Quand la santé publique cubaine se serre la ceinture

Le gouvernement cubain s’est enorgueilli durant des décennies de son système public de santé. Bien que l’Île soit fréquemment critiquée pour son manque de droits civiques et politiques à l’encontre de ses citoyens, tout le monde s’entend sur le succès sanitaire du pays. Pour certains, le système de santé cubain est même présenté comme le meilleur au monde.

Basé sur la gratuité des actes médicaux, le système cubain s’organise autour d’un énorme réseau de cabinets communautaires et de grands hôpitaux. Chaque année, les facultés de médecine forment des centaines de milliers de jeunes médecins, infirmiers et techniciens. Toutefois, les coûts de ce système sont de plus en plus difficiles à gérer pour un État qui doit d’abord lutter contre la crise internationale et de fortes difficultés économiques à l’intérieur du pays.

Le joyau de la couronne

À Cuba, la gratuité de la santé est consacrée dans l’article 50 de la Constitution de 1976 (réformée en 1992). Selon cette dernière, les Cubains doivent avoir accès gratuitement à tous les services hospitaliers, assistance stomatologie, plans de prévention ou campagnes de vaccination massives.

Alors que les réformes vont bon train dans le désengagement de l’État de ce que Raúl Castro a qualifié de « gratuités indues », personne ne paraît remettre en question la santé. Le ministre de l’économie Marino Murillo l’a confirmé lors du VIème congrès du Parti Communiste Cubain : « Tout ce qui a trait à la santé des Cubains restera gratuit. »

Les autorités sanitaires présentent des résultats concrets illustrant l’efficacité du système en place. D’abord, le taux de mortalité infantile chez les nourrissons de moins d’un an est très faible à 4,5 décès pour mille nouveaux nés en 2010 (un taux approchant les résultats de plusieurs pays d’Europe et d’Amérique du Nord). En outre, l’espérance de vie s’élève à 77 ans, aussi élevée que dans les pays développés.

Selon le Bureau National des Statistiques (ONE), l’Île compte 1 médecin pour 147 habitants (incluant ceux qui travaillent via des missions de coopération internationale). Il y a 40 ans, ce chiffre approchait 1 pour 1400 habitants.

Pour soutenir ce système, 15,3% du budget national de 2010 était dédié à la santé publique, dépassé seulement par l’éducation avec 22% des ressources. Toutefois, l’élan réformiste souhaité par Raúl Castro frappa aussi d’une certaine façon les hôpitaux et les polycliniques. Le chef cubain chargea son vice-président, José Ramón Machado, d’une étude sur les moyens de rationaliser les services sanitaires sans réduire ni la qualité ni la quantité des prestations offertes. Pourtant, le mécontentement des Cubains ne cesse de croitre quant à la couverture médicale.

En effet, bien qu’il soit presque impossible de déterminer avec exactitude si la qualité des professionnels de la santé s’est réellement détériorée, il est cependant certain que les diplômés de la dernière décennie traînent avec eux les insuffisances du système d’éducation cubain, perturbé par l’exode massif des professeurs vers d’autres secteurs plus rémunérateurs.

Même si la médecine quotidienne est encore bien appréciée, les plaintes de patients à propos des infirmeries ou des hôpitaux mal gérés affluent en nombre. Mais comment exiger davantage de rigueur à des professionnels mal payés et en sous-effectif car nombre de leurs collègues sont partis à l’étranger ?

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Moins de personnel, moins d’installations, une meilleure couverture ?

Les chiffres officiels ne font aucun doute sur les diminutions du système médical. Le processus de rationalisation des services médicaux laissa des milliers de personnes au chômage et des installations médicales sans praticiens.

Le nombre de médecins s’est accru en volume durant les 30 dernières années et Cuba comptait 76.506 médecins en 2010. Mais celui du nombre de professionnels de santé appelés à travailler à l’étranger via le «Programme Intégral de Santé» (par lequel l’Île offre une coopération médicale à plus d’une dizaine de pays amis) a également massivement augmenté.

En effet, selon le rapport national de 2010 relatant les objectifs de développement du Millénaire, Cuba maintient près de 50.000 collaborateurs à l’étranger dont 37.000 dans le secteur de la santé. Rien qu’au Venezuela, ce sont 20.000 médecins cubains qui y travaillent.

Les patients se plaignent du manque de médecins, en particulier dans les cabinets médicaux de quartier créés dans les années 80 par Fidel Castro. D’après les données de l’ONE, le nombre de cabinets est passé de 14.078 en 2005 à 11.466 en 2010 en raison principalement du manque de personnel et de la détérioration des installations.

Les professionnels se raréfiant le plus sont les techniciens et les auxiliaires (en pharmacie, stomatologie, laboratoire, radiologie…). En décembre 2008 juste avant les réformes, on comptait 139.113 techniciens sur l’Île. Deux ans après, le chiffre a chuté à 87.638.

Au lieu de licencier ces professionnels qualifiés, le Gouvernement pourrait les envoyer quelques temps à l’étranger afin de bénéficier de fonds permettant de maintenir le système de santé en état. C’est du moins l’idée défendue par le ministre Morales Ojeda et acceptée par beaucoup de travailleurs qui seraient alors intéressés à gagner suffisamment d’argent pour réparer leur maison et offrir un confort minimal à leur famille restée au pays.

Cette stratégie d’exportation des services sanitaires (en particulier au Venezuela qui fournit en échange la moitié des réserves de pétrole nécessaires à Cuba) a permis de maintenir l’île à flot jusqu’à aujourd’hui. Mais lorsque le tourisme, l’extraction de nickel ou les cultures de sucre et de tabac montreront leurs limites, la question du maintien de ce système devra être posée.

Bien que la santé publique gratuite soit un droit constitutionnel pour tous les Cubains, la presse et même le président Raúl Castro ne manquent pas de rappeler que le maintien de ce système est coûteux. L’équation est simple : si l’économie cubaine ne retrouve pas une croissance forte, les services médicaux subiront alors des coupes non souhaitées.

« La majorité des Cubains ne perçoit pas la gratuité du système de santé comme un avantage financier. Ils ne prennent en compte que leur salaire sans regarder ce que l’Etat leur offre gratuitement », se lamentait le chef cubain devant le parlement en décembre 2008. Les coupures budgétaires dans le secteur de la santé commencèrent l’année suivante.

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Le prix d’une santé gratuite

Le budget de la santé à Cuba s’élève à plus de 6.560 millions de pesos, juste derrière le budget de l’éducation. Cela représente près de 16% des dépenses globales.

Un rapport détaillé relaté par le journal officiel Granma en février dernier révélait les coûts de santé auxquels devraient faire face la population cubaine si la gratuité n’existait pas. L’étude se basa sur un taux de change d’un peso convertible (CUC) pour 25 peso cubain (CUP). Le CUP reste la monnaie avec laquelle la majorité des Cubains sont payés alors que le CUC équivaut au dollar américain (USD) auquel on déduit 10% en faveur de la monnaie cubaine à chaque transaction bancaire.

D’après les auteurs du rapport, une simple consultation stomatologique coûterait 60 pesos, une visite dans une polyclinique 53 pesos, une visite dans un hôpital 75 pesos et une consultation chez un pédiatre plus de 77 pesos.

Les populaires chirurgies ophtalmologiques que Cuba offre gratuitement aux patients d’autres pays grâce à l’Operación Milagro (Opération Miracle) auraient un coût exorbitant : 600 pesos pour la cataracte, 940 pesos pour des carnosités dans les yeux et plus de 2200 pesos pour une myopie.

L’article analyse aussi la gestion des hôpitaux. Le maintien d’un patient dans un hôpital général durant une journée coûte 330 pesos à l’État cubain, 348 pesos pour un enfant dans un hôpital pédiatrique. Bizarrement, le journaliste omet de mentionner le coût réel d’une visite dans un hôpital pour les patients dans la mesure où ils doivent souvent apporter eux-mêmes aliments, produits ménagers et même le linge de lit.

Ces chiffres n’ont pas tellement de sens sans savoir que le salaire moyen d’un Cubain est d’environ 430 pesos (17 US$) d’où l’impossibilité pour beaucoup de se soigner si les Cubains devaient payer leurs frais de santé. A la fin de l’article, le chroniqueur rappelle à « chacun de nos citoyens, l’effort collectif nécessaire pour maintenir ce système publique couteux ». « La manne ne tombe pas du ciel », ironise-t-il.

Il est certain que l’État se finance grâce au travail de ses citoyens et non l’inverse. Si le système de santé cubain tombe en crise, c’est d’abord à cause de la mauvaise gestion de l’état dans l’allocation de ses ressources publiques. La propagande officielle est doucement bottée en touche par les appels réguliers à une meilleure rationalisation du système.

Le citoyen ne doit pas remercier sans fin la bienveillance des autorités mais plutôt exiger que son argent soit correctement investi. La seule image des travaux interminables de réparations des hôpitaux de La Havane suffit à démontrer l’inefficacité des fonctionnaires responsables des ressources du pays.

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Le côté obscur des services médicaux
Autrefois exemplaire, la santé publique cubaine perd de son prestige. Au-delà d’une détérioration des locaux à travers tout le pays, c’est aujourd’hui le moral de nombreux professionnels qui se détériore au détriment des patients eux-mêmes.

Le ministre Roberto Morales Ojeda le sait bien. Dans ses discours, il demande régulièrement de faire « un effort additionnel dans le travail politique et idéologique de lutte contre la corruption». Dans son for intérieur, le ministre reconnaît sûrement que les croisades morales entreprises pour éradiquer la vente illégale de médicaments et les pots-de-vin distribués aux médecins  ne sont pas suffisantes.

Mais la presse officielle ne parle jamais de ce problème. Aucun journaliste ne se demande comment un médecin arrive à survivre avec 625 pesos quand une livre de viande de porc coûte 40 pesos et une bouteille d’huile 60 pesos. En fin de compte, les professionnels de santé ne vivent pas sur une autre planète. Ils doivent vivre avec des moyens réduits sur une Île accablée par la crise et où le gouvernement est confronté au risque de disparaître si les réformes ne sont pas couronnées de succès.

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Pablo Martínez


Enrique   |  Actualité, Politique, Société   |  05 20th, 2012    |