Note sur le texte programmatique du Laboratoire Casa Cuba

Si nous avons choisi de commenter la déclaration du Laboratoire Casa Cuba que nous avons traduite et publiée sur ce blog il y a quelques jours, c’est que ce texte n’est pas le produit d’un positionnement en soi de l’Eglise catholique – comme cela a été parfois commenté – et qu’il témoigne plutôt des évolutions en cours dans la sphère contestataire cubaine dans son ensemble (qui comprend des laïcs et des prêtres de l’Eglise catholique).

Tout d’abord, ce texte est le résultat d’une discussion entre Cubains issus de traditions intellectuelles et politiques fort diverses, du mouvement laïc de l’Eglise catholique à des mouvances de gauche socialiste et libertaire en passant par la tradition républicaine. Cet effort de concertation doit être salué car il témoigne de la possibilité très concrète d’un dialogue entre tenants de lignes politiques parfois assez éloignées les unes des autres, mais liés par la nécessité de refonder les principes fondamentaux de l’ordre social et politique de leur pays.

Ensuite, l’intérêt des vingt-trois points formulés dans le texte est double. D’une part, ce texte travaille à donner une place à chaque secteur de la société cubaine. Si les inégalités sociales – croissantes à Cuba depuis vingt ans – font l’objet d’une attention spécifique, ce n’est pas au détriment des droits civiques et politiques, revendiqués au même titre que les autres droits économiques et sociaux, et tout particulièrement la liberté d’expression et d’organisation. La liberté de pratiquer une religion ainsi que la possibilité pour les croyants de créer des associations religieuses autonomes de l’Etat sont également soulignées. Enfin, la nécessité d’accorder une place à la diaspora cubaine est mentionnée. D’autre part, le texte constitue un document de travail à partir duquel une diversité d’acteurs, de groupes, de mouvances et de partis politiques pourraient se retrouver pour construire une nouvelle architecture constitutionnelle pour le prochain régime politique cubain. En ce sens, le texte proposé par les auteurs peut être interprété comme une tentative de synthèse, dont le mérite réside dans le fait qu’il peut toucher de larges secteurs de la population cubaine et de la diaspora sans pour autant tomber dans l’éclectisme et l’émiettement des propositions.

Enfin, ce texte vient confirmer deux tendances à l’œuvre ces dernières années : une première tendance au décloisonnement des discussions entre secteurs critiques et/ou contestataires à Cuba ; une seconde tendance au renforcement des acteurs et des espaces sociaux liés à l’Eglise catholique dans la construction d’alternatives politiques au gouvernement cubain actuel. En effet, jusqu’à l’émergence, en 2008, d’un mouvement de blogueurs, et d’un accès moins restreint à l’internet, les différents secteurs critiques/contestataires à Cuba étaient relativement fragmentés et dispersés faute d’outils d’information et de communication et de visibilité à la fois interne et externe. Ils convergent aujourd’hui de plus en plus autour de propositions communes concrètes, comme en témoigne le document rédigé par le Laboratoire Casa Cuba. Quant à l’Eglise catholique, son influence croissante était restée relativement peu visible avant les années 2000, alors que son action consistait surtout à s’occuper d’aide sociale pour les populations défavorisées. C’est la négociation pour la libération des prisonniers politiques incarcérés en 2003, menée avec succès par le cardinal Jaime Ortega entre les dames en blanc – mouvement des épouses des prisonniers – et le gouvernement cubain en 2010, qui conféra une plus grande visibilité au rôle – y compris politique – joué par l’institution religieuse. Si les espaces de débat créés parallèlement par des laïcs sur les réformes nécessaires dans l’île (comme la revue Espacio Laical ou le Laboratoire Casa Cuba) demeurent en grande partie autonomes vis-à-vis de la hiérarchie catholique dans l’île, ils contribuent à l’accroissement de cette influence, en construisant une légitimité à la participation sociale et politique de l’institution religieuse au futur de Cuba.


CC   |  Politique   |  04 4th, 2013    |