Un demi-siècle de carte de rationnement

En 2013, on a commémoré à Cuba le demi-siècle de la création du dénommé Livret de fournitures, une idée sortie en 1962 de la tête d’Ernesto Ché Guevara, alors ministre cubain de l’Industrie.

C’est une ironie orwellienne que d’appeler « Livret de fournitures » une simple carte de rationnement. Quand Fidel Castro annonça la mesure, en 1963, il expliqua qu’il le faisait pour combattre la pénurie d’aliments et la spéculation sur leur prix de vente. On expliqua également que la carte de rationnement était une nécessité rendue obligatoire par le blocus nord-américain, thèse soutenue encore aujourd’hui, même si presque 80 % des aliments qui sont consommés à Cuba sont importés. Alors, les autorités cubaines déclarèrent que la carte de rationnement serait de courte durée, pas plus de six ou huit mois, un an au maximum. Le résultat, un demi-siècle plus tard, est que Cuba a maintenu le rationnement durant plus de temps qu’aucune autre nation dans l’histoire moderne.

Dans une large mesure, il y a un demi-siècle, les dirigeants cubains ont écrit le script que l’on utilise depuis pour camoufler l’irresponsabilité, la mauvaise gestion de l’économie et l’utilisation politique de la pauvreté, derrière le paravent de la lutte « anti-impérialiste » et contre la « spéculation ». L’actuel quota mensuel par personne de produits subsidiés que fournit le Livret de fournitures est de cinq œufs, une livre (460 grammes) de haricots, quatre livres de sucre, une demi-livre d’huile, une livre de poulet, sept livres de riz, quatre onces (115 grammes) de café, un paquet de pâtes. Il comprend également onze autres onces (316 grammes) de poulet et une demi-livre de viande de soja. Ceci dit, depuis son instauration, le livret n’a fait que maigrir. Le quota de produits subsidiés commença à perdre du poids avec la crise que vécut l’île dans les années ’90 après la désintégration de l’Union Soviétique. Dès le début de l’ère castriste, Cuba n’a survécu à l’effondrement de son économie que grâce aux subsides de l’ex-URSS, qui lui accorda 65 milliards de dollars sous forme de « prêts et aides » jusqu’à 1990. Suivit une longue période de restrictions, reflétées dans la réduction de produits du livret (viande bovine, poisson, lait frais, pommes de terre, tabac, savon, pâte dentifrice, détergent, etc.), jusqu’à l’arrivée de Chavez au Venezuela en 1999, qui a apporté à Cuba plus de 130.000 barils de pétrole par jour, en plus de fonds s’élevant à 34 milliards de dollars, rien que pour le dernier lustre.

Des sources du gouvernement cubain soutiennent que conserver le livret coûte un milliard de dollars par an, duquel la population ne paie que 12,3%, le reste étant à charge de l’État. Face à cet énorme coût pour un pays comme Cuba, le gouvernement de Raúl Castro commença à parler en 2010 de sa disparition graduelle, chose qui ne fut pas mise en pratique, sûrement par crainte de la réaction des gens. À ce propos, il y a un dicton cubain : « Avec le livret personne ne peut vivre, mais sans le livret beaucoup de gens ne peuvent vivre. »

Le livret de fourniture est un moyen pas du tout subtil de contrôle social et une manière contondante d’obliger à l’obéissance. À ce sujet, c’est peut-être dans les mécanismes pour obliger à l’obéissance et inspirer la crainte qu’il faut trouver la raison qui fait que certains régimes autoritaires tombent et d’autres se maintiennent. Le régime cubain s’est maintenu précisément grâce à la misère, la faim et la servilité qui en découlent. Le Livret de fournitures peut-être a réussi à améliorer le sort de ses bénéficiaires pendant quelques jours par mois, mais n’a pas contribué à sortir les Cubains de la pauvreté, définitivement, de manière concrète, à long terme. Le régime castriste serait inimaginable sans la pauvreté du peuple cubain : il a consacré plus d’un demi-siècle à « résoudre » la pauvreté, en la maintenant et en l’augmentant, au lieu d’implémenter des institutions qui canalisent les incitants pour éliminer la dépendance et créer de la richesse. Le castrisme n’a rien fait de tout cela en 50 ans, plus préoccupé à ce que les pauvres continuent d’être pauvres et, par conséquent, vulnérables et dépendants du pouvoir politico-militaire qui soutient et administre la laisse autour de leur cou.

Enrique Creci


Enrique   |  Actualité, Politique, Économie   |  01 10th, 2014    |