La photo mutilée

Vendredi 15 mai, sous la plume de la « journaliste » officielle Marta Rojas, Granma, le quotidien du comité central du Parti communiste cubain, est revenu pour la énième fois sur une page d’histoire de l’île, afin de glorifier ses héros.
Le 26 juillet 1953, un groupe de 135 hommes et femmes du Parti Orthodoxe, menés par Fidel Castro, tentèrent de prendre possession de la caserne Moncada, deuxième forteresse militaire du pays, à Santiago de Cuba, ainsi que d’une autre caserne à Bayamo, tandis que le frère de Fidel Castro, Raúl, devait s’emparer de l’hôpital civil et du palais de justice de Santiago.
L’opération tourna au désastre. Six combattants furent tués lors des assauts, et 55 autres, faits prisonniers lors de l’attaque, furent exécutés brutalement. Quelques-uns des assaillants, dont les frères Castro, furent arrêtés, emprisonnés et passèrent ensuite en procès. Un procès à l’issue duquel ils furent condamnés à 15 ans de détention.

Une amnistie générale vint toutefois grandement alléger leur peine puisqu’ils furent libérés en mai 1955. Cette libération est restée dans la mémoire cubaine à travers une photographie, très diffusée à l’époque et restée célèbre, prise à la sortie de la prison. On y voit le groupe de prisonniers libérés saluer avec force joie les gens qui les attendent, sous l’œil avisé du photographe. C’est dire si cette photo a son importance quand il s’agit de retracer les prémices de la révolution cubaine, qui allait triompher cette fois quelques années plus tard, car elle en montre quelques-uns des principaux acteurs.

Photo parue à la une de « Granma »

Seulement, il y a un problème. Car, sur la droite de la photo, au côté de Fidel Castro, figure l’un des tout premiers compagnons d’armes de ce dernier, Mario Chanes de Armas (entouré en jaune), qui participera l’année suivante au débarquement du Granma, le 2 décembre 1956, prélude à la guérilla de la Sierra Maestra. Or, après la victoire des « barbudos », en 1959, Mario Chanes de Armas fera partie de ces guérilléros qui désapprouveront la confiscation de la révolution par les communistes et le feront savoir, comme ce fut le cas avant lui du commandant Huber Matos, que Castro fera arrêter et condamner à vingt ans de prison. Sans compter ceux que les frères Castro et Guevara feront exécuter et ceux qui, comme Camilo Cienfuegos, disparaîtront mystérieusement et fort opportunément. Mario Chanes de Armas sera arrêté à son tour en 1961 et condamné à trente ans de prison, une peine, précisons-le, qu’il effectuera dans son entier*.

Pareils à ceux qui jadis, en URSS comme en Chine, furent hissés sur un piédestal en tant que héros du peuple avant de tomber en disgrâce et de devenir des « renégats » et autres « vipères lubriques », nombre de révolutionnaires cubains non communistes ont disparu de l’histoire officielle écrite par des faussaires, et les photographies ont laissé la place au vide là où ils se tenaient fièrement au côté de leurs camarades devenus leurs bourreaux.
Ici, à la une du quotidien Granma du 15 mai 2020, aucune retouche habile ne fut nécessaire pour faire disparaître le gêneur. Un recadrage « révisionniste » a suffi pour que Mario Chanes de Armas sombre encore un peu plus dans l’oubli.

Floréal Melgar

Vous pouvez découvrir son blog à l’adresse :

https://florealanar.wordpress.com

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* Au sinistre palmarès des condamnés à de très longues peines d’emprisonnement pour raisons politiques, chacun évoquera bien sûr Nelson Mandela, connu dans le monde entier et qui passa 27 ans, 6 mois et 6 jours en prison.
Arrêté le 17 juillet 1961, Mario Chanes de Armas sera libéré le 16 juillet 1991, soit trente ans plus tard jour pour jour. Qui connaît son nom ?


Enrique   |  Histoire, Politique, Répression   |  06 4th, 2020    |