BANDES DESSINÉES. DE LA GUERRE DES GUÉRILLAS AU PRINTEMPS NOIR

La “Boîte à bulles” est un petit éditeur indépendant qui a pour objectif de publier des albums de bande dessinée accessibles à tous les publics, afin de donner leur chance à de jeunes auteurs et de présenter des œuvres de diverses origines. Cette maison d’édition sort en parallèle deux ouvrages sur Cuba :  Benigno et Printemps noir. Les deux BD sont publiés dans la collection “Contre-cœur” qui abrite des romans graphiques en noir et blanc et en couleur de tous les horizons.

Révolutionnaire, guérillero, Daniel Alarcón Ramirez, alias Benigno aura été de tous les combats, il fut l’un des guérilleros qui a combattu aux côtés de Fidel Castro, du Che et de Camilo Cienfuegos dans la Sierra Maestra, aux côtés de ces hommes qui ont fait depuis leur entrée dans l’histoire du XXe siècle.

Rien pourtant ne le prédestinait à rentrer dans la légende dorée, il était le bâtard d’un riche propriétaire terrien et sa mère fut contrainte de fuir avec son enfant suite au décès de son conjoint. L’enfant fut malmené jusqu’à l’adolescence et à 16 ans, il vivait déjà en couple et s’apprêtait à devenir papa. En janvier 1957, il aida les guérilleros en leur vendant un cochon et quelques vivres. Deux mois plus tard, les hommes de Batista, le dictateur, firent irruption sur ses terres et le punirent pour son soutien aux troupes rebelles. Ils assassinèrent sa femme enceinte et incendièrent sa maison.

Fou de douleur, il se réfugia alors dans la Sierra Maestra, c’est à partir de là qu’il incorpora rapidement la guérilla. Son courage et sa bravoure lui permirent de s’illustrer jusqu’à la prise de La Havane. Dans la guérilla, outre les techniques de combat, Benigno apprit à lire et à écrire. De mois en mois, les liens d’amitié se resserrèrent entre Benigno et le Che, après avoir chassé Batista du pouvoir, les deux hommes combattirent côte-à-côte à plusieurs reprises et notamment en Bolivie, à partir de 1966, pour tenter de faire tomber le dictateur Barrientos. Il participa alors au dernier combat de Che Guevara.

Malheureusement dans la BD aucun témoignage sur la période où le Che commandait la caserne de la Cabaña à La Havane. Pourtant des témoignages, vérifiés, prouvent qu’il a supervisé directement la mise à mort de près de deux cents opposants, au motif que « les exécutions sont non seulement une nécessité pour le peuple de Cuba mais également un devoir imposé par ce peuple ».

En 1996, la publication du livre Vie et mort de la Révolution cubaine [1] provoqua un grand malaise chez ceux qui défendaient encore le mythe de la “ révolution castriste”. Tout d’abord parce  que Benigno, son auteur, était un des rares survivants de la guérilla du Che en Bolivie, et surtout parce qu’il condamnait, à partir d’un point de vue révolutionnaire, la dérive totalitaire de la révolution cubaine.

Benigno a côtoyé tous les dirigeants castristes et a participé à la plupart des opérations « révolutionnaires » à l’étranger du gouvernement cubain, jusqu’à ce qu’il soit mis à la retraite et redevienne paysan, car peu à peu il avait cessé d’être un inconditionnel du régime. Réfugié en France, en 1996, sur Radio libertaire, dans l’émission Tribuna latinoamericana, Benigno témoignait  : « Dans mon cas, il ne s’agit pas d’un changement brusque, d’un virage subit, car la manière dont je vois les choses actuellement avait commencé à se forger en 1968, quand je suis revenu de Bolivie, après la mort du Che et de presque tous nos compagnons. » Depuis lors il ne cessa de poser les mêmes questions : « Pourquoi Fidel nous a-t-il abandonné en Bolivie ? Quelles étaient ses véritables intentions ? »

Dans son livre il nous donne ses réponses : « Fidel nous a abandonné et il a sacrifié le Che parce qu’il voulait consolider son propre mythe bolivarien, de leader anti-impérialiste en Amérique Latine, tout en obéissant aux ordres de l’Union soviétique qui ne voulait pas que les mouvements guérilleros prospèrent sur ce continent […] Par vanité et pour se maintenir au pouvoir, Fidel a sacrifié le peuple cubain et a trahi les idéaux pour lesquels le Che et tous les révolutionnaires latino-américains ont lutté, et pour lesquels beaucoup sont morts dans le combat contre les oligarchies et I’impérialisme. Ce qui existe aujourd’hui à Cuba est très éloigné de ces idéaux qui ne donnaient place ni à la corruption ni à l’ambition personnelle… C’est pour cela que je reste sur le pied de guerre pour lutter pour la liberté de mon peuple, bien que ce soit avec d’autres armes que celles que j’ai utilisées dans le passé […] »

La lecture de Benigno est agrémentée de photos d’archives émouvantes et de coupures de presse de différentes époques, ces éléments apportent des repaires historiques extrêmement importants à l’ouvrage.

« Je suis né quelques jours après la fin de la révolution, le 29 janvier. Fidel Castro et les barbudos venaient de renverser le dictateur Batista… »

Alejandro González Raga est le héros du Printemps noir, il a été un Cubain comme les autres, un enfant de la révolution. Il étudia même dans des écoles militaires et fut abreuvé à satiété de propagande castriste. Mais le jeune homme aimait le rock and roll et, sans doute plus que d’autres, il souffrait des conditions de vie imposées sur la grande île : la surveillance permanente et la liberté de mouvement entravée et contrôlée.  Il se mit donc à écrire des articles et à militer pour demander le rétablissement de la démocratie. C’est alors que le régime lança en mars 2003 l’opération Printemps Noir et arrêta ses opposants les plus gênants.  Le gouvernement cubain  emprisonna alors 75 dissidents, dont 29 journalistes, des bibliothécaires, des militants des droits de l’homme et des militants pour la démocratie qui furent accusés d’être des agents des États-Unis.

Alejandro ne sortit de prison qu’en 2008, suite aux tractations de l’Union Européenne et de l’église cubaine et grâce au soutien d’organisations telles qu’Amnesty International. Finalement, tous les dissidents ont été libérés, la plupart se sont exilés en Espagne  à partir de 2010.

Nous découvrons dans ces deux ouvrages l’itinéraire de deux hommes et la description des errements d’une révolution pourtant initialement légitime… À quelle révolution peut-on encore se référer après 53 ans de dictature des Castro et de leur nomenclature, après la dollarisation et la libéralisation de l’économie et l’apparition d’une nouvelle caste de privilégiés qui se partage les richesses de l’île avec les investisseurs étrangers ? Comme si, malgré le discours démagogique actuel, le pragmatisme cynique capitaliste et la corruption de la bureaucratie castriste n’étaient pas de jour en jour plus évidents…

Daniel Pinós Barrieras


1. Vie et mort de la Révolution cubaine, Benigno, 298 pages, 20,30 €, éd. Fayard, Paris, 1996.

Benigno, Christophe Reveille, Simon Geliot, 100 pages, 18 €, éd. La Boite à bulles, coll. Contre-coeur, Paris.

Printemps noir, Maxence Emery, Thomas Humeau, 88 pages, 17 €, éd. La Boite à bulles, coll. Contre-coeur, en co-édition avec Amnesty International, Paris.


Enrique   |  Culture, Politique, Société   |  06 27th, 2013    |