La poésie derrière les barreaux

Notre ami et compagnon de l’Observatoire critique de La Havane a été arrêté vendredi soir par la police lors d’une lecture poétique de l’Observatorio, dans le cadre du Festival poétique « Poésie sans fin », un festival organisé par le groupe multidisciplinaire OMNI-ZONAFRANCA.

“Poésie-matrice. Poésie-mystère. Poésie-chant. Poésie-douleur” disait le flyer distribué avant l’évènement. Voici l’article publié sur Havana Times et sur Observatorio crítico par Isbel Díaz Torres par rapport à ce qui s’est passé vendredi soir dans la Vieille Havane :

Le plus triste a été de voir comment ils ont embarqué Mario Castillo menotté. Mais en même temps, ce qui fut le plus beau était de voir son visage serein, sans haine pour des hommes qui ne pouvaient pas le comprendre.

Hier environ, 17 personnes lisaient de la poésie dans un bar dans un coin de la Vieille Havane. L’un de ces bars pauvres qui ne sont  pas dans  “Les routes et les trottoirs”, le guide touristique que propose le bureau de l’historien de la ville. La lecture était organisée par l’Observatoire critique pour saluer la Festival Poésie sans fin, c’était magnifique.

Mario, mon frère, improvisa quelques beaux vers d’une voix de reggaeton et à l’esprit libertaire. Daisy lu “Le bureaucrate” de Roque Dalton. Marfrey apporta ses propres poèmes, ils eurent un impact sur tous.

Nous avons organisé tout cela avec le soin d’être correctement installés, à quatre personnes par table, comme nous l’avait maintes fois demandé avec suspicion, mais de manière aimable, l’administrateur du lieu. Tout ceci, en acceptant de consommer (boire du rhum) pour qu’on nous laisse lire de la poésie.

Aux environs de 18 heures, nous avons quitté le bar, car certains d’entre nous voulaient terminer la journée pour regarder le coucher du soleil sur le Malecón, la promenade du bord de mer.

Nous nous séparions sur le trottoir quand un beau et jeune policier vint demander nos papiers. Sans aucun désir d’affrontement, nous lui avons remis nos cartes d’identité, mais Mario avait perdu la sienne. C’est là que commença la deuxième partie de notre journée.

L’agent de police avait été informé (on ne sait par qui) que nous étions en train d’avoir une “conversation non autorisée”. Par ailleurs, selon ce garçon inexpérimenté, les participants qui n’étaient pas cubains étaient en train d’enfreindre la loi en consommant dans un “établissement non conçu pour les touristes”.

Bien sûr, il était inutile d’expliquer que nos compagnons qui nous rendent visite n’ont pas d’argent pour payer une consommation dans un “établissement pour les touristes”.

L’agent ne demanda même pas leurs papiers à tous les participants. Et quand il vit que l’un des nôtres n’avait pas ses  papiers, il sembla satisfait, et il appela la patrouille pour qu’elle emmène notre ami au poste de police. Les gens étaient restés au coin de la rue pour accompagner Mario, une attente qui dura deux heures.

Pendant ce temps, nous avons fini de boire ce qu’il restait de rhum, avec Mario nous avons lu un peu plus de poésie, et nous avons même beaucoup discuté avec l’agent qui, au bout d’une heure fut remplacé par un autre agent.

Ce second policier m’expliqua que la policier qu’il venait de remplacer n’avait que quelques jours de travail dans la police et qu’il était très inexpérimenté. Il appela à plusieurs reprises l’unité de police pour mettre fin à l’arrestation de Mario, mais ils n’acceptèrent pas sa demande. Lors de l’une des tentatives, on les entendit se lamenter en disant “Aïe Cuba… Cuba…”

À notre équipe venait de se joindre Javier, un habitant du quartier qui durant la lecture ressentit de la curiosité pour ce que nous faisions et de l’attraction pour le rhum que nous buvions. Il resta jusqu’au bout avec nous, en nous donnant des recommandations sur la façon de traiter avec la police.

Les gens de l’Observatoire qui n’était pas présent  suivaient aussi les événements par téléphone et lançaient des appels entre eux pour développer la solidarité avec Mario.

La nuit venue, la patrouille arriva. Après deux heures passées à parler et à rire à l’angle de la rue avec l’agent, ils jugèrent nécessaire de fouiller de passer les menottes à Mario. Ce spectacle ridicule et triste me remplit de douleur. L’un des jeunes les plus honnêtes, les plus sages et les plus révolutionnaires que je connaisse, était traité publiquement comme un criminel.

Nous avons marché jusqu’au commissariat des rues Dragones et Agramonte et nous avons attendu, tandis qu’une pluie fine nous atteignait à intervalles réguliers sans parvenir à nous tremper. Durant plus de deux heures Mario a été retenu dans une cellule, sans justification aucune il est resté derrière les barreaux, en attendant qu’on lui délivre une simple amende.

Toutes les 20 minutes, l’un de nous, demandait avec insistance des informations sur notre compagnon. Nous n’avons jamais été entendus à l’accueil principal du commissariat, nous devions appeler à une porte en fer sur le côté du commissariat.

Enfin, Mario est sorti. Nous nous sommes étreints et nous avons ri tout en rentrant vers notre domicile. Une simple arrestation pour avoir été en situation irrégulière avait provoqué un changement profond dans notre lecture poétique.

Notre solidarité a été mise à l’épreuve pendant quatre heures, et elle en est sorti renforcée. Cela a été un petit entraînement. Nous avons compris que la poésie n’était pas aussi inoffensive qu’il n’y paraissait, certains ont parfois  besoin de la mettre derrière les barreaux.

Isbel Díaz Torres

Publié sur Havana Times et Observatorio crítico


Enrique   |  Culture, Politique   |  12 19th, 2011    |