A Cuba, l’ultime bataille de Raul Castro

Raul Castro, le 26 janvier à Santiago.

L’Assemblée nationale devrait réélire, le 24 février, le général Raul Castro, 81 ans, au poste de président du Conseil d’Etat et du conseil des ministres. Il occupe cette fonction depuis 2008, ayant succédé à son frère Fidel, gravement malade. A en croire les promesses de Raul Castro sur la limitation des mandats des dirigeants (deux fois cinq ans), un nouveau chef d’Etat devrait être désigné en 2018.

La survie du castrisme, au pouvoir depuis 1959, se joue sur le terrain économique. Alors que les frustrations sociales montent, le socialisme d’Etat cubain, hypercentralisé et bureaucratique, tente d’évoluer vers une économie mixte, ouverte à l’initiative privée, sans perdre le contrôle politique sur la société. Une stratégie à hauts risques.

Comment le régime cherche-t-il à surmonter la crise économique ? Confronté à une crise économique sans précédent, le régime a été contraint de lâcher du lest ces dernières années. Il s’est résigné à desserrer – un peu – l’étau de l’Etat dans l’espoir que le secteur privé, embryonnaire, puisse pallier les déficiences de l’“économie planifiée”. Mais ce pari est loin d’être gagné, selon Pavel Vidal Alejandro et Omar Everleny Perez, du Centre d’études de l’économie cubaine de l’université de La Havane : “Le gouvernement préfère des réformes graduelles, mais la génération historique de la révolution n’a plus le temps de mettre en œuvre une réforme progressive. Or, les autorités ont besoin rapidement de résultats positifs pour préserver le consensus social.”

Un bureau de vote installé à l'hôpital de La Havane, le 3 février.

L’une des mesures les plus spectaculaires du gouvernement a été l’annonce, en 2010, de la suppression de 1,8 million d’emplois (un quart de la population active !) de la fonction publique. Mais face aux résistances suscitées par cette cure d’amincissement inédite, l’Etat a été obligé d’étaler les licenciements. A ce jour, 365 000 postes ont été supprimés.

Pour compenser ces pertes d’emplois, la législation sur les coopératives et la création de petites entreprises a été assouplie. Le nombre d’individus qui travaillent à leur propre compte (cuentapropistas) frôlait, à la fin 2012, les 400 000 (26% d’entre eux à La Havane). La plupart ont sans doute légalisé une activité antérieure, puisque 69% d’entre eux n’avaient pas d’emploi auparavant et 16% étaient des retraités. Ils se concentrent dans trois secteurs : alimentation, hébergement et transport, souvent liés au tourisme.

Le sort des Cubains s’est-il amélioré ? En conséquence de ces changements, le chômage a fait son apparition officielle et atteint 3,8% de la population en âge de travailler, brisant ainsi le dogme du plein-emploi, pilier du socialisme. Autre nouveauté : depuis le 1er janvier, les Cubains renouent avec l’impôt, une tradition perdue depuis des décennies. C’est un souci pour ceux qui se lancent dans les affaires, comme on les y a incités.

Malgré ces ouvertures économiques, les Cubains sont toujours très pauvres. Le salaire mensuel moyen est de 465 pesos (15 euros), soit une revalorisation de 17,5 % depuis que Raul Castro a remplacé son frère Fidel, en 2006. Le salaire réel reste un quart de ce qu’il était en 1989, avant la fin des subsides soviétiques.

Sur 1,1 million d’employés du privé, 610 000 sont des agriculteurs. Depuis trois ans, 1,5 million d’hectares de terres ont été remis en usufruit à des paysans. Pourtant, la production peine à décoller. Celle de riz et de haricots augmente, mais celle de lait et de viande baisse.

L’enjeu est de taille : les importations couvrent 80% des besoins alimentaires et pourraient coûter 2 milliards de dollars en 2013, plombant la balance commerciale (déficitaire de 600 millions de dollars, soit 446 millions d’euros). Maigre consolation, les Etats-Unis ne sont plus les principaux fournisseurs, rang qu’ils avaient conquis malgré l’embargo américain. Le Brésil a pris la première place.

Devant l'entrée du pôle pétrochimique de Cienfuegos, à 250 km de La Havane. Sur le panneau sont représentés le héros national cubain José Marti et Simon Bolivar.

Quels sont les résultats de ces ouvertures au secteur privé ? La croissance reste modeste (2%). L’industrie manufacturière n’a toujours pas rattrapé la moitié de sa capacité de production de 1989. Même déclin dans la santé publique et l’éducation nationale, fiertés du système, frappées par la crise. L’investissement est insuffisant (6,6% du PIB), concentré dans le tourisme, les infrastructures et le pôle pétrochimique de Cienfuegos.

La zafra, la récolte de canne à sucre, a atteint à peine 1,4 million de tonnes en 2012, le même chiffre qu’il y a un siècle ! Tout un symbole. “Sans sucre, il n’y a pas de pays”, disait-on jadis. Or, cette stagnation de la production intervient au moment où le prix du sucre bat des records, tandis que celui du nickel, en tête des exportations cubaines, chute.

L’objectif de 3 millions de touristes en 2012 n’a pas été atteint, mais il s’en est fallu de peu (2 838 468 ont été dénombrés). Les Canadiens constituent le principal contingent (plus de 1 million), suivis par les Américains (600 000).

Mais la principale déception de 2012 est ailleurs : la prospection de pétrole en eaux profondes était le principal pari de La Havane pour sortir du marasme. Las, ni l’entreprise espagnole Repsol (associée à la norvégienne Statoil et à l’indienne ONGC), ni la malaisienne Petronas, ni la vénézuélienne PDVSA n’ont trouvé l’or noir. Les Russes auront-ils davantage de chance ? L’entreprise Zaroubejneft a commencé des prospections dans les eaux cubaines début 2013.

Raul Castro (à droite) en compagnie du président russe Dmitri Medvedev, le 21 février à La Havane.

Nationalisme et investissements étrangers, un mariage impossible ? L’Etat cubain a une faible capacité d’investissement. Très endetté (21 milliards de dollars, selon The Economist Intelligence Unit, entreprise indépendante liée à l’hebdomadaire The Economist), il a peu d’accès aux crédits internationaux et les investisseurs étrangers sont perçus avec méfiance. Le nationalisme reste le dernier rempart idéologique du castrisme. Après un pic de 400 sociétés mixtes en 2002, ce nombre est retombé à 245, représentant à peine 7% du PIB.

La Havane privilégie des alliés comme le Venezuela et la Chine, et des mégaprojets, méconnaissant le rôle des moyennes et petites entreprises dans la création d’emplois et le transfert de compétences.

Cependant, pour la première fois depuis 1959, La Havane a reconnu la nécessité d’investissements étrangers afin de reconstruire l’industrie sucrière. En 2012, la nouvelle entreprise d’Etat Azcuba a signé un accord avec le groupe brésilien Odebrecht pour la gestion et la modernisation d’une usine sucrière de la province de Cienfuegos. Après cette ouverture dans un domaine symbolique, d’autres verrous pourraient sauter. Des banques européennes et canadiennes sont déjà représentées à La Havane.

Renouer avec les Etats-Unis est-il envisageable ? Les économistes cubains admettent une “dépendance extraordinaire” vis-à-vis du Venezuela : les échanges dépassent 6 milliards de dollars (sur un total de 15,2 milliards), soit le double de ceux pratiqués avec l’Union européenne, distançant la Chine (1,9 milliard de dollars), le Canada (971 000 dollars) et le Brésil (500 000 dollars). Or, Caracas est entré dans une zone de turbulences, en raison de la maladie du président Hugo Chavez.

La proximité des Etats-Unis est un atout, avec 1,8 million de Cubano-Américains qui effectuent des envois de fonds (remesas) à leurs proches dans l’île, estimés à 2 milliards de dollars. Ces versements constituent une des principales entrées dedevises du pays.

A Matanzas, au centre de Cuba, le 9 février.

Alors que le Vietnam et la Chine n’ont pas hésité à mettre à profit l’épargne, l’entregent et le savoir-faire de leurs diasporas pour favoriser leur décollage et leur insertion dans l’économie internationale, Cuba rejette ces choix. A la fois pour des raisons politiques (la polarisation avec Washington lui sert de justification), idéologiques (le refus de mettre fin à la guerre froide et d’admettre l’échec du socialisme) et économiques (le choix de mégaprojets à la manière soviétique, au détriment des petites et moyennes entreprises). Résultat : alors que les Vietnamiens ont attiré 50 milliards de dollars d’investissements étrangers en vingt ans, les Cubains se sont contentés de 3,5 milliards.

“On prétend “actualiser” au lieu de transformer en profondeur le modèle économique, alors que ce modèle a échoué en un demi-siècle de socialisme à Cuba et dans d’autres pays”, estime Carmelo Mesa-Lago, doyen des économistes cubains, professeur émérite à l’université de Pittsburgh, aux Etats-Unis.

Le second mandat de Barack Obama ouvre néanmoins une fenêtre d’opportunités qui coïncide avec le délai dont dispose Raul Castro pour réussir. La normalisation des relations serait mutuellement profitable. A condition que les conservateurs, d’un côté comme de l’autre du détroit de Floride, n’optent pas pour la politique du pire.

Paulo A. Paranagua

Le Monde du 22/02/2013


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