Quand les Cubains tentaient d’exporter la Révolution en Afrique

Les nombreux pays africains qui accèdent à l’indépendance autour de 1960 intéressent tout particulièrement Moscou et Washington qui y voient un moyen de diffuser leurs modèles respectifs et d’accroître leurs zones d’influence. Les jeunes Etats sont sommés de choisir leur camp (à moins qu’ils n’adhèrent au mouvement des non-alignés, qui peinent néanmoins à rester en dehors de la rivalité est-ouest).

Avec la révolution cubaine de 1959, les barbudos emmenés par les frères Castro et Che Guevara renversent Batista. Progressivement Cuba intègre le bloc de l’est. Très vite, Cuba joue un rôle essentiel en Afrique… Au cours des années 1970, des centaines de milliers de Cubains combattront au Congo, en Angola, Guinée-Bissau… Ils combattent au nom d’un idéal : l’internationalisme. Ils entendent aider les pays encore sous le joug colonial à se libérer, et les Etats nouvellement indépendants à se débarasser de toute tutelle néocoloniale; tout cela sans tirer pour autant profit de leurs richesses (dans l’idéal en tout cas).

Le Che entend mener une guerre de guérilla similaire à celle qui a permis la prise de pouvoir en 1959. Il souhaite mettre sur pied dans les points chauds du tiers-monde des armées populaires afin de multiplier les fronts pour combattre l’impérialisme yankee, afin de “créer deux, trois, plusieurs Vietnam” .

Le Che, ambassadeur de la révolution cubaine à l’étranger, part pour une tournée africaine. Il parcourt une douzaine de pays entre décembre 1964 et février 1965. Il se rend surtout dans les pays considérés comme révolutionnaires: le Ghana de NKrumah, l’Algérie de Ben Bella, la Guinée de Sékou Touré, le Congo Brazzaville de Massemba-Débat, l’Egypte de Nasser, le Mali de Modibo Keita… Il entend prendre contact avec tous les dirigeants nationalistes qui se battent encore pour obtenir leur indépendance et aussi avec les nouveaux régimes socialistes du continent.

Le Che à Alger émet des critiques très dures face au “dévoiement bureaucratique” du grand frère soviétique qui n’hésite pas à exploiter les pays du Tiers-Monde selon le Che. De retour à la Havane, Castro lui reproche ces critiques. La décision est en tout cas prise d’exporter la guérilla révolutionnaire façon cubaine. Le Che n’apparaît plus en public. Les journaux l’annoncent en République Dominicaine, en Colombie. En fait, il se trouve en Afrique, en République du Congo. Il se rend incognito (il s’est fait coupé les cheveux, rasé la barbe, a subi une opération qui lui modifie la mâchoire)dans les maquis de l’est du pays ( tenus par le mouvement marxiste Simba pro-Lumumba), en lutte contre le pouvoir central (soutenu par la Belgique).

En novembre 1964, Joseph-Désiré Mobutu, commandant de l’armée, a fomenté un coup d’Etat en République du Congo. Il impose aussitôt sa dictature, avec l’accord tacite des puissances occidentales, dont les entreprises convoitent les riches sous-sol congolais.

Le Congo intéresse depuis longtemps les Cubains. Le premier ministre, Patrice Lumumba avait fustigé l’attitude de l’ancienne métropole lors de la cérémonie d’indépendance (1960). Ses critiques lui aliénèrent sans doute d’autres dirigeants d’Europe de l’ouest. Très vite, Lumumba se trouve dans une situation très difficile et se voit contraint de réclamer l’aide internationale face à la sécession katangaise (la riche province minière du pays) qui menaçait l’unité du pays. Les puissances occidentales font la sourde oreille, à la différence des Soviétiques. Mais il est trop tard pour lui… Il est finalement trahi par son ancien secrétaire, le général Mobutu, qui est devenu l’homme fort du pays depuis qu’il contrôle la capitale. Traqué par les hommes de Mobutu, les services secrets belges, les agents de la CIA, Lumumba est arrêté le 3 décembre 1960 et transféré au Katanga, aux mains de son pire ennemi, M. Tshombé. Le 17 janvier 1961, il est assassiné.. Des liens ont en tout cas été tissés entre le Congolais et les dirigeants Cubains. Ces derniers décrètent d’ailleurs trois jours de deuil national à la suite de l’assassinat de Lumumba.

D’après les informations recueillies par le Che lors de son premier voyage, c’est là que le mouvement révolutionnaire serait le plus avancé, proche de remporter la victoire.

Après avoir traversés le lac Tanganyika depuis la Tanzanie, Le Che, et les quelquesbarbudos qui l’accompagnent, déchantent vite. Les rebelles ont perdu du terrain face aux troupes gouvernementales. Le mouvement s’avère particulièrement divisé, si bien que les hommes passent plus temps à se quereller qu’à lutter contre l’adversaire. Le chef de zone Laurent-Désiré Kabila ne bouge guère de la Tanzanie voisine. Surtout, les malentendus culturels qui séparent guérilleros cubains et soldats congolais révoltés, transforment l’expédition en un véritable fiasco. Les Cubains rentrent au pays, dépités.

Si le Che et Castro avaient retenus le Congo c’est aussi parce qu’il se trouvait au centre du continent et pouvait donc constituer une extraordinaire base arrière pour aider à l’émancipation de l’Angola voisin, mais aussi de l’Afrique du sud où le régime de l’apartheid semble encore très solide. Intéressons-nous désormais à ces deux points chauds.

Pour son premier voyage hors d’Afrique du sud depuis sa libération (février 1989), Nelson Mandela se rend à Cuba (en juillet 1991). Cela ne doit rien au hasard. S’adressant à Fidel Castro, il lance: « Avant toute chose, vous devez me dire quand vous viendrez en Afrique du Sud. Nous avons reçu la visite de tas de gens. Et vous, qui nous avez aidés à entraîner nos combattants, qui avez financé notre lutte pour qu’elle puisse continuer, qui avez formé nos médecins, etc., vous n’êtes jamais venu chez nous .» En effet, Castro soutient les différentes organisations africaines en lutte contre le régime de l’apartheid qui continue de sévir avec virulence en Afrique du Sud Rhodésie du Sud (futur Zimbabwe).

Au Congo Brazzaville, en 1964, Che Guevara rencontre les leaders des mouvements nationalistes (ceux qui se réclament du marxisme en tout cas) en lutte pour leur indépendance dans les colonies portugaises:

- Amilcar Cabral, puis Luis Cabral, fondateurs du «Partido Africano da Independencia da Guiné e Cabo Verde» (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert ou PAIGC);

- Agostinho Neto, le chef du mouvement populaire de libération de l’Angola aux prises avec la métropole portugaise.

En Angola où la guerre de libération dure depuis les années soixante. Cuba envoie à Agostinho Neto, dès le milieu des années 1960, une division entière. Mais à la veille de la « révolution des Œillets », qui met fin à la dictature salazariste, en 1974, le MPLA n’a pas remporté de succès militaires significatifs.

La révolution des œillets (1974) précipite en tout cas les choses. Le nouveau régime qui s’impose au Portugal accorde l’indépendance à toutes ses colonies. La guerre est pourtant loin d’être finie…

Trois mouvements s’opposent désormais:

  • le MPLA d’Agostinho Neto, résolument dans le camp socialiste,
  • le FNLA de Holden Roberto et
  • l’UNITA menée par Jonas Sawimbi, un dissident du FNLA.

Chacun des blocs lorgne sur ce pays riche en ressources pétrolières et diamantifères. Les Etats-Unis arment et financent les deux mouvements qui se battent contre le MPLA. Le gouvernement sud-africain, qui a fait de la Namibie voisine une province, a peur de la contagion socialiste. Aussi, en accord avec les Américains, ils entrent directement dans le conflit aux côtés de l’UNITA.

Le MPLA l’emporte finalement grâce à l’appui décisif de près de 35 000 soldats cubains envoyés par Castro. C’est donc épaulé par les troupes cubaines, armées par Moscou, que Neto parvient à conserver le contrôle de la capitale Luanda. Il proclame l’indépendance le 11 novembre 1975. La guerre, malheureusement, ne fait que débuter. L’UNITA et le FNLA continuent de combattre et le conflit reste un des plus meurtriers qu’est connue l’Afrique au XXème siècle. Les Cubains poursuivent l’envoi de soldats ( On estime que près de 350 000 Cubains ont combattu en Angola durant toute la durée de la guerre). L’élection de Reagan en 1980 consitue un tournant important. Celui-ci débloque des fonds substantiels qui permettent à l’UNITA de Sawimbi de reprendre l’avantage. Lors de la bataille de Cuito Canavale, en 1987, ses troupes écrasent la coalition angolo-cubaine. C’est l’impasse. Il faut dialoguer.

En juillet 1988, un accord en 14 points est enfin trouvé entre l’Afrique du sud, le MPLA et Cuba. L’Afrique du sud promet de renoncer à la Namibie (des élections doivent être organisées sous le contrôle des Nations Unies), tandis que Cuba s’engage à retirer son contingent d’Angola. En décembre 1988, le protocole d’accord est ratifié. Il aboutit à l’indépendance de la Namibie et contribue à desserrer l’étau de l’apartheid en Afrique du sud. Six mois après, tous les militaires cubains ont quitté l’Afrique. Avec la chute du mur, en novembre 1989, Cuba n’a de toute façon plus les moyens d’exporter cette révolution en Afrique.

En guise de conclusion, rappelons que la volonté première de ne pas s’aligner sur les Etats-Unis et l’Union Soviétique aura finalement été un voeu pieux pour de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. En pleine Guerre froide, l’Afrique et ses étendues riches en ressources naturelles stratégiques restent un enjeu permanent pour les superpuissances.

Que reste-t-il de l’engagement internationaliste cubain en Afrique ? Sur le plan politique, à peu près rien, en revanche, Castro continue à envoyer des médecins. C’est finalement sur le plan culturel que les legs semblent les plus solides, particulièrement dans le domaine musical.


Enrique   |  Analyse, International, Politique, Économie   |  12 20th, 2012    |