La criminalisation de l’opposition politique d’hier à aujourd’hui
Samuel Farber est né à Marianao, l’un des arrondissements de La Havane. Il est professeur émérite de sciences politiques au Brooklyn College (New York) [1] Dans ce texte publié sur le site La Joven Cuba, le 28 décembre 2020, il réinscrit dans une perspective historique la criminalisation actuelle de l’opposition politique par le pouvoir cubain. Cet article a été traduit en français et publié par le site À l’encontre le 31 décembre 2020.
Il existe des États antidémocratiques qui non seulement répriment l’opposition politique, mais aussi la criminalisent, un moyen très efficace d’éviter la diffusion et la discussion d’idées politiques qui divergent de l’idéologie au pouvoir. C’était le cas en Union soviétique et c’est toujours le cas dans les régimes qui ont adopté les principales structures du modèle politique soviétique, comme la Chine, le Vietnam et notre Cuba.
Ainsi, sous la direction du gouvernement cubain, les membres du Mouvement San Isidro [2] ont été arrêtés par la police sur la base d’accusations criminelles – prétendument pour avoir violé « le protocole sanitaire pour les voyageurs internationaux », adopté par le gouvernement pour lutter contre la pandémie Covid-19. Ils ont en fait été arrêtés pour des raisons politiques, pour avoir protesté en groupe et publiquement contre la répression du gouvernement à l’encontre de l’un de leurs membres. C’est un exemple typique de la façon dont le gouvernement cubain traite la critique : en remplaçant le langage politique par le langage administratif policier.
Capitalisme et démocratie : un débat récurrent
Dans les sciences sociales, il est courant d’entrer dans des extrêmes – épistémologiques et politiques – qui emprisonnent la réalité dans des schémas manichéens. Paradoxalement, ces extrêmes coïncident du point de vue d’une téléologie explicative qui ignore les processus et les sujets réels, situés dans le contexte socio-historique. Les lectures idéalistes radicales abondent, qui nient la réalité complexe et dynamique des sociétés modernes, pariant sur des utopies déconnectées des processus réels. Il existe encore des visions affirmatives du statu quo, qui établissent des causalités mécaniques entre des phénomènes qui coïncident dans le temps et l’espace, mais qui appartiennent à des dimensions différentes du social. Le domaine intellectuel, avec ses confréries d’apologistes et d’adversaires dogmatiques de la Modernité libérale, est un bon exemple de ce que je mentionne ici.
Marta María, militer pour le féminisme à Cuba. Être activiste féministe, mère et journaliste indépendante cubaine
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À 43 ans, cette militante féministe, battante et critique, cherche à travers ses articles et son mode de vie à tendre vers une Cuba plus juste et moderne, régie par l’équité. Même si la Révolution a fait avancer les droits des femmes, il s’agit aujourd’hui, selon elle, d’ouvrir de nouveaux espaces d’échange et de débat, hors des organisations de masse officielles.
On arrive chez elle dans la matinée, au troisième étage, dans un appartement baigné de lumière. Elle nous ouvre la porte alors qu’elle allaite Nina, un joli bébé au regard bleu et profond, prénommée ainsi en hommage à Nina Simone. Marta María a les cheveux attachés, elle ne porte pas de soutien-gorge et par l’encolure du tee-shirt apparaît un cœur tatoué sur sa poitrine. Elle s’excuse pour le désordre, qui n’a rien de bien terrible. À l’entrée de la cuisine, un poster : « Insistez pour déconstruire l’idée de l’amour ». Marta nous invite à nous asseoir au sol, là où Nina aime jouer, pendant que la petite essaye d’entrer par la fenêtre de sa maisonnette en carton, couverte de pages du journal Granma.
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Émergence civique contre répression étatique à Cuba : L’évolution du mouvement du 27N (27 novembre)
« La noblesse, la dignité, la constance et un certain courage souriant.
Tout ce qui constitue la grandeur reste essentiellement identique à travers les siècles ».
Hanna Arendt
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Un contexte de répression
En Amérique latine, l’année 2021 a commencé par une offensive générale des autocraties du bloc bolivarien contre leur société civile. Neutralisées par la répression, la cooptation ou l’exil, les forces politiques partisanes de la confrontation – les régimes de Caracas, La Havane et Managua – visent à détruire les fondements mêmes de l’auto-organisation et de l’autonomie civile. Peu importe qu’il s’agisse de groupes revendiquant des identités sociales spécifiques, de collectifs de défenseurs des droits de l’homme ou d’organisations communautaires de protection sociale. A Cuba, la campagne de l’État – médias, police – contre les artistes du mouvement 27N se développe. Au Nicaragua, ils approuvent des mesures visant à criminaliser le travail et le soutien international aux ONG. Au Venezuela, des militants qui distribuaient de la nourriture et des médicaments dans les zones pauvres ont été emprisonnés. Dans les trois cas, l’organisation autonome des citoyens et la solidarité à leur égard deviennent une obsession gouvernementale.
Intellectuels et populistes : retour sur un faux dilemme
« Je comprends pourquoi les doctrines qui m’expliquent tout m’affaiblissent en même temps.Elles me libèrent du fardeau de ma propre vie, et pourtant il est nécessaire que je le porte seul. »Albert Camus.
Pourquoi le ministre de la Culture doit-il recourir personnellement à la violence ?
Cuba. Chroniques d’un cauchemar sans fin

“L’humiliation est constante”. Témoignage d’un français détenu à Cuba
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Le pouvoir à Cuba : notes sur sa nature
Le texte que nous publions aujourd’hui est une analyse sur la nature du pouvoir à Cuba de notre ami universitaire cubain Armando Chaguaceda.
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L’absence de Cuba dans certaines analyses sur l’état de la politique en Amérique latine est impressionnante. Dans les académies de la région, la structure du pouvoir en place sur l’île n’est pas bien comprise. Certains collègues utilisent des justifications banales pour justifier leur manque d’intérêt, comme « c’est une petite île isolée de la mondialisation ». Nombreux sont ceux, issus du relativisme gauchiste, qui accordent au gouvernement cubain la certification selon laquelle Cuba est « une démocratie différente et populaire ». D’autres, à partir d’un certain réductionnisme libéral, se limitent à le rejeter uniquement parce que ce gouvernement « ne permet pas d’élections multipartites ». La bureaucratie de l’Union européenne a même utilisé un euphémisme qualifiant le système politique cubain de « démocratie à parti unique ». Ces positions s’ajoutent à l’absence de débat sérieux sur cette même question au sein du milieu universitaire cubain.