Entretien avec le site cubain « Diario de Cuba » de Floréal Melgar à propos du livre « Cuba : chroniques d’un cauchemar sans fin »

Nous avons chroniqué le mois dernier l’ouvrage de Floréal Melgar « Cuba : chroniques d’un cauchemar sans fin* », aux éditions L’Esprit frappeur.

Tout dernièrement, le site d’opposition au régime castriste « Diario de Cuba » a demandé un entretien à Floréal Melgar, par l’intermédiaire d’une de ses journalistes indépendantes, Rafaela Cruz, à l’occasion de la parution du livre. Nous publions ici la traduction française de cet entretien, ainsi que le lien** vers le texte d’origine pour les lecteurs de langue espagnole.

A qui s’adresse ton livre ?
Avant tout, ce livre est destiné aux lecteurs de langue française qui ignorent tout de ce qui se passe à Cuba. Ici en France, mais je pense qu’il en va de même dans toute l’Europe, sauf peut-être en Espagne, les médias n’évoquent pratiquement jamais, à travers des cas concrets, la répression permanente qui règne sur l’île. Les noms de Wilman Villar Mendoza, Oswaldo Payá Sardiñas ou Silverio Portal sont totalement inconnus ici. Et ce n’est que très récemment, il y a quelques jours, que le nom de Luis Manuel Otero Alcántara a été cité par plusieurs quotidiens français à la suite du rassemblement d’artistes et d’intellectuels cubains devant le ministère de la culture, suite à la grève de la faim des membres du MSI. On se demande à quoi servent les correspondants des grands quotidiens français à La Havane. Sans doute sont-ils bien nourris et bien logés, mais on aimerait qu’ils nous informent davantage.
Des décennies de propagande mensongère et un anti-américanisme assez répandu en France ont eu pour conséquence de rendre la « révolution » cubaine sympathique pour beaucoup de gens, et pas seulement les militants et sympathisants communistes, mais dans toute la gauche, l’extrême gauche et jusqu’à des secteurs modérés de la droite française. Tous ces gens-là répètent comme des perroquets le catéchisme castriste sur les bienfaits de la médecine et de l’enseignement à Cuba d’un côté, l’horreur du blocus américain de l’autre. Tu ajoutes à cela tous les clichés sur les plages paradisiaques, la musique cubaine et les vieilles voitures américaines dans la vieille ville de La Havane, et cela te donne une idée de la façon dont le Français moyen s’imagine Cuba. Mais la réalité de la vie quotidienne du peuple cubain, ils ne la connaissent pas, et quand quelqu’un la révèle, ils nient ou ils regardent ailleurs parce que cela met à mal leur fanatisme pour les uns et leurs croyances pour les autres.

Pourquoi Cuba?
Je me suis depuis longtemps intéressé aux pays à régime communiste et à la répression qui a systématiquement sévi dans ces pays, et notamment la répression vis-à-vis des mouvements anarchistes russe, chinois et cubain, puisque j’ai longtemps été militant, à Paris, du mouvement libertaire. Si je parlais la langue chinoise, je ferai le même travail de dénonciation de la répression en Chine, mais il se trouve qu’à part le français je ne comprends que la langue espagnole, étant fils d’un réfugié politique andalou arrivé en France à la fin de la guerre civile d’Espagne. Ce qui m’a donc amené à m’intéresser de plus près à Cuba. Dans le prologue de mon livre, je raconte quel a été l’élément déclencheur. La découverte d’un article datant de juin 1961, dans le journal « Le Monde libertaire », écrit par Gaston Leval, un militant anarchiste qui a bien connu les principaux représentants du mouvement libertaire cubain avant la révolution de 1959. Dès cette époque, il dénonçait la répression qui visait tous ceux qui avaient pris part à cette révolution mais qui se dressaient contre sa prise en main par les communistes. Par la suite, j’ai lu « Histoire de l’anarchisme à Cuba » de Frank Fernandez, et une série d’articles du début des années 60 écrits par ce même Gaston Leval ainsi que par un libertaire cubain exilé, Abelardo Iglesias, dans des revues argentines, « Reconstruir » et « La Protesta », où ils expliquaient déjà ce qu’était l’instauration d’une dictature et d’un pouvoir totalitaire à Cuba. Puis ces dernières années, j’ai consulté régulièrement et assidûment les sites internet cubains créés par des opposants au régime. C’est là que j’ai glané la matière de mon livre.

Qu’as-tu trouvé, humainement, chez les dissidents cubains ?
Beaucoup de courage, en premier lieu. Ce qu’ils font, ce qu’ils écrivent, avec une grande ténacité malgré la répression et le harcèlement permanent de la police politique, provoque mon admiration pour eux. Et puis aussi, envers moi, une tolérance qui m’a un peu surpris. Car j’ai bien conscience que mon engagement libertaire n’est pas partagé par tous les dissidents cubains, mais cela ne les a pas empêché de me témoigner une grande sympathie et un certain intérêt pour mes chroniques.

Tu es un homme de gauche. Cela ne devrait-il pas te situer du côté du gouvernement cubain ?
Non, je ne suis pas un homme de gauche. Je me suis toujours battu pour que le mouvement libertaire auquel j’ai adhéré en France durant plusieurs décennies ne soit pas considéré comme une branche de la gauche ou même plus souvent de l’extrême gauche. L’anarchisme n’est pas un maximalisme. C’est autre chose. A la base, il y a deux grands courants du socialisme, deux troncs différents qui ont chacun fourni des branches diverses : le courant autoritaire, personnifié par Marx, Engels et leurs disciples, qui donnera naissance à plusieurs tendances, de la gauche modérée jusqu’aux marxistes-léninistes fanatiques ; et le courant anti-autoritaire ou libertaire, personnifié d’abord par Proudhon, puis Bakounine, Kropotkine et bien d’autres. Les libertaires ne sont ni de gauche ni de droite, mais ailleurs. Et surtout pas proches des communistes, qui les ont toujours réprimés, jusqu’à la liquidation physique dans les pays où ils ont pris le pouvoir, sans exception. D’une manière générale, je ne peux donc pas éprouver de sympathie pour les militants politiques qui font de la prise du pouvoir leur credo, le pouvoir étant fondamentalement à l’origine de tous les maux. Et je ne peux encore moins me ranger, en particulier, du côté de ceux qui font de ce pouvoir, quand ils l’ont conquis, une forteresse imprenable, répressive et policière, et exercent sur la population une dictature féroce annihilant les droits les plus élémentaires de l’être humain. Je ne suis donc pas du tout du côté du gouvernement cubain, mais du côté de ceux qui subissent sa répression et qui luttent en particulier pour les droits les plus élémentaires, comme la liberté d’expression.

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* Une seconde édition du livre doit paraître dans le courant de ce mois de mars, avec une nouvelle couverture et, de plus, une postface de l’écrivain cubain exilé à Paris Jacobo Machover.
** https://diariodecuba.com/derechos-humanos/1614603262_29175.html


Enrique   |  Actualité, Culture, Politique, Répression   |  03 3rd, 2021    |