Déclaration de solidarité. Défendre la volonté populaire

Majibacoa est une municipalité de Las Tunas, elle a été créée lors du redéploiement politico-administratif de 1976. En son sein, se trouve la ville de Limones qui, jusqu’à moins d’une semaine, n’était qu’un point sur les cartes pour la majorité des Cubains et l’opinion publique internationale. Plus maintenant.

Des nouvelles reçues récemment nous ont informé que le peuple de Limones a choisi en 2005 une délégué de circonscription, Sirley Valdés León, une délégué qui se définit comme une « révolutionnaire » et qui réunit des atouts propres au sujet populaire cubain : elle est femme, paysanne et vie dans la zone orientale de l’île. Cependant, Valdés León a des idées « quelque peu étranges » qui n’entrent pas dans  les schémas des fonctionnaires insulaires. Plutôt que de se limiter à gérer, plus ou moins efficacement ou avec plus ou moins de corruption, les ressources que le gouvernement central veut affecter à son village, elle a décidé de résoudre les problèmes de ses électeurs et de défendre leurs intérêts. (1)

Ainsi, elle a réussi, selon ses propres termes, à faire en sorte que « le Conseil d’Etat donne l’autorisation de construire une école ».  Il faut dire qu’à Limones il n’y avait pas (en 2005 !) une école et les enfants devaient marcher sur des kilomètres pour aller à d’autres écoles dans d’autres localités. Des réalités que le gouvernement n’a pas cessé de dénoncer comme étant « les maux d’avant le révolution de 1959 ». Valdés León, en tant que « révolutionnaire », a utilisé des méthodes qu’elle sait efficaces face au dysfonctionnement des institutions : elle a opposé au refus du ministère de l’éducation la « grâce royale » émanant du Conseil d’Etat. Et cela s’est avéré efficace : les habitants ont obtenu leur école en 2006.

Mais ce que le Conseil a donné en pleine « Bataille des idées », le gouvernement l’ a repris en période de « Mise à jour du modèle ». En 2011, les autorités municipales ont fermé l’école. Le motif : il ne reste « seulement » que quatre enfants dans l’école. Et pourtant, la presse et les rapports de l’ONU, à propos de Cuba, ne cesse de  répéter inlassablement que c’est « uniquement à Cuba » qu’ il y a 201 écoles pour un seul enfant, 294 pour deux enfants, 313 pour trois enfants, 315 pour quatre enfants et 272  pour cinq enfants. Il semblerait pourtant que certaines choses sont considérées comme des réalisations et d’autres comme des dépenses… et que les conquêtes sociales, soutenues par le sacrifice de tout un peuple durant le demi-siècle passé et claironnées dans le monde entier comme l’essence de la Révolution cubaine, ces conquêtes commencent à être sacrifiées, dans le silence et la honte, sur l’autel des réformes.

Valdés León revint à la charge : elle tenta de communiquer avec le ministère, avec l’Assemblée nationale, le Conseil d’Etat et le Président. Mais 2012 n’est pas 2005 : le nouveau président ne répondit pas à ses demandes d’entretien, le Conseil d’Etat expulsa Valdés León, personne ne l’a reçu… Parallèlement, elle s’affronta aux autorités municipales et provinciales sur la question du non-paiement aux agriculteurs de leurs produits, et elle fit tous ses déplacements à ces propres frais, parce qu’elle ne voulait pas que ces gens disent « qu’elle récoltait des fonds à son bénéfice ou quelque chose comme ça ». Valdés León s’est battue comme on lui a appris, « par les voies appropriées », mais à la surprise de l’appareil municipal et provincial, la délégué a décidé d’organiser une action désespérée : en donnant une interview à la presse étrangère. Rien de plus et rien de moins que Radio et Télévision Martí (la voix des opposants en exil), un espace d’expression qu’elle n’aurait probablement pas trouvé dans la « presse du peuple », en particulier dans le quotidien Granma (l’organe du Parti communiste cubain). Son raisonnement fut de ce type : si l’information est reprise à l’« extérieur » de  l’île, on en tiendra compte à l’ « intérieur » et le président s’occupera de cette affaire. Jusqu’à aujourd’hui, elle attend toujours des nouvelles du président.

Les fonctionnaires du Pouvoir populaire et du Parti communiste de Majibacoa et au-delà à Las Tunas, la capitale provinciale, ont réagi. Dans un entretien, ils déclarèrent que la déléguée Valdés León ne pouvait plus être déléguée, dans aucune partie de l’île. Valdés León se refuse à obtempérer, puisque c’est elle l’ «élue du peuple ».

Lorsque nous avons appris ces nouvelles, nous avons craint des possibles actions punitives contre celle qui défend la volonté populaire. Maintenant, ces mesures sont en train de se concrétiser : elle a été convoquée par le parquet pour une enquête sur le « délit » commis le jour même de l’assemblée de désignation des candidats de sa circonscription. Mais la manœuvre a échoué, les électeurs de Limones refusèrent d’assister à l’assemblée, et selon Valdés León, ils ont déclaré qu’ils ne voulaient pas d’un autre déléguée qu’elle. Les expériences antérieures de représailles contre d’autres citoyens – qui avaient confiance  en ces représentations officielles et qui faisaient confiance aux droits reconnus en vertu de l’ordre existant – semblent présager de la poursuite de cette saga, avec des pressions sur la déléguée et ses électeurs.

Ces faits nous font conscience de plusieurs questions à propos d’une institution qui a échoué, à propos de délégués n’ayant pas la possibilité de faire usage des mécanismes nécessaires pour représenter leurs électeurs, sans recours contre des décisions administratives injustes. Ces délégués doivent alors tenter d’attirer l’attention des gros bonnets historiques pour résoudre des problèmes qui sont ceux d’une école rurale. Pour cela, ils ne devraient pas avoir besoin d’une intervention de l’organe exécutif suprême. Et de cette façon, la seule solution offerte aux habitants est d’en appeler au Conseil d’Etat et à son président, dans le cadre du schéma anti-démocratique d’un pouvoir pyramidal où les institutions ont cessé de fonctionner.

Il est évident que la liberté d’expression n’est pas reconnue pour ceux qui s’identifient à des « révolutionnaires » et que la revendication et l’action au nom de ce terme « révolutionnaire » peut provoquer des réactions punitives. Les dirigeants du Parti communiste et du Pouvoir populaire peuvent décider de qui peut et qui ne peut pas se présenter comme candidat à la délégation, et ils disposent des mécanismes pour empêcher les candidatures indésirables. Il en ressort pourtant que l’unique composante digne d’être reconnue pour son potentiel démocratique dans le cadre du système politique cubain – les organes locaux et la figure du délégué – est rendue vulnérable par l’autoritarisme et le mépris des lois affiché par le reste d’un l’appareil d’Etat partisan.

Une telle procédure – en dévaluant l’idée d’une citoyenneté active et d’une communauté organisée qui influe sur les affaires publiques, apporte de l’eau au moulin de ceux qui, à droite, cherche à remplacer le modèle actuel par une démocratie néo-libérale, fondée sur la concurrence des élites et des partis. Heureusement, pendant que ces événements se produisent, un groupe de socialistes cubains regroupés au sein du collectif SPD annoncent une initiative visant à promouvoir une démocratisation reliée à une institutionnalité que les dirigeants violent. Ce qui constitue une preuve que dans la société cubaine il y a des citoyens qui respectent la volonté populaire à partir de positions authentiquement révolutionnaires. (2)

Un secteur de l’académie attire l’attention, en particulier ceux qui défendent – de façon abstraite et sans référence au temps, aux sujets et aux conflits réels – le Pouvoir populaire comme conception et exercice d’une prétendue « démocratie participative ». C’est ainsi que ressort l’absence de prise de position des organisations de masse et l’attitude des députés de  Majibacoa (3). Ce qui montre que dans cette démocratie participative, dès qu’un problème réel existe, peu de gens participent. Mais la tentative de la part des secteurs de droite de l’exil d’assimiler les positions de cette femme pleine de dignité s’avère également nuisible. Ces secteurs tentent de récupérer les positions de cette femme digne en utilisant la rhétorique du vieil anti-castrisme de la guerre froide, en ignorant (ou en manipulant) les faits réels. Les revendications et l’action de Valdés León représentent une exigence auprès des autorités que formule, selon les lois en vigueur, les Cubains ordinaires. Et il y aurait quelque chose de plus légitime et incontestable que cela ?

Nous sommes fiers que ce soit précisément une compatriote femme, loin de la capitale, qui poursuive cette lutte, sans aucun un autre soutien que celui de sa communauté et de la solidarité qu’on lui manifeste, ce qui démontre que la rébellion est latente chez les personnes, et à tout moment elle est prête à renverser la superficielle apathie nationale.

Pour toutes ces raisons, nous sommes solidaires de cette délégué, tant pour son engagement honorable en fonction de son mandat populaire, et de son droit à l’exercer, et nous appelons à respecter la volonté démocratique de sa communauté. Si les autorités ressentent en elles un peu de honte, qu’elles abandonnent leur pouvoir et leurs comités illicites. Elles sont remises en question par les actes qui sont rapportés ici. Ces actes qui rendent vulnérable la capacité populaire à agir dans le plein respect des droits de citoyens et de la vulnérable légalité socialiste.

http://observatoriocriticodesdecuba.wordpress.com/2012/09/20/defender-la-voluntad-popular/

Armando Chaguaceda, Dayrom Gil, Isbel Díaz, Karel Negrete, Pedro Campos et d’autres compagnons.

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1 http://www.cubademocraciayvida.org/web/article.asp?artID=18668

2 http://observatoriocriticodesdecuba.wordpress.com/2012/09/12/una-accion-afirmativa-por-la-democratizacion-10/

3 Les députés qui représent Majibacoa à l’Assemblée nationale sont le président de l’Assemblée nationale et le directeur du Centre d’essais immunitaires, entité de La Havane.

Vous pouvez retrouver les autres partie de l’entretien avec Sirley Valdés León sur Youtube :


Enrique   |  Politique, Société   |  09 22nd, 2012    |