LA CONFÉRENCE DU PARTI COMMUNISTE CUBAIN

Le Parti communiste de Cuba (PCC), parti unique qui a approuvé en avril dernier, lors de son congrès, les réformes économiques lancées par le président Raul Castro, se prépare à une réforme politique lors d’une “conférence” exceptionnelle, le 28 janvier, la première depuis la création du PCC en 1965.

Cette conférence vise, à implanter un “changement de mentalité” après 52 ans de Révolution, afin de “préserver le socialisme” et accompagner “l’actualisation” du modèle économique cubain calqué jusqu’à aujourd’hui, sur le système soviétique des années 70.

Jamais le PCC n’avait réuni de conférence, une réunion extraordinaire prévue par les statuts du parti pour étudier des thèmes importants entre les congrès.

La conférence a été lancée avec la publication d’un document de base de 98 propositions discutées au sein de réunions de cellules du PCC qui regroupe officiellement quelque 800 000 militants, pour une population de 11,2 millions d’habitants.

LES MESURES- PHARE

La limitation des mandats

A 80 ans, c’est Raul Castro lui-même qui a lancé l’idée de limiter à deux fois cinq ans les mandats des dirigeants, y compris les siens – président du Conseil d’Etat, président du Conseil des ministres et premier secrétaire du Parti communiste. En regrettant que la révolution cubaine n’ait pas su préparer la relève de la génération “historique” des dirigeants, pratiquement tous octogénaires.

Ce même Raul Castro qui a été ministre de la Défense durant près de 50 ans avant de succéder au sommet de l’État en 2006 à son frère Fidel, retiré pour raisons de santé.

La moyenne d’âge au sein du Bureau politique est aujourd’hui de 78 ans, la plupart des dirigeants sont des vétérans, des guérilleros au pouvoir depuis la Révolution de 1959. Il est étonnant de voir que ces dirigeants qui se sont maintenus au pouvoir durant 52 ans sont aujourd’hui partisans de cette réforme.

Cette réforme, basée sur un mandat de 5 ans renouvelable, peut permettre aux vétérans au pouvoir de se maintenir à la tête du pays jusqu’à leur mort.

La question migratoire

La question migratoire est très importante. Le gouvernement a l’obligation urgente de remettre en question la nécessité pour les Cubains, souhaitant sortir du pays, d’avoir un permis de voyage, de remettre aussi en question la loi qui permet aux autorités d’interdire aux Cubains de retourner dans leur pays s’ils sont considérés comme des opposants. Une reconnaissance des droits des Cubains, en particulier ceux de la diaspora, qui ouvrirait un chemin d’équité et d’harmonie pour les familles et serait une reconnaissance des droits de l’homme sur le territoire cubain.

Les nouvelles technologies

La conférence prévoit également d’étudier une adaptation du parti aux nouvelles technologies de communication, alors que le débat public à Cuba reste maigre, enfermé dans une presse officielle très austère, dont la prudence a aussi été dénoncée par le président.
L’internet à Cuba est réservé à un “usage social”, les universités, administrations et quelques rares professionnels, en fait c’est un intranet sans réel accès à la toile au niveau international. Seuls quelques bloggeurs ont accès à ce niveau, ils sont actifs, tant du côté du régime que de l’opposition, mais avec un lectorat essentiellement international.

La lutte contre la corruption

La lutte contre la corruption, cheval de bataille de Raul Castro qui l’a récemment jugée “pire que la contre-révolution”, sera également à l’ordre du jour de la conférence. Une campagne est menée actuellement par les organes officielles du Parti contre, la bureaucratie qui seraient à l’origine de tous les maux actuels : le marasme économique, la perte de productivité, la corruption… Mais la bureaucratie est un produit de ce système autoritaire, centralisé, qui jusqu’à aujourd’hui a empêché toute forme de liberté économique et politique.

L’économie de marché

Extension du domaine de l’économie de marché, avec la possibilité pour les Cubains de créer leur propre entreprise, ouverture des marchés des véhicules et des logements, dégraissage dans le secteur public (1 million 300 000 chômeurs sur les 3 prochaines années) et ouverture du crédit bancaire aux particuliers figurent parmi les principales mesures déjà mises en place par les autorités cubaines.

Les problèmes économiques et sociaux

Les problèmes économiques et sociaux liés à une crise sans précédent s’accumulent à Cuba. L’atmosphère est étouffante sur le plan économique et social, dans un contexte de crise mondiale, dans un moment de grande instabilité et d’indignation citoyenne dans de nombreux pays. Les Cubains ont une perception très claire de cette réalité et le gouvernement pourrait dès demain, sous la pression, affronter une pression populaire exigeant un changement radical.

Le PCC doit donner une réponse rapide aux préoccupations des Cubains, au scepticisme de la population sur les possibilités de sortir du système actuel et à la pression populaire.

LA DÉMOCRATISATION NÉCESSAIRE

Mais Raul Castro a averti qu’il ne fallait pas se faire beaucoup d’illusions à propos de cette conférence. Cette conférence du parti est la dernière chance pour la génération historique des dirigeants de mettre en place des réformes profondes et durables.

Fidel Castro a occulté pendant des décennies le PCC, par un pouvoir autocratique, un certain nombre de dirigeants souhaite le redimensionnement et la démocratisation interne du parti, avec pour conséquence son élargissement à la participation citoyenne, c’est un grand défi, mais ce texte utilise encore la langue de bois, un style vieillot, comme sorti du passé, avec un langage franchement conservateur, pétri de dogmatisme.

Si le parti unique prétend continuer à exister encore un temps, il doit le faire par le biais de sa démocratisation interne, de son ouverture au débat d’idées, de la légitimation de courants d’opinion en son sein, une glasnost en interne qui devra de toutes façons se poursuivre par  une démocratisation de la vie politique. Si les partis communistes d’Europe de l’Est ont disparu c’est qu’ils ont été incapables de s’adapter ou d’accompagner politiquement les nécessités économiques et sociales. Le PCC le sait.

LES FAIBLES ATTENTES DES CUBAINS

Cette conférence est aussi marquée par un certain scepticisme sur l’avenir. On peut noter la faible attente qu’expriment les Cubains à propos de la conférence du 28 janvier et le peu de réactions qu’elle provoque dans la rue. Selon des informations provenant de La Havane, les rares commentaires se réduisent à l’assurance que “ça ne va rien changer” ou au faible espoir que “ce sera la dernière occasion pour la génération historique”. A quelques jours de son ouverture on ne perçoit pas même à la télévision officielle d’enthousiasme pour l’événement.

Dans les rangs mêmes du Parti on ne se fait pas beaucoup d’illusions. Les réformes économiques et politiques sont urgentes et même les plus fidèles ont commencé à se désespérer. Le plus improbable et pourtant le plus souhaitable serait que cette conférence donne priorité aux préoccupations de la nation aux dépens des intérêts partisans. Mais cela reviendrait à demander le suicide au PCC… et ça il ne va pas le faire. Il ne va pas s’ouvrir à la participation citoyenne sans exclusion, ni revenir sur la pénalisation des opposants. C’est là-dessus que le pouvoir et l’armée base leur domination. Les réformes devraient être si évidentes, le changement du discours si radical qu’au lieu de simples ajustements il faudrait faire table rase et le plus probable est que le parti refuse.

Daniel Pinós



Enrique   |  Actualité, Politique   |  01 26th, 2012    |