A Cuba, des jeunes écrivains s’insurgent

Ecrivain, blogueur, éditeur de revues numériques et photographe, Orlando Luis Pardo Lazo est une figure de la scène culturelle alternative à La Havane. Il est à la fois un individualiste imbu de sa singularité et un organisateur de manifestations collectives, convaincu que les choses bougent uniquement si elles ont un effet d’entraînement. Tout comme les jeunes qui sont en train de changer le visage de la dissidence, il s’est approprié les nouvelles technologies de communication. Avec la blogueuse Yoani Sanchez et le journaliste Reinaldo Escobar, il édite la revue Voces.

Du point de vue de son écriture, Orlando Luis Pardo Lazo se situe dans la lignée d’un Guillermo Cabrera Infante, disposé à triturer le langage et à faire rendre gorge aux mots, pour retrouver des sens submergés par les lieux communs. L’œil de sa caméra est à l’affût des surprises ou des métamorphoses et contamine ses propres histoires.

Profitant du changement de la réglementation qui permet aux Cubains, pour la première fois depuis un demi-siècle, de voyager à l’étranger sans avoir à demander la permission des autorités de La Havane, Orlando Luis Pardo Lazo parcourt les routes et les campus des Etats-Unis, sans doute à la recherche des mânes de la beat generation, à laquelle font penser sa silhouette hirsute et sa pilosité désordonnée. Fier d’avoir atteint l’Alaska, cet agitateur d’idées a organisé une anthologie de jeunes écrivains cubains, appartenant à ce qu’il appelle la « génération année zéro », parce qu’ils ont commencé à publier à partir de l’an 2000.

L’anthologie est disponible en espagnol et en anglais sur un site consacré aux écrivains en délicatesse avec les pouvoirs, en attendant une version papier, en janvier 2014.

Orlando Luis Pardo Lazo a regroupé seize narrateurs émergents, dont certains ont parfois publié à Cuba, comme lui-même, dans les maisons d’édition ou les publications contrôlées par l’appareil culturel officiel. Le cyberespace, encore inaccessible à la plupart des Cubains, a néanmoins ouvert leurs possibilités d’expression et a élargi la palette de leur invention.

Une île claustrophobe

Sans partager nécessairement un même style, ces écrivains s’expriment néanmoins dans un même univers littéraire raréfié par les interdits et les compromis. Le castrisme n’a pas seulement mis en place une double monnaie et favorisé la double morale. Le « machisme-léninisme » a provoqué une scission du langage, une véritable schizophrénie verbale. Les Cubains ont beau utiliser tous l’espagnol, ils ne parlent plus la même langue. La rhétorique de la pensée unique a contaminé les mots, qui n’ont plus le même sens parmi les privilégiés et dans les rues.

Cette anthologie, magnifiquement illustrée par les artistes El Sexto (Danilo Maldonado) et Luis Trapaga, montre des auteurs qui s’insurgent contre toute instrumentalisation et dévoilent la fiction du nationalisme, qui pèse comme une chape de plomb sur la création.

Le sarcasme, la déterritorialisation, le travestisme, la fragmentation, le coloquialismo (langage familier), l’hybridation, l’aventure et l’imagination, redessinent les signes d’identité, récupèrent leur capacité de subversion et resignifient l’utopie.

« Cuba reste une île plutôt claustrophobe, même aujourd’hui, dans ces temps postrévolutionnaires, où le général Raul Castro tente de réformer toute la vie sociale pour mieux préserver tout le contrôle sur elle », écrit Orlando Luis dans sa préface. Certains auteurs explorent le « réalisme sordide », dans le sillon de Pedro Juan Gutiérrez (dont la Trilogie sale de La Havane a été traduite chez Albin Michel). D’autres se projettent dans la science-fiction, en gardant les vestiges d’un présent en ruines. La proximité idéologique avec l’Union soviétique a suscité des métissages, qui se traduisent maintenant par un curieux mélange de repères en perdition.

La tradition, à force d’avoir été investie et pervertie, n’est plus une référence pour ces jeunes auteurs. Ainsi, Carlos Esquivel imagine quatre sommités des lettres cubaines condamnées à entendre les « infâmes écrivains » de nombreux pays dans un paradis infernal. La nouvelle génération remet en cause l’expérience antérieure et semble reprendre les choses à partir de zéro. Chacun à leur manière, ces écrivains et artistes sont des résistants, des hérétiques, des indignés, des insurgés.

Paulo A. Paranagua

América Latina (VO)

http://america-latina.blog.lemonde.fr/

Sampsonia Way Magazine : Anthologie de la nouvelle narration cubaine


Enrique   |  Culture   |  12 26th, 2013    |