Cuba: une vision socialiste des réformes (partie 1)

Par Armando Chaguaceda (membre de la Catedra Haydée Santamaria) et Ramón I. Centeno

Le prochain congrès du PCC, le VIe congrès, marquera la reconfiguration de l’éventail des scénarios possibles pour le modèle économique cubain. Avec l’augmentation du travail en libéral et la poursuite des transformations du système entrepreneurial tourné vers les échanges extérieurs, les changements se consolident sur le terrain cubain. Ces changements signifient qu’il y aura des défis à relever pour mettre en place une rénovation socialiste démocratique. Il faut, pour cela, envisager les opportunités offertes pour mettre en place un agenda qui favorise l’autogestion. Nous avons urgentement besoin d’un modèle de gestion fondé sur un fonctionnement démocratique dans les centres de travail pour assurer la réussite des changements et échapper ainsi au faux dilemme qui conduit à choisir entre restauration capitaliste et monopole bureaucratique.

1. L’organisation productive et les réformes économiques

Le changement de cap économique à Cuba, décidé il y a environ deux décennies, conduisit à des réformes économiques et sociales. On autorisa le travail en libéral et les investissements étrangers en même temps qu’on réforma les ministères et les entreprises. Les coûts sociaux entraînés par la crise furent supportés par l’ensemble de la société. Les services sociaux et les subventions furent maintenus, quoique leur qualité en souffrit. Malgré la protection apportée aux populations vulnérables (personnes âgées, enfants) pendant la Période Spéciale, la pauvreté et l’inégalité augmentèrent (Espina, 2008; Ferriol en Mesa Lago, 2005). De ce fait, des réformes de plus grande ampleur étaient nécessaires pour soutenir l’économie et les politiques sociales de l’île.

Le 1er août 2010, le général Raul Castro annonça, devant l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire (ANPP), la suppression d’environ un million d’employés de l’Etat. Pour compenser les effets d’une telle mesure, il annonça l’élargissement de “l’exercice du travail en libéral, et le recours à celui-ci comme une alternative pour employer les travailleurs excédentaires, éliminant ainsi plusieurs interdictions en vigueur pour l’octroi de nouvelles licences et la commercialisation de certains produits, flexibilisant l’embauche de la force de travail” (Castro, 2010). Cette ouverture au micro investissement, étant donné sa dimension compensatoire, a permis que le travail en libéral ne soit plus considéré comme des « piranhas » capitalistes nécessaires (Henken 2008), et se voit transformé en un mode d’ « élévation du niveau de la productivité et de l’efficacité », s’éloignant ainsi des « conceptions qui condamnaient le travail en libéral à l’extinction et stigmatisaient ceux qui décidèrent de s’en saisir, de façon légale, dans les années 1990 «  (Granma, 24-sept-2010). On a intégré au modèle cubain, en leur accordant une plus grande légitimité, les propriétaires de petits restaurants et cafétérias, d’ateliers de réparation de voitures, de petits producteurs de chaussures, de taxis et de loueurs de chambres aux touristes.

Afin de faire croître le secteur économique non étatique, il est prévu d’y incorporer, en six mois à compter de l’annonce officielle, 250 000 nouveaux travailleurs en libéral et 215 000 coopérativistes. Cependant, on manque encore d’un marché de crédits et d’intrants. Par ailleurs, les impôts prévus sur ce secteur économique sont excessifs (de cinq types): ils vont jusqu’à 40% des revenus, chiffre supérieur à la moyenne latino-américaine. Si les ressources fiscales pourraient ainsi être multipliées par quatre en deux ans (2009-2011), passant de 247 à 1000 millions de pesos, cette charge pèsera sur la survie de la majeure partie de ces entreprises à court terme (Mesa, 2010, B).

Dans ce contexte, les “Orientations pour la Politique Economique et Sociale”, qui seront présentées au VIe congrès du Parti Communiste de Cuba, sont en phase avec la réorientation du modèle, avec une nouvelle redistributions des coûts sociaux de la réforme. Les Orientations proposent d’en finir avec les “subventions et gratuités indûes” (point 44) et de procéder à “l’élimination ordonnée du carnet de rationnement” (point 162), ce qui entraîne de multiples problèmes car cela revient à grever encore plus la consommation déjà modeste des secteurs les plus pauvres de la population, qui ne reçoivent pas de devises de l’étranger et ne réussissent pas non plus à en obtenir à Cuba. Ce problème deviendra plus criant avec le retour du chômage de masse, un demi-siècle après son erradication, car tous ne réussiront pas à se mettre à travailler à leur compte.

En même temps que l’augmentation des petits commerces, les Orientations donnent implicitement une plus grande importance au système entrepreneurial en lien avec l’économie mondiale, étant donné le caractère vital des devises obtenues grâce aux exportations (Pérez López, 2003; Everleny, Omar, 2010), car c’est avec ces devises que se finance l’importation de biens et de services nécessaires à Cuba, qui ne sont pas produits dans l’île, notamment l’alimentation. En ce qui concerne le reste du tissu entrepreneurial, il existe une forte obsolescence du capital matériel et une sous utilisation d’environ 26,9% de la main d’oeuvre formellement employée dans le secteur d’Etat en 2010 (Mesa-Lago, 2010).

Si le travail en libéral répond à la demande interne, les entreprises du secteur externe – souvent avec du capital étranger – sont liées au marché international. Les petits commerces privés sont constitués de micro et petites entreprises, alors que les organisations industrielles à travers lesquelles circulent les flux de devises sont de taille moyenne et grande. Les deux participent à la reconfiguration des unités productives cubaines, ce qui rend nécessaire de discuter des possibilités d’une rénovation socialiste démocratique dans ces conditions.


CC   |  Analyse   |  02 22nd, 2011    |