes en soulignant que l’anticommunisme anarchiste n’empêche pas de dénoncer l’ingérence américaine et sa participation à l’invasion de Playa Giron, et en rappelant que « l’anarchisme a dénoncé cette tentative de briser le processus cubain, auquel il est opposé, mais si quelqu’un a la légitimité pour le remettre question et combattre ce processus, c’est bien les Cubains et non l’impérialisme nord-américain. En soulignant également qu’après l’invasion ratée des dizaines d’anarchistes ont été arrêtés, ainsi que des centaines d’autres militants de gauche, accusés d’être contre-révolutionnaires ». Ce fut le cas de l’éditeur Mariano Sánchez Roca, fondateur de la maison d’édition Lex. Il fut l’une des personnes chargées de la transmission des informations sur les événements de Cuba à la militance anarchiste, en particulier la CNT en exil au Mexique et au Venezuela, pays où il est parti lorsque sa maison d’édition fut interdite pour avoir publié l’œuvre de Souchy (Víctor García, « Consecuencia ante la Revolución cubana », La Protesta, Buenos Aires, octobre 1961). Dans le même numéro où Germinal Gracia rectifie sa position sur Cuba, la première information de l’arrestation d’un anarchiste bien connu du ML, Luis Miguel Linsuaín, est apparue . Son arrestation fit suite à une accusation de complot contre la vie du ministre de la guerre, Raúl Castro. Linsuaín, souligne la note, était un représentant du syndicat de la gastronomie, dont il fut expulsé pour avoir critiqué le tournant pris par la révolution. Une campagne de diffamation fut alors lancée contre lui et aboutit à son arrestation par le G-2 en juillet 1961 (« El anarquista Linsuaín », La Protesta, Buenos Aires, octobre 1961).
[55] “S/N”, México, agosto 23 de 1961, Fonds Cuba/ CDLJP-FLA.
[56] Ibíd.
[57] Ibíd.
[58] Ibíd.
[59] “Posición de la FAU sobre Cuba”, La Protesta (Buenos Aires), mars 1963.
[60] “Manifiesto”, La Protesta (Buenos Aires), février 1963.
[61] “Entrevista a Luce Fabbri realizada por Margaret Rago”, Entrevue avec Luce Fabbri, session 12, cassette 12, 1996, Colection Luce Fabbri/Cedinci.
[62] “Carta a La Protesta”, La Protesta (Buenos Aires), mars 1963.
[63] “Nuestra contestación”, La Protesta (Buenos Aires), mars 1963.
[64] “La represión antilibertaria en Cuba”, La Protesta (Buenos Aires), mai 1963.
[65] Ou comme l’historien cubain Frank Fernández le reflète : « … conformément à sa politique de libération nationale, une force de guérilla a été créée sur tout le continent américain, qui allait changer le système politique dans presque tous les pays au sud du Rio Grande. La guerre de guérillas proposée par le duo Guevara-Castro a laissé le continent ensanglanté, tout en provoquant en retour la prise du pouvoir par une meute de gorilles en uniforme, créant en très peu de temps un ensemble de dictatures militaires qui se consacrèrent à l’enlèvement, au crime et au vol, ainsi qu’à la disparition d’ennemis et de citoyens innocents. Cela s’est produit dans des pays civilisés, ayant une longue tradition de droits civils et de respect de la vie humaine, en représailles militaires contre la violence planifiée, financée et soutenue depuis La Havane par le gouvernement socialiste cubain »(Fernández, 2000, p. 126).
[66] “Panorámicas”, Regeneración (México), mai-juin 1962.
[67] Cosme Paules, “Buscando el número”, Regeneración (México), novembre 1962.
[68] José Muñoz Cota, “Nuestra distancia con el régimen de Cuba”, Regeneración (México), septembre 1962.
[69] « La suerte de nuestros presos », Regeneración (Mexique), mai-juin 1962. Appelant à la liberté des anarchistes emprisonnés, il déclarait : « Plusieurs camarades comme Gilberto Lima et Luis Linsuaín ont fait partie du M26, le premier dans la lutte clandestine urbaine, et le second dans la guérilla de la zone nord de la partie orientale. Plácido Méndez a également fait partie du deuxième front de l’Escambray » (Fernández, 2000, p. 85). L’arrestation de certains de ces anarchistes peut être vérifiée dans un rapport soumis à l’Organisation internationale du travail sous le numéro 425, qui indique que, entre autres, « les syndicalistes : Luis Miguel Linsuaín, secrétaire de la Fédération gastronomique de la province orientale ; Antonio Dagas, sous-secrétaire général de la section cubaine de la fédération syndicale espagnole CNT, ont été jugés devant des tribunaux révolutionnaires ou conseils de guerre en vertu de dispositions pénales et condamnés à diverses peines de prison. Luis Linsuaín fut condamné à sept ans de prison le 25 mai 1962 pour crime contre les pouvoirs de l’État. Il fut accusé de participer aux activités d’un groupe contre-révolutionnaire du nom de MDC, qui aurait entrepris de renverser le gouvernement par un soulèvement armé, actes de sabotage, stockage et transfert d’armes et attaques contre des fonctionnaires du gouvernement. Antonio Dagas fut condamné à trois ans et sept mois de prison « pour sa participation directe à des actes constituant un crime contre les pouvoirs de l’État » ; il aurait commis, en lien avec d’autres personnes, des actes de terrorisme, comme placer une bombe sous une voiture stationnée devant le bâtiment de la Confédération des travailleurs de Cuba révolutionnaire (…). Il ressort clairement des sentences prononcées par le gouvernement que les peines accessoires appliquées aux personnes condamnées comprennent la confiscation totale de leurs biens. Les noms des avocats de la défense sont également indiqués, certains semblant avoir été désignés par les accusés et d’autres nommés d’office (…). Le comité estime nécessaire d’exprimer sa préoccupation constante au sujet de la situation à Cuba en ce qui concerne ses conséquences sur l’exercice des droits syndicaux et recommande que le conseil d’administration attire l’attention du gouvernement sur : a) l’importance de ne pas porter atteinte aux principes essentiels de la liberté syndicale ; b) l’importance pour les syndicalistes, comme pour toute autre personne, de bénéficier d’une procédure judiciaire normale » (« Casos de Libertad Sindical, rapport n° 103, 1968, affaire n° 425, Cuba – Date de dépôt de la plainte : 17-Déc-64 » disponible sur : https://bit.ly/33A2WbZ) (consulté le 20 juillet 2019).
[70] “Solidaridad Anarquista Internacional”, La Protesta (Buenos Aires), septembre 1962 ; et “¡¡Llamado urgentísimo de solidaridad!!”, Solidaridad Anarquista Internacional, Buenos Aires, s/f, Fonds Luis Danussi/Cedinci.
[71] Frank Fernández affirme : « … la « solitude impressionnante » dont a souffert le mouvement anarchiste cubain après le coup d’État de Fidel Castro, et le manque de solidarité dont fut victime l’anarchisme mondial, tant au cours de la révolution mexicaine de 1910 que de la révolution russe de 1917 ou celle du castrisme de 1957, a provoqué « un impact sérieux » dans les milieux anarchistes internationaux, les Cubains compris, ce qui a eu des conséquences désastreuses, avec son inévitable cortège de scissions, pour des raisons subjectives plutôt que rationnelles » (2000, p. 16).
[72] “Por la Revolución cubana”, La Protesta (Buenos Aires), février 1963.
[73] Ibíd.
[74] Ibíd.
[75] Délégation du MLCE, “Al Quinto Congreso Nacional ordinario de la FLA”, 23 novembre 1961, Fonds Cuba/ CDLJP-FLA et MLCE, “Los anarquistas cubanos y…”, La Protesta (Buenos Aires), février 1962.
[76] Ibíd.
[77] MLCE, “Los anarquistas cubanos y la Revolución castrista”, La Protesta(Buenos Aires), février 1962.
[78] Dans les bulletins du Ve Congrès de la FLA, le quatrième point de l’ordre du jour portait sur la question internationale ; c’est pourquoi le comité organisateur du Congrès reçut plusieurs textes sur la question cubaine, dont un du groupe de Mar del Plata. Dans son texte, le groupe expose les raisons pour lesquelles il considère que la révolution populaire a été trahie à Cuba, la part essentielle de cette félonie revenant aux communistes qui ont pris le contrôle des centres de travail et des organisations populaires avec la complaisance de Castro et de ses comparses, faisant référence ici à l’annulation des libertés publiques et à la persécution de ceux qui expriment un désaccord, même minime, avec le régime. Le texte ajoutait que l’histoire de la révolution russe se répétait, que la finalité émancipatrice avait été une fois de plus trahie. C’est pourquoi, au vu des travaux présentés, le Ve Congrès ordinaire de la FLA décida « de condamner vigoureusement les traîtres à la Révolution cubaine et d’exhorter le prolétariat international à prêter son aide sans réserve à ce noble peuple et à soutenir tout mouvement de liberté authentique, composé des travailleurs et des hommes libres d’Amérique, jusqu’à parvenir à expulser de Cuba tous les éléments bolcheviques liberticides » (Boletín, núm. 3, V Congrès ordinaire de la FLA, octobre 1961, Fonds de la FLA/ CDLJP-FLA et El cronista, “El V Congreso Nacional de la FLA”, La Protesta, Buenos Aires, février 1962).
[79] “Temario para el VIII Congreso de la FAM”, 1er mai 1962, Archives Esteban Méndez/Instituto de Investigaciones Históricas/Universidad Autónoma de Tamaulipas (AEM/IIH/UAT).
[80] « Ce n’est qu’à l’été 1961 que commence l’exode anarchiste collectif vers les Etats-Unis. Ce n’était pas la première fois que les anarchistes se réfugiaient dans ce pays. Depuis le siècle précédent, des régions telles que Tampa, Key West et New York furent les endroits choisis par ces persécutés, où ils avaient plus de chances de gagner leur vie que partout ailleurs. Il y avait de plus la proximité nécessaire pour continuer la lutte. Pendant les dictatures de Machado et de Batista, l’exil s’est fait aux mêmes endroits ; il existait aussi des contacts avec d’autres groupes d’anarchistes aux États-Unis » (Fernández, 2000, p. 103).
[81] “Actas del VIII congreso de la FAM”, 26-28 juillet 1962, AEM/IIH/UAT.
[82] Ibíd.
[83] Ibíd.

Traduction : Floréal Melgar.

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Source : Pacarina del Sur


Enrique   |  Histoire, Politique   |  06 3rd, 2020    |