“Jose Marti. L’œil du canari”. Un film de de Fernando Pérez

El ojo del canario (L’œil du canari), retrace l’enfance et l’adolescence de José Martí, dont notamment son oeuvre politique et poétique. José Martí, né en 1853, a donné sa vie alors qu’il avait 41 ans pour la liberté de Cuba. Il laisse aussi une grande œuvre poétique, qui est traduite en partie en français.

Un film que La Havane attendait avec une très grande expectative, parce qu’il aborde l’enfance, l’époque la moins connue de la vie de l’Apôtre de Cuba, fondateur du Parti Révolutionnaire Cubain.

José Marti (1853-1895) est la figure la plus importante du XIXème siècle cubain. Cité comme ” l’auteur intellectuel” et l’inspirateur de la Révolution cubaine, il est à l’origine de la création, au XIX siècle de la conscience continentale d’une Amérique métisse, celle qu’il nomma ” Notre Amérique”, en opposition à l’Amérique anglo-saxonne du Nord. Il prit la défense des Noirs et des Indiens, fut l’organisateur et le premier dirigeant de la Guerre révolutionnaire d’indépendance de Cuba en 1895. – Cuba est alors une colonie espagnole -, le fondateur du Parti révolutionnaire cubain (1892), celui qui formula pour la première fois une doctrine américaine anti-impérialiste. Il fut aussi poète, critique littéraire et journaliste, reconnu dans toute l’Amérique.

Ici, on peut voir des entrevues avec le réalisateur Fernando Perez, avec le jeune acteur qui incarne José Martí Daniel Romero et avec Raúl Pérez Ureta, directeur de la photographie : Vidéo

2010, Cuba, 2h00 min
Réalisateur : Fernando PÉREZ
Scénariste : Fernando PÉREZ
Directeur de la Photo : Edesio ALEJANDRO
Acteurs : Daniel Romero BILDAÍN, Rolando BRITO, Broselianda Hernández
Langue : Espagnol sous-titré
Producteur : Rafael Rey RODRÍGUEZ
Société de Production : Televisión Española, ICAIC

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Extraits d’une article publié dans Lettres de Cuba à propos du film :

Le metteur en scène est le si reconnu Fernando Pérez, qui a à son actif certains des meilleurs films du cinéma cubain des dernières décennies tels que Clandestinos, Madagascar et le sensationnelle Suite Habana.

Ce n’est pas la première fois que le cinéma ou la télévision cubains tentent de porter José Martí à l’écran, mais le film de Fernando Pérez est le premier approchant à fond une personnalité historique extraordinairement complexe et œcuménique. Aucun des héros libérateurs de l’Amérique Latine a eu tant de facettes dans son caractère ni une activité si multiple, et peu ont brillé avec une aura aussi romantique et énigmatique que celle de ce poète, journaliste, dramaturge, romancier, traducteur, politicien, penseur, leader idéologique, précurseur, pionnier et prophète : un Homagno, terme que lui-même avalerait dans son poème Yugo y estrella, dédié à sa mère.

Une autre circonstance se somme l’intérêt logique pour ce film, c’est la première fois que Fernando Pérez assume intégralement le scénario. La grande sensibilité de Fernando avait créé depuis longtemps son propre Martí et la nécessité de l’exprimer avec la plus grande fidélité par rapport à sa vision personnelle l’a poussé à prendre des risques. Le résultat est très intéressant car avec les héros il arrive, tristement, que l’excès d’amour, la vénération et le respect qu’ils éveillent en nous termine par les momifier, les transformant en êtres exemplaires mais dont l’humanité se dilue dans l’aura de gloire qui les enveloppe. La proposition continue d’émulation les place dans une dimension inaccessible pour les simples mortels et, à la fin, ils échappent de la réalité possible pour finir comme des entéléchies, des statues, des posters, et n’importe quel support capable de montrer une image iconique. Fernando a voulu le sauver de ce destin, qui plus qu’un destin est une sentence, et il a sauvé l’enfant qu’a été José Martí. Il nous offre une figure douce, tendre, presque éthérée, romantique, inoubliable, mais surtout, un enfant en chair et en os, un véritable enfant. À un tel point que par moment le spectateur, fasciné par le charisme des acteurs qui l’incarnent et par la grâce des scènes, oublie totalement qui est le personnage qui se déplace sur l’écran, fluet, pâlot, avec un sourire infantile plein d’ingénuité, d’une lumière exquise, et un regard juvénile annonçant déjà la spiritualité torturante du héros et, à la fois, le détachement, l’éloignement de l’âme grande et solitaire, vers tout ce qui n’est pas sa passion vitale : Cuba.

Les rôles des acteurs est réellement mémorable. Damián Antonio Rodriguez Vidal et Daniel Romero Bildaín (Martí enfant et le jeune Martí respectivement), des élèves de l’École Nationale d’Art (ENA), ont ému le public avec leurs interprétations pleines de simplicité et de force dramatique. Rolando Brito est magnifique dans son rôle de père de José Martí, avec une caractérisation parfaite, sans fissure, il a eu la sensibilité et la lucidité suffisante pour obtenir un Mariano qui, bien que montrant une nature un peu sauvage dans son caractère, dépassant les limites de la rectitude, il ne nous permet pas d’oublier, ni un seul instant, que nous sommes en présence d’une personnalité dont le noyau est essentiellement bon, d’un homme simple, travailleur, énergique, aimant sa famille, ayant un grand sens de la justice et un grand cœur. Il faut mentionner Broselianda Hernández : dans sa caractérisation de Leonor Pérez, la mère de Martí, elle apparaît à l’écran comme une femme grande, robuste, une femme très féconde, de buste et de hanches imposants ; mais, quand nous sommes sortis du cinéma Chaplin et que je me suis trouvée en face d’elle, je me suis rendue compte qu’en réalité, c’est une petite femme, d’une grande fragilité corporelle. C’est la magie d’une grande actrice. Manuel Portos a créé un galicien Salustiano profondément émouvant et Fermín Valdés Domínguez, l’ami de Martí, résulte un autre succès dans sa double caractérisation.

La photographie du film est prodigieuse, et on ne trouve pas une autre manière plus originale pour le dire. Je n’ai jamais vu le paysage cubain traité avec tant de lyrisme et tant de force expressive, avec tant de beauté poétique que dans cette interprétation de Raúl Pérez Ureta. La reconstruction de l’époque, jusqu’où je suis capable de l’apprécier, est parfaite et sans fissures. Elle est admirablement obtenue, non seulement dans la reproduction des objets et des lieux, mais aussi dans l’effet psychologique grâce à la palette de couleur employée et le jeu des lumières et des ombres, qui produit chez le spectateur l’illusion d’être dans les scènes, dans entrailles du temps. La scénographie a été soignée jusque dans les plus infimes détails, et ceux qui sont familiarisés avec les gravures, les peintures et les photos d’époque peuvent l’apprécier dans toute son ampleur : ces rues sont celles de La Havane du XIXème siècle, comme si le film avait été réalisé, plus qu’avec une caméra, avec le puissant enchantement des lutins, des güijes et des naïades ressuscitant le passé. Derrière ce film il y a eu un grand travail de recherche.

Pour terminer, je voudrais dire que ma poitrine s’est gonflée quand, à la fin du film j’ai vu apparaître en beaux caractères sur l’écran une dédicace à la brillante essayiste et professeur de nombreuses générations d’universitaires de la Faculté des Arts et des Lettres de La Havane, la magistra artiae Beatriz Maggi, dont je me considère une humble disciple. Cet après-midi, alors que nous parlions de ce film immortel de Fernando Pérez au téléphone, elle l’a caractérisé comme la croissance d’une âme, une phrase qui résume, comme seulement peut le faire Beatriz, la substance de cette œuvre d’art. Et elle m’a elle m’a assuré que l’on est plus la même personne après voir vu ce film.

J’ai assisté à cette première, et comme j’avais vécu l’expérience de l’extraordinaire et véhémente réaction du public quand a été projeté Suite Habana il y a quelques années, j’ai pris le soin d’observer avec beaucoup d’attention le comportement du public à la fin du film, et j’ai vu quelque chose que je n’attendais pas et, aux dires de nombreuses personnes, qui n’était jamais arrivé dans la Cinémathèque : même après que les acteurs aient salué le public et qu’ils aient été récompensés avec de chaudes ovations, les gens sont restés debout, tous tournés vers une scène déjà vide, serrés les uns contre les autres comme si chacun voulait se recouvrir de son plus proche voisin, alors que dans le lieu régnait un silence saisissant. J’ai entendu quelqu’un demander expressément à Fernando : « Regarde comment sont restés les gens, tu dois remonter sur la scène et leur dire quelque chose ! ». Et j’ai vu Fernando, avec son regard simple et franc, complètement ému, muet, très troublé, regarder cette multitude comme quelqu’un qui ne vient pas de croire à un miracle.

Oui, Beatriz Maggi a raison une nouvelle fois et comme toujours jusqu’à ce jour : on ne peut pas être la même personne après avoir vu ce film, car avec l’âme de Martí enfant, la notre croît aussi en à peine deux heures. Je le sais car quand les lumières se sont rallumées sur tous ces visages qui pleuraient, j’ai vue reflété sur ces derniers, comme sur un immense miroir, la même expression de douleur qui s’affichait, dans la scène finale, sur le visage de José Julian ancré à ses fers, regardant la caméra depuis un coin de l’écran, dans un close up congelé, comme si le temps se serait arrêté et, attrapé dans un coin invisible du monde, cet enfant est encore bouleversant.

Gina Picart


Enrique   |  Culture, Histoire, Politique, Société   |  02 22nd, 2013    |