“Tout le monde sait qu’ils n’ont jamais pris une guagua, qu’ils ne se sont jamais alimentés avec les produits distribués par la libreta, qu’ils n’ont jamais fait la queue devant un hôpital, ni ailleurs, qu’ils n’ont jamais attendu des mois ou des années pour qu’on leur livre du matériel pour réparer leur maison”

Les revendications de nos intellectuels, Yoani et la sagesse du peuple cubain

(extraits)

Plusieurs intellectuels de stature international, des compagnons engagés dans notre pays, entre autres Esteban Morales, Silvio Rodríguez, Guillermo Rodríguez Rivera, José María Vitier, Leonardo Padura, Pablo Milanés, Arturo Arango et Tato Quiñones, ont exprimé récemment et par différents canaux leur préoccupation par rapport à la dérive que pourrait représenter la transformation du futur immédiat de Cuba.

[...]

Pourtant, je ressens la préoccupation fondamentale suivante : tout indique que de nombreuses personnes qui occupent des positions importantes dans l’économie et la société (gérants de sociétés ou d’hôtels, directeurs d’entreprises, cadres des ministères, fils de militaires de haut rang, etc.) sont actuellement bien placés pour accumuler un capital et pour prendre une position dominante dans la société quand le capitalisme sera rétabli. Chose au fond qu’ils désirent. Il s’agit d’une position sociale où ils sont parvenus avec différentes couvertures (mariage avec des étrangers, des failles légales pour s’enrichir en possédant des paladares 1 ou l’acquisition de logements dans des zones résidentielles, pour prendre quelques exemples, en plus de la gestion de manière corrompue de ce que la Révolution a mis entre leurs mains). Les membres de cette confrérie de Cubains utilisent de stricts codes d’auto-préservation avec une protection mutuelle. Mais provisoirement, ils adhèrent formellement à la rhétorique politique tracée par la bureaucratie.

C’est là que réside le plus grand danger pour Cuba. L’unique manière de conjurer le développement de ce cancer social serait de faire en sorte que les gens ordinaires s’emparent du pouvoir avant qu’il ne soit trop tard. Si quelqu’un en connait une autre, qu’il nous la communique. Les membres de ce gang au commande ressentent une authentique terreur à cette idée. Et ils feront tout ce qui est nécessaire pour l’éviter. Leur ardeur afin de ne rien changer d’essentiel n’a pas une origine mystérieuse, ni étrange. Il s’agit de ne perdre aucune sinécure. La pire des choses qui pourrait arriver à de tels personnages serait que les enquêtes et les revendications puissent aboutir avec le témoignage des victimes de leurs excès.

Si les nombreux fils papa, ou leurs amis, ou leur famille en général, les personnages influents du régime devaient justifier non seulement de leur légitimité mais aussi des raisons qui font qu’ils méritent des voitures luxueuses, qu’ils voyagent à l’étranger, qu’ils ont de magnifiques résidences, qu’ils ont des moyens pour monter leurs restaurants, qu’ils ont de bons postes dans les entreprises cubaines qui opèrent hors des frontières, qu’ils portent des vêtements somptueux, de bons parfums, ce serait un autre son de cloche. Tout le monde sait qu’ils n’ont jamais pris une guagua 2, qu’ils ne se sont jamais alimentés avec les produits distribués par la libreta 3, qu’ils n’ont jamais fait la queue devant un hôpital, ni ailleurs, qu’ils n’ont jamais attendu des mois ou des années pour qu’on leur livre du matériel pour réparer leur maison, qu’ils n’ont jamais compter les pesos en monnaie nationale afin de terminer le mois… Mais, on nous demande tous de défendre « la Révolution », alors que nous sommes en train de défendre ce status quo et la cruelle réalité avec laquelle nous pourrions découvrir un matin en nous levant.

Occasionnellement, j’ai eu l’opportunité de lire le blog de Yoani Sánchez. J’ai ressenti de la peine pour elle. Il est clair que ce qui l’enchante est de parler de la pauvreté, des décombres, des fuites d’eau, du désenchantement, des erreurs, la corruption présente ici ou là ; des promesses non-tenues et des carences, des éléments qu’elle collectionne avec une ferveur philatélique comme disait Benedetti. Malheureusement pour nous, sa rancœur permanente ne lui laisse pas voir (ni désirer) autre chose que les ordures.

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Je pense à des mécanismes lents, rationnels, intègres, transparents, qui rendent la confiance et le sens de la participation, de l’appartenance à une partie du peuple, cette partie qui ne supporte plus les privilégies, qui subit la précarité et qui est saturé de prohibitions. Toutes ces choses qui ne touchent pas la classe dominante perchée sur d’importantes zones du pouvoir, mais le peuple cubain ne veut pas régresser vers l’indigence morale et la banalité travestie avec des paillettes que l’on nous recette depuis Miami, depuis la presse européenne et depuis le blog de Yoani. Moi, je confie en la sagesse du peuple cubain et j’aspire à ce qu’il récupère un pouvoir que ce même peuple, à une époque, déposa entre les mains de ceux qui l’exerce aujourd’hui de façon sélective, de ceux qui l’ont exercé de manière erratique, ou de ceux qui l’exerce à des fins personnelles, en faveur de leurs amis ou de leur famille.

Orlando Pérez Zulia

Réseau de l’Observatoire critique de La Havane

1. Restaurants privés (NdT).

2. La guagua c’est l’autobus à Cuba. L’état des transports publics reste catastrophique, les gens attendent parfois des heures, les véhicules sont souvent en très mauvais état (NdT).

3. Le carnet de rationnement (NdT).


Enrique   |  Actualité   |  09 3rd, 2010    |