Un bureau politique et un comité central “vert olive”

Si le sixième congrès du Parti Communiste Cubain s’est terminé avec l’annonce de la mise en place de réformes libérales dans la sphère économique et l’annonce de réductions dans les services sociaux, nous devons mettre en évidence la présence renforcée de militaires et de technocrates dans l’appareil d’Etat, alors que la place accordée aux intellectuels et aux ouvriers se restreint.

Le général Raul Castro, 79 ans, remplace son frère Fidel Castro, 85 ans, comme premier secrétaire du PCC. José Ramon Machado Ventura, « Machadito », 80 ans, devient second secrétaire du PCC. Plusieurs gradés figurent au bureau politique : le commandant Ramiro Valdés, « Ramirito », 78 ans, ancien chef de la Sécurité de l’Etat (police politique), chargé de vérrouiller le secteur informatique ; le général Abelardo Colomé Ibarra, « Furry », 71 ans, ministre de l’intérieur ; le général Julio Casas Regueiro, 75 ans, ministre des Forces armées révolutionnaires (FAR) ; le général Leopoldo Cintra Frias, 70 ans, vice-ministre des FAR ; le général Ramon Espinosa Martin, 72 ans, vice-ministre des FAR ; le général Alvaro Lopez Miera, 68 ans, chef d’état-major et le colonel Marino Murillo Jorge, 51 ans, ancien ministre de l’économie.

Le Bureau politique comprend aussi Esteban Lazo, 67 ans, vice-président ; Ricardo Alarcon, 73 ans, président du Parlement ; Miguel Diaz-Canel, 50 ans, ministre des universités ; Salvador Valdés Mesa, 66 ans, secrétaire général de la Centrale des travailleurs de Cuba, chargée d’annoncer les licenciements massifs en septembre 2010 ;  Adel Izquierdo Rodriguez, 65 ans, ministre de l’économie ; et Mercedes Lopez Acea, 46 ans, secrétaire du PCC à La Havane. Le ministre Diaz-Canel, un ancien militaire, membre du bureau politique, prétend reprendre en main les universités, où la jeunesse manque d’enthousiasme à l’égard des changements annoncés à La Havane.

Le comité central compte encore une vingtaine d’autres généraux et officiers de haut rang. Le colonel Luis Alberto Rodriguez Lopez-Calleja, PDG de GAESA, le holding des entreprises contrôlées par les militaires, fait son entrée au comité central. Il est marié à Deborah Castro Espin, fille de Raul Castro. En dépit de son rôle à la tête des noyaux durs de l’économie, Monsieur Gendre reste inconnu des Cubains. Pour l’instant. Beaucoup d’autres membres du comité central sont des héritiers, dont le patronyme rappelle le nom d’anciens dirigeants. Cependant, le seul enfant mâle du général Castro, le colonel Alejandro Castro Espin, chef de sa garde rapprochée, n’a pas fait son entrée au comité. Pas encore.

Si les militaires sont de mieux en mieux représentés au plus haut niveau, les intellectuels ont perdu leur interlocuteur et parfois leur protecteur, le ministre de la culture, Abel Prieto, qui n’a plus sa place au bureau politique ni au comité central. Ils devront passer par Miguel Barnet (le président de l’Union nationale des écrivains et artistes de Cuba, UNEAC) ou Eusebio Leal, historien et gestionnaire avisé de la restauration de la Vieille Havane, qui restent au comité central.

Les Forces Armées Révolutionnaires (FAR) sont la véritable garantie de survie du régime, ainsi que l’institution officielle la plus puissante de Cuba. Les principaux généraux des FAR, aux ordres de Raúl Castro (celui qui a occupé la charge de ministre de la défense pendant de longues années), joueront des rôles cruciaux dans tous les cas concevables de transition. Une fois Fidel Castro mort ou rendu inapte, les généraux assumeront le contrôle d’un régime de succession prétorien ou ils se transformeront en complices volontaires de la transformation du régime.

Aucun dirigeant d’une autre institution, y compris le parti, divers organismes étatiques et gouvernementaux ou les organisations de masse, ne seront en mesure de rivaliser avec les chefs militaires. Une série de facteurs expliquent la suprématie de l’armée :

Le Ministère des Forces Armées Révolutionnaires (MINFAR) a commencé à fonctionner comme l’organisation d’avant-garde du régime au moins cinq ans avant que le Parti Communiste de Cuba ne soit créé en 1965. Les deux tiers des membres du Comité Central original du parti étaient des officiers del’armée ou des vétérans de la guerilla. Contrairement à ce qui s’était produit dans la majorité des autres pays communistes, le parti s’est formé à partir des forces armées, et n’a jamais rivalisé avec ces dernières quant à influence. Depuis 1989, année où les services policiers, de sécurité et d’espionnage du Ministère de l’Intérieur (MININT) sont passés sous le contrôle des FAR, celles-ci ont exercé un monopole absolu sur la force coercitive à Cuba. Avec un personnel militaire régulier dont le nombre est estimé entre 50.000 et 60.000, et des forces auxiliaires, de réserve et de milice, le nombre de Cubains qui portent un uniforme dépasse les 2 millions.

Les FAR sont plus représentative du peuple que toute autre institution nationale d’importance. Pendant plus de quatre décennies, elles ont été le moyen favori des jeunes issues des classes pauvres et de zones rurales comme ascenseur socio-économique. On sait qu’il y a des exemples de fonctionnaires militaires de haut rang qui ont atteint leur position privilégiée malgré leurs origines humbles, et que, traditionnellement, la majorité de ceux-ci vivait de manière modeste, avec une relation étroite avec le peuple.

Depuis le milieu des années 90, Fidel Castro a chargé les FAR d’administrer des secteurs critiques de l’économie. L’influence de l’armée sur de vastes secteurs de la politique a augmenté de manière remarquable. Une source bien informée à ce sujet (un ex fonctionnaire des relations extérieures de Cuba) a souligné que les FAR exercent “un centralisme écrasant dans tous les secteurs en rapport avec la formulation de politiques économiques.” De manière semblable, vers le milieu des 90, un ex fonctionnaire soviétique qui connaît bien les fonctionnement des FAR, a fait l’observation que, après la disparition de l’Union Soviétique, celles-ci ont continué à jouir “d’un statut spécial à Cuba”. Il a aussi déclaré que les forces armées “étaient encore considérées par la majorité des Cubains comme défenseurs des intérêts nationaux et de la stabilité du pays”.

Mais, les changements fondamentaux produits durant des années récentes, paraissent avoir miné l’image précédemment positive de l’armée. Dans le passé, les FAR constituaient l’institution publique la moins touchée par la corruption. Toutefois, pour beaucoup de Cubains (les intellectuels, la croissante communauté de dissidents, les autres éléments non conformistes et les jeunes apolitiques), le respect aux forces armées est nuancé par une véritable crainte : celle de voir l’armée utilisée comme arme contre tout type d’opposition, y compris les civils cubains.

Pendant l’été de 1994, après de sérieux troubles de manifestants contre le régime qui ont eu lieu à La Havane (un policier mort et des autres blessés), le gouvernement a publiquement menacé d’employer la force si nécessaire pour maintenir l’ordre. Dans la presse cubaine on a largement diffusé des mots de Raúl Castro disant “aux ennemis de la révolution” qu’ils ne devaient pas commettre d’ erreurs. “Nous avons suffisamment de canons et d’autres moyen pour défendre de pays”. Si ses mots n’avaient pas été spécifiquement adressés aux opposants cubains, son intention a été éclaircie, plusieurs jours plus tard. Dans un discours transmis pendant les funérailles d’un policier, Ulises Rosales del Toro, général et haut responsable de l’armée, a exprimé : “Nous signalons à la cinquième colonne interne… que nous agirons avec fermeté”.


Enrique   |  Actualité   |  05 15th, 2011    |