Le régime cubain établit des zones de sécurité dans les quartiers où vit son élite

Le Journal officiel publie un accord annonçant que certaines zones de La Havane seront contrôlées par la police politique.

Certains conseils populaires [districts] et certaines rues de la capitale cubaine deviendront des « zones spéciales » ou « zones gelées », sous le contrôle absolu du ministère de l’Intérieur (MININT), selon un accord publié le 24 février dans le Journal officiel de la République de Cuba.

Le Journal officiel ordinaire n° 20 a publié l’accord 8999/2021 du Conseil des ministres qui détaille une nouvelle et complète extension des « Zones et rues d’intérêt pour la sécurité et l’ordre interne de La Havane ». En bref, le document garantit une sécurité à toute épreuve dans les espaces où l’élite du pouvoir cubain vit, travail et se déplace. En outre, elle crée une justification légale pour réprimer toute forme de protestation devant les ministères et les institutions publiques.

Ces zones désignées sont considérées comme des territoires exclusivement réservés aux proches du pouvoir : Siboney-Atabey, Cubanacán, La Coronela, Plaza, Vedado, Príncipe, Colón-Nuevo Vedado, Ceiba-Kholy, Vedado-Malecón, Sevillano, Tallapiedra et des routes très spécifiques dans les municipalités de Marianao, La Lisa et Boyeros.

L’accord n’offre aucune explication quant à la raison pour laquelle tant d’endroits sont devenus des zones d’intérêt pour la sécurité et l’ordre interne. Les médias officiels n’ont pas non plus donné d’indices sur cette décision et se sont contentés de reproduire le texte dans son intégralité. La nouvelle, à l’exception de quelques médias cubains indépendants, est passée sans douleur ni gloire.

Que dit l’accord 8999/2021 ?

Tout d’abord, le Premier ministre du régime, Manuel Marrero Cruz, a été très actif ces derniers mois, signant des résolutions officiels de tout type. En 2020, par exemple, le Conseil des ministres a publié son dernier texte le 10 décembre, et c’était le 8959e de l’année.

Deuxièmement, l’élite politique du régime a créé une ville dans la ville en vertu de lois très précises et restrictives, pour son confort et sa sécurité exclusifs. En coïncidence avec cette décision, les manifestations de mécontentement populaire à Cuba, portées par l’activisme des jeunes artistes contestataires du mouvement San Isidro, se sont fait sentir, à l’intérieur et à l’extérieur de l’île.

L’accord 8999/2021 ne le précise pas, cependant, il fait explicitement référence à la résolution MININT 13/2015, qui établit les caractéristiques qui définissent les zones et les rues d’intérêt pour la sécurité et l’ordre interne.

La résolution 13/2015 stipule que dans ces zones et rues, toute activité réalisée doit être préalablement consentie par le MININT par le biais d’un permis qui sera accordé ou refusé dans un délai de 20 jours ouvrables. Ces activités peuvent aller des activités politiques, sportives et religieuses (réalisées dans des espaces publics), à la modification de biens immobiliers, de logements et de terrains, ou à l’ouverture d’un commerce, à tout type d’installation technique, de travaux de construction, d’entretien ou de réparation sur des biens individuels ou publics.

Que ne dit pas l’accord 8999/2021 ?

En général, les lois imposées par le régime cachent plus que ce qu’elles annoncent, parfois parce qu’elles sont alambiquées et ambiguës, et parfois parce qu’elles sont brèves. Pour interpréter l’objectif qu’elle cachent, il est presque toujours conseillé de procéder à une seconde lecture pour comprendre certains détails. Il devient nécessaire de le faire avec le présent accord.

Le 10 août 2019, environ 200 utilisateurs du Réseau social de rues de La Havane se sont rassemblés spontanément – et de façon surprenante pour la Sécurité de l’État – devant le ministère des Communications pour exiger le maintien de leur réseau sans fil. Une deuxième manifestation était prévue sur le même site, mais la police a agi efficacement pour l’empêcher.

Le 27 novembre 2020, un groupe d’artistes et d’intellectuels s’est rassemblé devant le ministère de la Culture pour protester contre l’expulsion violente de militants barricadés au siège du mouvement San Isidro. En quelques heures, la petite manifestation s’est transformée en un rassemblement d’une masse de centaines de personnes, dont de nombreux représentants de la culture cubaine. L’utilisation de gaz poivré, la coupure délibérée de certains services internet et la répression dont les organisateurs de cet événement ont fait l’objet par la suite, n’ont pas empêché un autre sit-in d’avoir lieu au même endroit le 27 janvier 2021.

Le 19 février, un groupe de défenseurs des animaux a organisé une manifestation devant le ministère de l’Agriculture (MINAGRI) pour demander l’approbation immédiate du décret-loi promis sur le bien-être des animaux. Bien qu’au début, les choses semblaient échapper à tout contrôle, les autorités de MINAGRI ont agi avec prudence et ont préféré le dialogue plutôt qu’un autre événement médiatique qui révélerait la nature répressive du régime.

La chronologie ci-dessus n’est pas fortuite, mais démontre plutôt comment les sit-in devant les ministères comme méthode de protestation se consolident dans la société civile cubaine. Y mettre fin, précisément, est l’un des objectifs que semble poursuivre l’accord 8999/2021 en soumettant les zones où se trouvent tous les ministères du pays à la volonté du ministère de l’intérieur.

Cependant, d’autres zones et rues déclarées d’intérêt pour la sécurité et l’ordre intérieur sont toujours en attente. Selon la logique de la loi cubaine, il suffit d’examiner ce que sont ces lieux pour savoir ce que le gouvernement recherche en les transformant en zones gelées.

Dans les quartiers tels que Siboney-Atabey, Kholy et Nuevo Vedado se trouvent les résidences officielles de l’élite politique et militaire du pays. S’il existe une infime possibilité que cette information soit accidentelle, le fait que l’accord 8999/2021 comprenne certaines avenues dans des municipalités telles que Marianao et Lisa confirme que les dirigeants du régime et leurs familles cherchent à se protéger de toute initiative populaire.

Si nous devions situer sur une carte de La Havane les zones susmentionnées et les joindre à celles où se trouvent les ministères et les principales institutions de l’État, il y aurait des espaces vides. Les routes de Marianao, La Lisa et Boyeros mentionnées dans l’accord complètent ensuite ce parcours quotidien de l’élite du régime, qui marque le chemin entre leurs domiciles et leurs lieux de travail habituels, y compris l’aéroport international José Martí.

D’autres pistes envisagées dans cet accord attirent l’attention en raison de l’intérêt touristique marqué qu’elles présentent pour le Gouvernement. L’un d’eux est la bande côtière du quartier du Vedado, où le gouvernement a déployé une série de projets de construction pour inonder la zone d’hôtels de luxe.

D’un trait de plume, le régime s’est blindé contre toutes sortes de manifestations citoyennes dans la capitale. Tout ce qui pourrait mettre en danger son élite politique et militaire, mais aussi l’image de paradis tropical qu’elle vend aux touristes et aux visiteurs étrangers, n’a tout simplement plus d’espace. En outre, avec un simple texte, la limitation d’un nombre infini de droits des citoyens est devenue une loi, créant une avenue exclusivement réservée où Sandro Castro pour conduire sa Mercedes-Benz sans être molesté.


Enrique   |  Actualité, Politique, Répression   |  03 12th, 2021    |