Communiqué de l’atelier libertaire Alfredo López de La Havane

Nous n’acceptons ni maîtres au-dessus de nous, ni serviteurs au-dessous de nous. Nous travaillons pour une société où toutes les questions publiques seront résolues par l’auto-organisation de ceux qui vivent, travaillent, créent et aiment, à Cuba et sur la planète. Nous témoignons cependant du fait que le passage à une telle façon de gérer notre vie commune ne peut être que le produit de la révolution sociale la plus profonde. Mais être radical dans notre conception du socialisme et de la libération humaine ne fait pas de nous des gens stricts ou extrémistes, ni ne nous oppose à ceux qui cherchent sincèrement des voies de dignité. La lutte pour les droits sociaux est légitime, même lorsque sa racine germante n’atteint pas immédiatement l’idéal – à condition seulement qu’une telle racine existe – beaucoup d’elles contiennent des germes vivants, ils sont en développement dans la perspective de la société commune dont nous n’osons pour l’instant que rêver. Défendre ces germes et semer les graines de la liberté même si nous savons qu’ils peuvent prendre des millénaires pour devenir des arbres aussi robustes que les fromagers dans nos champs, est notre devoir et notre choix de vie.
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Et pour tout cela :
1) Nous rejetons tout blocus contre le peuple cubain, imposé de l’extérieur ou de l’intérieur par les États, qu’ils soient Unis ou non. Nous soutenons radicalement le plein déploiement des capacités créatives de notre peuple, son auto-organisation, son auto-support et son auto-libération, dans un monde qui doit être plus solidaire et coopératif.
2. Nous ne soutenons pas les provocations visant à une explosion sociale. Ce serait tragique dans les circonstances actuelles de détérioration organisationnelle de la classes ouvrière et des segments les plus précaires de la société.
3. Nous soutenons toutes les formes d’auto-organisation de ceux qui travaillent, vivent et créent à Cuba. Par auto-organisation sociale, nous entendons les entreprises, projets, réseaux, collectifs et autres efforts où il n’y a pas de travail rémunéré, d’imposition d’autorité, de culte de la personnalité, de violences diverses directes, structurelles ou symboliques, d’hyper-compétitivité, de bureaucratie, de décisions aux mains d’une élite, de concentration des richesses et d’appropriation inégale des connaissances. Nous demandons que le cadre institutionnel du pays donne la priorité aux entités auto-organisées, comme la promotion de la création de coopératives et d’autres projets collectifs de production et de services de nature autogérée, au-dessus des micro-entreprises capitalistes et autres entreprises fondées sur des asymétries sociales, en particulier l’autoritarisme, la bureaucratie et l’inégalité économique.
4. En ce sens, les organisations qui distribuent des produits à la population devraient être réorganisées en coopératives de consommateurs, en intégrant la plupart d’entre elles de manière autonome, afin de remplir les fonctions de vente dans les entrepôts et autres détaillants, de transport, de stockage, sans que cela provoque des vols ou des actes de corruption.
5. Nous sommes opposés au système salarial, mais tant qu’il existe, il faut aussi reconnaître un véritable salaire minimum, visiblement supérieur au panier de base, comme revenu minimum pour une vie digne, qui doit être public dans sa composition et soumis à un débat et à une approbation générale ; le paiement des salaires doit être effectué en fonction des heures de travail et des heures supplémentaires ; la convention collective, le droit de se syndiquer, le plein accès à la résolution des conflits du travail par ceux qui travaillent et le droit de grève doivent être imposés aux employeurs sur tous les lieux de travail.
6. S’il a été possible de reconnaître la légitimité des représentants des tendances libérales au sein de l’opposition politique étatique cubaine, nous nous considérons comme porteurs d’une pleine légitimité en tant que socialistes libertaires et faisant partie de l’organisation de la classe ouvrière à Cuba ; si cette reconnaissance n’a pas été possible, nous l’exigerons pour toutes les opinions politiques.
7. Le crime d’outrage à l’autorité, en tant qu’héritage de l’ordre monarchique, doit être aboli, et toutes les personnes emprisonnées pour de tels actes doivent être libérées.
8. L’emprisonnement ou toute autre sanction pour “dangerosité précriminelle” doit être immédiatement supprimé en tant qu’institution d’origine fasciste (Code Rocco).
9. Nous travaillons pour une libération totale de toutes les dominations et oppressions, en particulier celles du capital, de la bureaucratie, du patriarcat, de l’hyper-concurrence, de l’épistémocratie, du colonialisme, du racisme, de l’ethnocentrisme, de l’intrusion de puissantes structures étrangères, de la consommation débridée et de la prédation écologique.
10. Le spectre complet signifie que personne – personne ou groupe sous oppression – ne se libère, en excluant les autres, au point d’atteindre l’ensemble de la société. La libération n’admet pas d’exclusions.
11. Nous ne reconnaissons pas la “normalité” fausse et autodestructrice de ce monde comme un idéal selon lequel Cuba devrait tendre à être “un pays normal”.
12. Nous sommes sur nos gardes contre tout mouvement qui, à partir de collectifs, de processus ou d’efforts qui aspirent à la libération, pourrait favoriser l’émergence de nouvelles et dangereuses dominations.
L’atelier libertaire Alfredo López est un collectif anarchiste qui depuis des années soutient et promeut des expériences en accord avec ses principes anti-autoritaires et anticapitalistes, et qui cherche à être une voix libertaire opportune dans cet archipel que nous appelons Cuba. Elle a organisé quatre années durant le Printemps libertaire de La Havane et est actuellement le gestionnaire principal du Centre social ABRA (2).
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Traduction : Daniel Pinós
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1. Alfredo Rocco était un homme politique et un juriste italien. Son nom est associé au code pénal qu’il a rédigé. Jusqu’en 1932, il fut ministre de la justice et des affaires du culte. Durant cette période, son activité s’est concrétisée par une série de lois et de dispositions répressives qui d’un côté mirent fin à l’État libéral et de l’autre donnèrent naissance au régime fasciste de Benito Mussolini. L’emprisonnement pour “dangerosité précriminelle” faisait partie des codes Rocco. On pouvait alors simplement mettre un individu en prison sans qu’il ait commis de délit. C’est le cas à Cuba aujourd’hui.
2. Le Centre social ABRA est un espace de communication sociale horizontale qui permet de donner la parole aux expériences nationales et internationales qui n’intéressent pas les agences gouvernementales cubaines, mais qui contribuent à une perspective anti-autoritaire et émancipatrice qui intéresse ceux qui luttent pour un changement social à Cuba. Pour en savoir plus le Centre social libertaire ABRA :

Enrique   |  Actualité, Politique   |  01 4th, 2021    |