Cuba: une vision socialiste des réformes (partie 2)

Par Armando Chaguaceda (membre de la Catedra Haydée Santamaria) et Ramón I. Centeno

2. L’autogestion pour un socialisme démocratique

La reconstruction du paradigme socialiste passe par la récupération d’une organisation sociale fondée sur des collectivités de travailleurs qui fonctionnent comme des associations de producteurs libres, liés par des liens de solidarité et organisés depuis le bas, disposant d’un espace large et d’instruments de participation, unis dans une confédération nationale. Actuellement, cette participation des travailleurs pourrait prendre, selon le choix de les relier à telle ou telle expérience historique, deux formes : 1. La planification démocratique, ou 2. l’autogestion. Dans la première, la centralisation est forte tandis que dans la seconde il s’agit plutôt d’un fonctionnement en réseau.

La première élabore, à partir de processus de participation active de l’ensemble des citoyens (dans différentes structures et échelles de participation) un plan nationale qui définit les lignes directrices majeures de la politique économique. On obtient donc un instrument normatif qui oriente le développement économique des unités productives – et de leurs agrégats – dans le cadre d’un contexte et d’une temporalité définis. Il existe de réelles difficultés à mettre en place un processus de ce type, car, même s’il était possible d’établir une sorte de plan, il faudrait ensemble le mettre à exécution, ce qui suppose la création d’un autre processus fort compliqué pour déterminer le niveau de production de chaque entreprise, et encore plus difficile, les liens entre les entreprises, selon des moyens distincts de l’économie monétaire mercantile. Malgré ces limites, le modèle de la planification démocratique offre cependant déjà des formes de participation supérieures au modèle de planification étatique et vertical actuel que constitue le socialisme d’Etat cubain.

De son côté, l’autogestion parie sur la participation active des travailleurs à l’administration des entités dans lesquelles ils sont partie prenante, rendant ainsi visible l’agir direct de collectifs (usine, grange, entité de services) et les processus concrets de prise de décisions, d’exécution et de contrôle. La nette différence avec la planification démocratique, à laquelle est associée une certaine étatisation (comme premier pas vers une supposée socialisation future) de l’ensemble des moyens de production du pays, est que les initiatives autogérées naissent le plus souvent d’expérimentations imprévues, avec une genèse spontanée, à la tête desquelles on trouve des travailleurs décidés par des situations conjoncturelles (faillite ou abandon d’entreprises par leurs administrateurs ou patrons) à élargir leur contrôle sur leur travail et finalement sur la source de reproduction de leurs moyens de survie, reconnaissant ainsi l’intérêt de l’existence de certains espaces de marché pour permettre la production.

En d’autres mots, l’adoption de cette variante implique de prendre en compte l’existence d’un marché avec divers degrés de régulation et de restriction pendant la Période de Transition. Il est clair que la relation entre marché et autogestion est étroite, car les instruments financiers présents dans une planification de type indicatif permettent la mise en place de processus de plus grande décentralisation et démocratisation, avec plus d’autonomie pour les collectivités de base ; en tous les cas bien supérieurs à ceux qu’on trouve sous un système d’assignation centrale des ressources physiques comme les matières premières, les moyens de production, etc.[1]

On peut définir trois variantes typiques de mise en place de ce processus (Recio, 2001) :

  1. L’administration de l’activité de l’entreprise est entièrement prise en charge par ses travailleurs (tant manuels qu’intellectuels, de production et de services). Ils intègrent et contrôlent, par le biais de mandats représentatifs révocables, les organes de direction en lien avec l’existence active d’un espace de discussion, d’analyse et de décision de type assemblée (autogestion classique).
  2. La participation du collectif de travailleurs est partagée avec des entités étatiques ou privées de gestion de l’entreprise à travers des instances (conseils) de direction, où les deux parties disposent de prérogatives de décision (cogestion).
  3. Les travailleurs disposent d’espaces de consultation, de prise en compte de leurs demandes et propositions, dont le droit à apporter leur veto contre certaines mesures et décisions sans qu’ils ne participent directement à la gestion de l’entreprise (contrôle ouvrier).

L’apport de l’autogestion à la rénovation démocratique du socialisme cubain réside dans sa double dimension économique et politique[2], car la direction exécutive collective dans une entreprise ne peut être uniquement économique. Il faut parier, dès sa genèse, sur la mise en place de processus politique de délégation du pouvoir et de contrôle large et effectif des prises de décisions, et articuler ce dispositif à d’autres institutions, à une échelle plus large, du système politique.


[1] Etant donné que l’autogestion cherche à la viabilité économique du socialisme, cela implique un projet de société, et il faudrait certainement introduire des contrôles externes au processus de prise de décision. Une solution possible serait l’habilitation d’acteurs parlementaires « soviétiques » (selon l’acception léniniste du terme pendant les premières années de la révolution) en qualité d’ « auditeurs du peuple », afin d’articuler la gestion des unités productives à la participation politique au niveau macro. Les bolcheviques eurent, eux,  recours aux soviets.

[2] Lire Hudson (2010).


CC   |  Analyse   |  03 12th, 2011    |